« Quand tu mourras, notre amour se recomposera. Il se recomposera dans le ciel rouge, comme le murmure des étourneaux après le franchissement de l’obstacle.»
Christian Bobin.
Lorsque les étourneaux, volant à l’unisson, rencontrent un obstacle
imprévu, comme un roc dépassant d’une rivière, ils se séparent
instantanément en deux groupes avant de se retrouver aussitôt après le
franchissement de l’épreuve. Cette chorégraphie aérienne, d’une beauté
confondante, s’appelle « le murmure ». Ce murmure constitue le titre du
livre posthume de Christian Bobin qui, dans les dernières semaines de sa
vie, écrivant depuis son lit d’hôpital, s’adressait ainsi, dans un
souffle et dans l’intimité, à la femme qu’il aimait – la poétesse Lydie
Dattas, vers qui il lançait ces mots de gratitude. Fuyant son temps, les
mondanités, les honneurs et les réseaux sociaux, Bobin s'était protégé
toute sa vie dans son Creusot oublié. Moqué par la parisianerie dont il
ne participait guère au monde ni aux festivités, il mourut comme il
avait vécu, dans le silence et la sérénité.
Et si par ces mots simples, compréhensibles par tous, il rendait leur
parole aux gens. Un de mes oncles chers, accompagné il y a peu lors de
ses funérailles, arborait sur le cercueil une photo de son couple et
une banale phrase "Je te rejoins enfin." Personne n'eut envie de rire,
retrouvant en chacun ces mots immémoriaux qui nous aident à franchir le
seuil sans terreur. On imaginait sans peine Christian Bobin, en fin de
vie lui aussi, prononçant ces même mots derrière notre groupe rassemblé,
jetant sur le cercueil nos roses et nos merci et leur souhaitant que le
murmure remplace la passion. Quelques brins de mimosas précoces
embaumaient l'air, annonçant le printemps après l'hiver. Juste ce qu'il
fallait pour que les au revoir ne soient pas une déchirure.
Lu dans:
Nicolas Crousse. Bobin vivant jusqu’au dernier souffle. Le Soir Livre. 168 février 2024.
Christan Bobin. Le murmure. NRF Gallimard 2024. 144 pages.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire