29 novembre 2024

Désert médical

 "Il est désormais formellement interdit à tout habitant de tomber malade." 
                Arrêté municipal

                                  

Cet amusant (?) arrêté municipal de la maire d'une commune dans la Nièvre sonne comme un appel au secours dans un désert médical . Simultanément, une vidéo humoristique postée sur YouTube par la municipalité d'Amblainville, dans les Hauts-de-France, suggère de remplacer son dernier médecin généraliste, âgé de 70 ans, par... un enfant de six ans, habillé d'une blouse de médecin et d'un stéthoscope. Celui-ci se voit offrir une maison médicale flambant neuve, meublée et équipée, un salaire fixe et un secrétariat, qui n'ont jusqu'ici jamais réussi à attirer le moindre docteur depuis dix ans. Douce France.


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Cécile Vrayenne. La drôlissime vidéo d'Amblainville, désert médical, pour tenter de séduire un généraliste. Le Journal du Médecin. 28 novembre 2024.
voir la vidéo : https://youtu.be/d_ZWkuoLpVM

D'équilibre en équilibre

 "Et si guérir consistait à atteindre le meilleur équilibre possible dans des circonstances données, autrement dit savoir tirer le meilleur parti des circonstances."   
                            Oliver Sackx

                     


C'est l'histoire d'un patient âgé, perclus de rhumatisme et d'autres maladies, enjoignant son épouse de lui procurer une petite moto pour sa sortie d'hôpital, "pas trop haute que je puisse monter dessus avec mon arthrose de hanche". Il en avait possédé une dans sa jeunesse et retrouvant une moto, il retrouverait ses jeunes années. Las! A sa sortie, il bénéficia du prêt d'une chaise roulante, qui lui permit de retrouver le bonheur de longues sorties au centre commercial proche, les petits restos, le salon de coiffure, la boutique Leonidas et la fromagerie. Je le surpris à me confier un inattendu "je suis heureux". Ayant perdu l'usage des jambes, il retrouvait la convivialité. 


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Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages.


28 novembre 2024

L'homme et lui-même

 

"La lumière te traverse
à l’envers de toi-même.
Tu existes à l’envers."  
                    Corinne Hoex


Qu'il paraît lointain le temps où Blanche-Neige interrogeait son double "Miroir mon beau miroir dis-moi qui est la plus belle?". Le miroir sur pied a laissé la place au double virtuel, qui nous connaît parfois mieux que nous-même. Agrégat de traces numériques laissées sur le Net, il n'est de clic, de recherche, de like, de partage ou d'achat qui ne contribue à façonner votre ombre numérique, un sosie qui sera à la base de multiples sollicitations. Mieux encore, certaines applications vous proposent de créer vous-même votre jumeau en le nourrissant de données personnelles après un entretien de seulement deux heures, clone qui apparaît similaire à 85 % à son jumeau humain. Un interlocuteur virtuel avec qui échanger sur la même longueur d'onde comme si on se parlait à soi-même, et qui pourrait même nous remplacer pour certaines tâches. Il reste un souci tout de même: comment garantir le comportement de son jumeau, empêcher les dérives les soirs où il révélerait sa part d'ombre qui est aussi la nôtre? Science-fiction peut-être, nous laissant l'impression du choix, alors que nous contribuons involontairement chaque jour déjà à sa création. 


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Corinne HOEX. L’ombre de toi-même Tétras Lyre. 2023. 68 p.
Jacques Folon. Connaissez-vous votre jumeau numérique ? Petite gazette Le Soir. 25/11/2024

26 novembre 2024

Face au vide immense

Comme un dessin de Sempé. C'est l'histoire d'un petit homme, face à l'immensité, au bord d'une falaise, face au vent comme en témoignent son manteau, son écharpe et ses doigts écartés. On devine à sa bouche qu'Il crie, mais quoi? Peut-être qu'il rêve de vivre en grand, mais que l'attrait du vide devant ses pieds et la perception de sa fragilité face au vent qui souffle l'en empêchent. Une journée s'ouvre, quels sont vos rêves?




