"En sortant j'ai traversé la rue Saint-Denis, pour m'approcher d'une pancarte aperçue le matin même, qui annonçait des « Illusions sur mesure ». Renseignements pris, j'ai su que c'était l'enseigne d'un tailleur, qui avait malheureusement fermé boutique. Dommage, car j'aurais voulu connaître cet artisan qui se promettait modestement d'embellir la vie de tous les jours grâce à des broderies, des boutons fantaisie, des retouches et des jours plissés."
Gérard Macé
Il était tailleur "confection homme / confection dame" de père en
fils. Depuis 20 ans, il confectionnait les costumes sur mesure qu'une
certaine époque affectionnait, rallongeait, raccourcissait, reprisait
les innombrables défauts des silhouettes. Un jour, il m'annonça qu'il
renonçait et s'était fait engager à la poste comme facteur. Las de ne
jamais satisfaire les exigences d'une clientèle s'estimant en permanence
mal taillée, dans des habits peinant à dissimuler l'embonpoint, la
gibbosité, un fessard avantageux ou l'arc des jambes. Décision lentement
mûrie et précipitée par l'arrogance d'un dernier client qui avait
estimé que les retouches apportées l'avaient encore davantage enlaidi.
"Ils attendent de moi d'être chirurgien plasticien, alors que je ne suis
que tailleur." Il bénéficia gratuitement d'un costume sur mesure de
facteur, d'une sacoche neuve sentant le cuir frais, et pendant vingt
années supplémentaires arpenta les rues de notre commune avec un plaisir
non-dissimulé. "Maintenant les gens m'attendent et me servent la
goutte, que du bonheur." Je ne sais si l'enseigne "Illusions sur mesure"
l'aurait fait sourire, mais moi si.
Lu dans:
Gérard Macé. Pensées simples. NRF Gallimard. 2011. 240 pages. Extrait p.121
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