"Un jour, on découvre qu'on a un nouvel ami et qu'on y tient. C'est une
information accueillie avec calme. On n'est pas excité, survolté,
insupportable comme dans l'affichage d'un nouvel amant ou d'une
amoureuse tombée du ciel. L'introduction de ce bonus dans l'existence se
déroule tranquillement. L'amitié n'emménage pas. Elle respecte les
distances. Elle n'entame pas l'autonomie ni la liberté des nouveaux
amis. Elle ne mélange pas leurs emplois du temps, leurs nuits et leurs
petites cuillères. Ni obligations de charges ni contraintes par corps.
L'amitié est légère comme une brise de jardin."
Bernard Pivot
On appréciait le Bernard Pivot lecteur-animateur d’Apostrophes ou de
Bouillon de Cultures, dont les appréciations à l'écran du vendredi soir
faisaient exploser les ventes le samedi en librairie. Assagi par les
années, il se révèle maintenant par l'écriture de quelques ouvrages
intériorisés, à la mode de Montaigne réfugié dans sa célèbre
bibliothèque. Son dernier opus sur l'amitié est une belle réflexion
nous renvoyant à nos propres vies, à ces amis croisés, parfois
distanciés sans pour autant se voir oubliés, sur ceux ou celles dont la
parole fut précieuse, nous précédant sur le chemin en suggérant des
pistes, ou marchant dans nos pas sans qu'on s'en aperçoive. Volubiles ou
taciturnes, amis du soir sur la Toile, voisins de rue, beaufs, ..
l'amitié est la fille du hasard et des circonstances. Soudain ce soir à
les évoquer, j'entends comme dans un murmure les voix multiples de ces
ami-es se pressant dans la pièce où le livre de Pivot, ouvert sur le
bureau, ne sert que de prétexte à célébrer le bonheur qu'on eut à les
connaître. Sans eux, nous serions moindres.
Lu dans :
Bernard Pivot. Amis, chers amis. Allary Éditions. 2022. 160 pages. Extrait p.12