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Sempé - Planche issue de «Garder le cap». éd. Denoël 

22 novembre 2024

Guérir

 « C’est un sentiment très doux, agréable et très paisible, qui me fait rendre grâce à chaque moment d’être ce qu’il est. Je suis heureux, un peu comme lorsque l’on rentre chez soi après une rude et longue journée de travail. Comme un chat bien au chaud et tranquille devant un bon feu. » 

                            Dr Oliver Sacks, rapportant les paroles d'un patient.


Parmi les questions essentielles rapportées par Le Dr Oliver Sacks au cours de sa longue carrière de neurologue, cette réflexion sur le retour à la santé après une éprouvante maladie. Retrouver un nouvel équilibre quand tout paraît perdu est à la fois une source de joie inépuisable, mais aussi de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Car "la santé est quelque chose de bien plus complexe que la maladie elle-même."


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Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 1993. 521 pages. Extrait p. 276

Amères victoires

 "Il y a en effet en Allemagne un nombre non négligeable d'antinazis sincères qui sont plus déçus, plus apatrides et plus vaincus que les sympathisants nazis ne l'ont jamais été. Déçus parce que la libération n'a pas été aussi complète qu'ils se l'étaient imaginé, apatrides parce qu'ils ne veulent se solidariser ni avec le mécontentement allemand (..) ni avec la politique alliée dont ils contemplent avec consternation l'indulgence envers les anciens nazis. Et enfin vaincus parce qu'ils se demandent s'ils peuvent avoir une part quelconque à la victoire finale des alliés tout en portant une part de responsabilité dans la défaite allemande en tant qu'antinazis. (..) Ces gens-là sont les plus belles ruines de l'Allemagne mais, pour l'instant, elles sont aussi inhabitables que toutes ces maisons démolies entre Hasselbrook et Landwehr qui dégagent une odeur âcre et amère d'incendies éteints dans le crépuscule humide de cet automne ."
                                Stig Dagerman

                                     


Superbe description du malaise ressenti par les opposants dans une nation vaincue, décrite par Stig Dagerman, envoyé en Allemagne en 1946 pour témoigner pour son journal des dégâts de la guerre.  Il publie "Automne allemand", et arrête d'écrire. Surimpression tragique de ces opposants actuels dans des pays entraînés dans des conflits sans fin et dont ils ne partagent pas les objectifs. 


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Stig Dagerman. Automne allemand. Philippe Bouquet (Traducteur). Actes Sud 2004. 164 pages

21 novembre 2024

Au feu !

 «Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. Chacun crut à une blague et l’on applaudit. Plus il répétait, plus les applaudissements redoublaient. C’est ainsi, je pense, que la fin du monde se produira, au milieu d’applaudissement de gens spirituels persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie.»
                    Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien, 1843

                              

Qui se souvient encore de Coluche annonçant sa candidature à la présidence de le République française le 20 octobre 1980. Pas de programme mais un appel aux fainéants, aux crasseux, aux drogués, aux alcooliques, (..), tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter [pour lui]. Au début, beaucoup croient au canular, puis progressivement l'humoriste se prend au sérieux, affolant les sondages. Sous pression il renonce trois mois plus tard, "je préfère que ma candidature s'arrête parce qu'elle commence à me gonfler."


