"Les lignes du râteau peignent la terre, la rident comme une eau. (..) Des moines, en Extrême-Orient, ont créé des jardins de méditation à partir de ces lignes et de quelques pierres. Cela ne me surprend pas, car les dessins du râteau produisent une sorte d'apaisement intérieur, un sentiment de plénitude silencieuse. Pourquoi ? Ai-je coiffé la terre comme je coiffe encore quelquefois mon enfant, qui n'est plus une enfant ? Ce travail facile, ces gestes qui s'accommodent de la lenteur et de la distraction, brisent la mince écorce que la chaleur avait rendue imperméable, opaque ; on voit de nouveau la matière plus sombre, intime, vivante de la terre. Celle-ci s'est rouverte en même temps qu'elle s'est ordonnée. Ressemblerait-elle à ces persiennes qui laissent passer la lumière en la striant ? Je ne sais trop. Sans doute faut-il plutôt penser à des ondes, à la vibration d'une voix, à l'écriture d'un chant... On aurait fait apparaître un chant à la surface de ce sol qui nous porte et nous recevra ; une fois que c'est achevé, comme devant une surface de neige fraîche, on hésite à y marquer son pas."
Philippe Jaccottet.
Espaces de méditation où la nature se transforme en une œuvre d'art
épurée, les jardins zen ("karesansui" dans la tradition japonaise) sont
imprégnés de symbolisme et de spiritualité. L’acte de peigner la terre
avec un râteau, geste simple et répétitif réalisé avec soin par les
moines, n’est pas seulement une tâche esthétique, mais une méditation en
soi, évoquant une quête d’ordre et d’harmonie. Les motifs ondulants
symbolisent souvent l’eau, des vagues ou des courants, chaque coup de
râteau est une manière de structurer le désordre apparent, métaphore qui
s’applique également à l’esprit. Comme un jardin nécessite un entretien
constant pour rester beau et ordonné, l’esprit humain doit être
régulièrement "peigné" pour empêcher l’encombrement des pensées et des
émotions négatives. Geste simple allégorique par ailleurs de
l'impermanence, les motifs tracés dans le sable étant éphémères : un
coup de vent, une pluie ou même un nouveau jour viendra les effacer.
Loin d’être une source de frustration, cette impermanence est acceptée
comme une vérité fondamentale de l’existence. L’effacement des motifs
invite à lâcher prise sur l’attachement et à aimer le renouveau
constant. Enfin, ces jardins rappellent l’humilité de l’homme face à la
nature. Le gravier et les pierres ne sont pas modifiés dans leur
essence, mais disposés avec respect pour révéler leur beauté inhérente.
En peignant la terre, les moines ne dominent pas la nature, ils
collaborent avec elle. Ce dialogue silencieux rappelle que l’homme est
un gardien de la nature, non pas son maître.
Lu dans:
Philippe Jaccottet. À travers un verger - Les Cormorans - Beauregard. Gallimard. 1984. 112 pages.
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