18 février 2024

Le murmure des étourneaux

 « Quand tu mourras, notre amour se recomposera. Il se recomposera dans le ciel rouge, comme le murmure des étourneaux après le franchissement de l’obstacle.»

                                            Christian Bobin.



Lorsque les étourneaux, volant à l’unisson, rencontrent un obstacle imprévu, comme un roc dépassant d’une rivière, ils se séparent instantanément en deux groupes avant de se retrouver aussitôt après le franchissement de l’épreuve. Cette chorégraphie aérienne, d’une beauté confondante, s’appelle « le murmure ». Ce murmure constitue le titre du livre posthume de Christian Bobin qui, dans les dernières semaines de sa vie, écrivant depuis son lit d’hôpital, s’adressait ainsi, dans un souffle et dans l’intimité, à la femme qu’il aimait – la poétesse Lydie Dattas, vers qui il lançait ces mots de gratitude. Fuyant son temps, les mondanités, les honneurs et les réseaux sociaux, Bobin s'était protégé toute sa vie dans son Creusot oublié. Moqué par la parisianerie dont il ne participait guère au monde ni aux festivités, il mourut comme il avait vécu, dans le silence et la sérénité.

Et si par ces mots simples, compréhensibles par tous, il rendait leur parole aux gens. Un de mes oncles chers, accompagné il y a peu lors de ses funérailles, arborait sur le cercueil une photo  de son couple et une banale phrase "Je te rejoins enfin." Personne n'eut  envie de rire, retrouvant en chacun ces mots immémoriaux qui nous aident à franchir le seuil sans terreur. On imaginait sans peine Christian Bobin, en fin de vie lui aussi, prononçant ces même mots derrière notre groupe rassemblé, jetant sur le cercueil nos roses et nos merci et leur souhaitant que le murmure remplace la passion. Quelques brins de mimosas précoces embaumaient l'air, annonçant le printemps après l'hiver. Juste ce qu'il fallait pour que les au revoir ne soient pas une déchirure.


Lu dans: 
Nicolas Crousse. Bobin vivant jusqu’au dernier souffle. Le Soir Livre. 168 février 2024.    
Christan Bobin. Le murmure. NRF Gallimard 2024.  144 pages.


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