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Søren Kierkegaard, Ou bien… ou bien. 1843

18 novembre 2024

On s'habitue

 "Tragiquement, on s’habitue… Une fois passée la vallée de la Vesdre, s’indigne-t-on autant de Valence ? [Trump, Elon Musk, l'Ukraine, Gaza], les scores électoraux de l’extrême droite nous mobilisent-ils toujours autant ? tout cela déclenche-t-il encore autre chose qu’une forme de résignation et de fatalisme ? Notre extraordinaire capacité d’adaptation n’est-elle pas un piège qui se referme sur nous-mêmes ? Ce qui nous a révoltés avant-hier, et puis hier, n’est-il pas venu déplacer petit à petit ce que l’on est prêt à accepter demain, par un étrange phénomène de dérive vers le pire ? Jusqu’où ?" 
                                Marius Gilbert

                         


Le flux ininterrompu d'informations sinistres estompent ma capacité de débusquer les courts textes lumineux qui font les belles journées. un bel article de Marius Gilbert dans le Soir offre un éclairage intéressant sur la mutation que nous vivons, inquiets face à l'avenir qui se dessine.


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Marius Gilbert. Vivre sur Terre ou fuir sur Mars ?  Le Soir 18 novembre 2024.

13 novembre 2024

Des fringues et des valeurs

« Aux signes extérieurs de richesse, je préfère les signes de richesse intérieure. »
                    Antoine Blondin


Une petite envie d'un sac Vuitton, d'une fringue Chanel ou Prada? Vinted.be a tout pour vous faire rêver. Du faux, du vrai, seul compte le rêve et l'apparence. Moi aussi j'eus mes modèles vestimentaires, qui me laissèrent une empreinte durable. Un instit de 6ème, mon cher professeur Arcq, un vieux moine bénédictin, une petite soeur servante des pauvres, mon fidèle réparateur de moto. Leur garde-robe d'une vie, aux cinq ensemble, aurait tenu dans l'abri de toile d'une tente de camping et portait le nom de marque Inusable : un cache-poussière gris, un costume trois-pièces sans âge, une pèlerine de toile brute, une salopette élimée, le tout en deux exemplaires car il faut être propre sur soi.  Je les remercie de m'avoir transmis, outre l'honnêteté, le goût du travail et la poursuite de la beauté intérieure l'exemple du lys des champs, "qui ne tisse ni ne file et qui est mieux fringué que Salomon dans toute sa gloire."



12 novembre 2024

Sagesse de John Donne

 "De même qu’il n’y a pire détresse que la maladie, la plus grande détresse dans la maladie est la solitude."   
                    John Donne (1572-1631)

                                   


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Oliver Sacks. L'éveil. Le Seuil. 2019. 403 pages.

11 novembre 2024

Gentil coquelicot

 "On oubliera. Il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le cœur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond. On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois."

                    Roland Dorgelès



On ne fête pas une armistice, on commémore. Un instant pour se souvenir de tous "ces morts, qui vivaient, goûtaient l'aurore, contemplaient les couchers de soleil, aimaient et étaient aimés, aujourd'hui gisant dans les champs de Flandre."  On dit que les coquelicots poussent mieux sur les tombes des soldats du champ de bataille. Le beau poème In Flander's Field y fait référence, élevant la fragile fleur rouge-sang en symbole de l'absurde tragédie de toute guerre.  


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Roland Dorgelès. Les Croix de bois. Albin Michel. 1919. 
In Flanders fields (Au champ d'honneur). Poème de guerre écrit pendant la Première Guerre mondiale par le lieutenant-colonel canadien John McCrae à l'occasion des funérailles de son ami le lieutenant Alexis Helmer

09 novembre 2024

Vaste monde

 

"Terre brûlée au vent
des landes de pierres
autour des lacs, c'est pour les vivants
un peu d'enfer, le Connemara
des nuages noirs qui viennent du nord
colorent la terre, les lacs, les rivières
c'est le décor du Connemara."  
                    M.Sardou, J.Revaud, P.Delannoé


Une auto, un soir, quelques notes de Sardou et l'habitacle soudain se dilate. La tourbe ocre à l'infini, quelques moutons marqués, les lacs entre brume et soleil. Être au monde, cette mystérieuse alchimie entre l'ici réel et l'ailleurs niché dans notre mémoire. Le monde qu'on touche, et notre monde intérieur construit d'images, de sons, d'expériences accumulées et accessibles en permanence. On y voyage sans se déplacer, dans un espace sans limite.   Être au monde, naître au monde, "un jour tu fus". En début de semaine, une petite Cloé nous a été donnée. C'est tout un monde en construction qui naît, on va l'aider.


