"C’était le bruit des sept pas d’ensemble, des sept faux volantes, des sept faux fauchant, des herbes qui tombent, puis des sept pas, des sept faux volantes, et ainsi de suite. Ça se répétait sans faiblir toujours au même rythme. Ils ne sentaient pas la fatigue. Ils étaient entourés par l’herbe blonde. Le sommet des herbes où étaient les graines et les panaches moussait légèrement comme l’écume de l’eau et réfléchissait le soleil, et ne pesait pas sur la faux, et se couchait sous le vent, et se relevait, puis se couchait sous la faux, et ne se relevait plus. (..) Jacquou se baissa et ramassa une tige de blé. Elle était coupée juste à l'anneau de terre. Elle était entière, comme pas touchée, fauchée comme par un faucheur divin. Jacquou garda sa tige de blé dans les doigts. C'était trop beau. Un travail qu'on ne fait plus. Il faut du temps pour faire ça, se disait-il. Il faut avoir, se disait-il, du temps à perdre pour faucher comme ça."
Jean Giono
Au loin, la rumeur des klaxons de tracteurs gagnant le centre ville.
Alignés sur des kilomètres, aussi anachroniques que le serait un
troupeau de vaches dans un magasin d'ameublement. On les aime bien, car
on a tous au fond de la tête une Ferme du Soleil, une image de moissons,
un pâturage de vacances, l’Angélus de Millet, une Martine à la ferme,
et pour certains l'image d'enfance chez une grand-mère à la campagne.
L’attachement à la figure du paysan demeure, tandis que les agriculteurs
se font de plus en plus rares: la France compte en
effet moins de 390 000 exploitants agricoles, quand ils étaient
six millions dans les années 1940, et encore près de quatre
millions dans les années 1960.
L’image autour de la paysannerie a moins changé que le monde
réel, car elle cumule le rêve d’une terre calme et nourricière,
rattachée à des valeurs familiales et à une tradition morale qui par
ailleurs se dissolvent.
Lu dans:
Jean Giono. Que ma joie demeure. Éditions Thélème. 2018).
Marion Rousset. Le paysan, ou l’imaginaire fantasmé d’un monde qui disparaît. Le Monde. 26 février 2024
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