"En approchant, je ralentis toujours le pas. À peine, mais je ralentis. Instinctivement. Et j'inspire à pleins poumons. Je ferme les yeux parfois, une seconde, pour concentrer mes sens sur l'odorat. Même si je n'entre pas, je ralentis. Et je respire. La bonne odeur du pain chaud.
La boulangerie au coin de la rue propose des fournées plusieurs fois par jour. Je connais les horaires. Il m'arrive de faire un détour pour humer ce parfum inimitable. Je me poste discrètement devant la bouche d'aération, là où sortent les effluves tièdes. Et je respire. Plus qu'une satisfaction gourmande, j'y trouve un apaisement. Certains se ressourcent à l'air pur de la campagne ou de la montagne, dans les embruns salés de l'océan. Moi, c'est devant une boulangerie que je reprends pied. Le pain exprime la chaleur du four, le travail de l'homme, les épis dans les champs, la générosité de la terre, la nourriture de toujours. Ça sent le réconfort, l'inaltérable. Sur cette odeur, je peux m'appuyer. Elles convoquent les tartines beurrées, trempées dans le café, les quarts de baguette garnis de carrés de chocolat, les tranches épaisses avec le fromage et le vin, les canapés toastés les jours de fête. Et le pain rassis émietté pour les oiseaux sur le rebord de la fenêtre."
Anne-Dauphine Julliard
Un beau texte qui nous offre pour ce début de weekend une madeleine
de Proust actualisée. A La Panne par exemple, premières vacances "à la
mer", je marche à peine mais l'odeur entêtante des baguettes chaudes
m'est restée.
Lu dans:
Anne-Dauphine Julliard. Ajouter de la vie aux jours. Les Arènes 2024. 140 pages. Extrait p 110