Lu dans: 
Jacques Revaud, Michel Sardou, Pierre Delanoë. Les Lacs du Connemara. Universal Music Publishing Group
"Un jour tu fus" Florence NOËL, Sylvie DURBEC. Ruptures d’étoile. Chat polaire. 2024. 77 pages.

08 novembre 2024

Si j'étais président


 "Si j'étais Président de la République (..)
Je nommerais Mickey premier ministre
Simplet à la culture
Tintin à la police et Picsou aux finances
Zorro à la justice et Minnie à la danse
Est c'que tu serais content, si j'étais président?
Opposition néant, si j'étais Président. "  
            Gérard Lenormand


Plus décoiffante que l'amusante fiction d'une chanson, la liste qui se profile de la prochaine équipe dirigeante des Etats-Unis d'Amérique. On y évoque Elon Musk (qui baptisa X Æ A-12  son septîème enfant, Exa Dark Sideræl sa huitième et Techno Mechanicus son neuvième) à ... la simplification administrative.  Et Robert Kennedy Jr, antivax complotiste notoire à la Santé. Comme l'assure le futur président, "c’est un super gars qui va aider l’Amérique à être de nouveau en bonne santé. Il veut faire certaines choses et nous allons le laisser faire. Je lui dis seulement : laisse le pétrole Bobby […], reste loin de l’or liquide et, à part ça, amuse-toi bien". 


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Gérard Lenorman / Pierre Delanoë. Si j'étais président. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada (SOCAN), Warner Chappell Music France

07 novembre 2024

Une société de défiance

 "Tu sais ce que je leur reproche le plus, à tous ces gens (…) ? C’est d’avoir créé, et pour longtemps encore, une société de défiance."

                            Gaël Faye



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Gaël Faye. Jacaranda. Prix Renaudot 2024. Grasset. 2024.  276 pages.


06 novembre 2024

Que cache une victoire?

 "Regarde bien, petit, regarde bien sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui vient, que je ne connais pas.

Est-ce un lointain voisin, un voyageur perdu
un revenant de guerre, un montreur de dentelles ?
est-ce un abbé porteur
de ces fausses nouvelles qui aident à vieillir
ou n'est-ce que le vent qui gonfle un peu le sable
et forme des mirages pour nous passer le temps ? (..)

Regarde bien, petit, regarde bien, sur la plaine là-bas
à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin
y'a un homme qui part, que nous ne saurons pas
tu peux ranger les armes."
                        Jacques Brel

 

La toute récente victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines nous interroge. Comment tant de mensonges, d'insultes, de grivoiserie assumée, de haine de l'autre, de manichéisme peuvent-ils propulser un candidat jusqu'au pouvoir, et où se trouvent tant d'électeurs si différents de nous pour le soutenir? L'exprimer ainsi introduit pourtant déjà, sans que nous en ayons conscience, dans la fantasmagorie patiemment construite d'une société faite de bons et de méchants sans nuance de gris. Une vigilance quotidienne pour nous garder des petites victoires sournoises de l'entre-soi prôné par le nouveau président s'impose.

