08 février 2024

Non, merci

 "II s'assied tôt le matin devant la porte du bureau de tabac, la main tendue pour une aumône. Son visage est tanné comme du vieux cuir par le soleil. Le bleu délavé de ses yeux fait penser à quelque chose d'aussi ancien et perdu que la petite enfance. Aujourd'hui, je l'ai rencontré à une place inhabituelle. II était assis, paisible, sur un banc devant l'école communale. II regardait le mouvement des passants et des voitures, les oiseaux dans les platanes. Nous avons échangé des cigarettes et quelques mots sans mystère. Comme je m'apprêtais à lui donner une pièce, et avant même que j'en aie esquissé le geste, il m'a dit: « Non, aujourd'hui je ne travaille pas. »

                                C. Bobin



Ce court récit de Bobin me remet en mémoire deux courts moments vécus à une époque où ma vie n'était que course. Un sans-abri sur un banc au soleil de juin devant la Basilique, se régalant d'une baguette au boursin avec vin. Je me surpris, nanti de l'existence, à jalouser ce pauvre hère, l'enviant de disposer ainsi de son temps et de le savourer. L'autre, une chambrière d'hôtel, aussi fripée que grise de robe, toute rapiécée, refusant les deux piécettes que je lui rendais pour que le compte soit juste: "ici je n'accepte pas les pourboires". C'était sa dignité de patiente, farouchement sauvegardée, et je me demandai si de moins précaires qu'elle avaient conservé ce pouvoir.




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