Un tout récent et amusant épisode m'a interpellé. Dimanche en soirée, sonne à la porte un homme jeune, d'origine africaine, en quête de câbles de batterie. L'auto de sa maman, à 200 mètres, est immobilisée et elle doit rentrer en province. Aurions-nous une voiture en ordre de marche pour la brancher? Un appel à l'aide limpide, qui donne lieu évidemment à une réponse positive spontanée. Sauf que, pour la première fois de ma vie, les questions satellites immédiates suspectant l'arnaque fusent: ne va-t-il pas rapidement demander de l'argent, pourquoi sonne-t-il chez nous et pas chez les voisins , sa mère est-elle bien sa mère, ne cherche-t-il pas à s'introduire, sa voiture est-elle bien en panne, pourquoi n'appelle-t-il pas un service de dépannage?  Au terme de dix essais infructueux, la vieille auto a redémarré, la maman a regagné son lointain domicile, notre voiture est intacte et nous n'avons pas été volés. Mais je m'interroge encore: comment est-il imaginable que pour un cas aussi banal qu'une panne de batterie j'aie pu, ne serait-ce que brièvement, me laisser polluer le psychisme par des craintes inspirées davantage par la lecture des journaux que par mon  vécu personnel? Comme le chante Jacques Brel, "ne serait-ce que le vent qui gonfle un peu le sable, et forme des mirages pour nous passer le temps" ?  Nous ne saurons pas, on peut ranger les armes, mais indéniablement cet incident constitue une petite victoire de la pensée trumpienne.


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Jacques Brel. Regarde bien petit.  Warner Chappell Music France. Dans l'album J'arrive (Vol.12). 1968. Barclay


04 novembre 2024

Entre les masques d'Ensor et la piéta de Michel Ange, quels morts fêtons-nous?

        

"De guerre lasse, j'ai fini par me laisser convaincre qu'Halloween n'était pas uniquement une mascarade commerciale à l'américaine, mais puisait ses sources dans les fêtes celtiques célébrant le passage du monde de la lumière à celui de l'ombre."
                        Armand Lequeux


Rentrant d'Irlande à l'instant, les yeux piquent encore de la luminosité particulière de ses paysages sublimes alternant brume et soleil... et de l'omniprésence d'Halloween. Au point de reconsidérer l'appréciation négative que nous avions de cette fête parfois considérée comme dévoyée. Intégrer la mort dans une sorte de parodie joyeuse, tenir à distance les peurs qu'elle suscite en se grimant, derrière des masques, des citrouilles évidées, des chapeaux  de sorcières aux cris sardoniques, quêtant des friandises de porte en porte en menaçant de jeter un sort... Bref exorciser la peur en éclairant nos rues  soudain redevenues farceuses ne constitue-t-il pas la plus belle des préparations à la Toussaint, où ces mêmes sentiments se revivent, apaisés, partagés religieusement en famille dans le respect de ces ancêtres parfaits dont l'exemple devrait nous imprégner encore?  Et posons-nous la question qui fâche: si, morts, nous est donnée la chance d'un bref retour parmi ceux qu'on aime , où irions-nous? Avec les gosses déguisés en diables demandant des bonbons en sonnant aux portes, dans les rires et les grimaces, ou dans nos tombes espérant voir arriver vers 11 heures un chrysanthème promenant un humain, ayant parfois oublié la route jusqu'à notre nouveau logement? Une petite prière, une larme furtivement écrasée, trente ans déjà, tu te rends compte, le temps passe vite, on époussette la dalle des feuilles ocres qui s'y incrustent, on se promet de  revenir l'an prochain, rassurés : nos morts vont bien.

Insensiblement, je mesure que les temps changent à la modification que je me remarque moi-même. J'étais Toussaint, et je deviens progressivement Halloween, l'exubérance farceuse a remplacé la dignité du culte des morts, que je conserve néanmoins par atavisme familial. Mais L'expérience irlandaise, la joie réelle ressentie dans les rues et les hôtels, les fausses sorcières et les vrais morts m'ont fait comprendre enfin - Halloween et Toussaint confondus -  qu'il s'agit des mêmes  personnes chères réapparaissant dans nos vies un laps de temps court et tonique pour nous rappeler qu'aucune disparition n'est définitive.

Lu dans:
Armand Lequeux. Quand fleurissent nos cimetières. LLB. 31 octobre 2024.