30 novembre 2020

Le coeurdonnier

 

"Je te vois monsieur le coeurdonnier
Oui je te vois dans ton atelier
Tu répares avec l'innocence d'un enfant
Tu recouds avec le sourire d'un passant
Tu recolles avec la douceur d'une maman
Tu tisses avec du jaune, noir et du blanc
Mais quand je regarde ce monde de fou
Je me dis que le coeurdonnier c'est nous."

            Soprano. Coeurdonnier


Rien de mieux qu'un petit remontant pour commencer un lundi. Ça ne coûte rien et c'est à notre portée à tous.

 

28 novembre 2020

Le monde d'après

"Le monde d'après c'était mieux avant." 
        du Bus


Imagine
qu'il n'y ait ni paradis
ni enfer
rien que le ciel là-haut
pas de pays
personne à tuer
pas de religion non plus
pas de possessions
d'avidité ou de faim
un monde fraternel
bien sûr je rêve
mais je ne suis pas le seul
vous joindrez-vous à nous?  
                John Lennon. Imagine


Avant, c'était quand? Le flower power des sixties, les moutons en Corrèze de l'après 68, Imagine de Lennon en 1971 ou la chute du Mur en 1989? Rêves lointains, comme vous avez vieilli. On ne renie rien, mais on réinvente sur des bases plus modestes, locales et coopératives. Rien n'arrête un rêve.  

 

Lu dans:
Frédéric du Bus, caricaturiste , dessinateur  de presse et humoriste. La Une, Le mug du vendredi 20 novembre 2020 

27 novembre 2020

C'est super, chéri

 

"Le 9 octobre 2009, aux environs de 6 heures du matin, le standard de la Maison-Blanche m'a réveillé en sursaut, et mon cœur s'est arrêté de battre un instant. Était-ce un attentat? Une catastrophe naturelle ? "Vous avez reçu le prix Nobel de la paix," m'a annoncé Gibbs. (..)  Quand j'ai raccroché, Michelle m'a demandé ce qui se passait. "J'ai reçu le prix Nobel de la paix." —  "C'est super, mon chéri ", a-t-elle répondu avant de se retourner pour finir sa nuit. Une heure et demie plus tard, Malia et Sasha ont déboulé dans la salle à manger où je prenais mon petit déjeuner. "C'est un grand jour, papa, a dit Malia en enfilant son sac à dos. T'as gagné le prix Nobel et c'est l'anniversaire de Bo! [leur chien]. — Et, en plus, on a un week-end de trois jours ! » a ajouté Sasha en sautant de joie. Après quoi elles m'ont déposé un bisou sur la joue et sont parties à l'école."
                Barack Obama


 

Il n'est de gloire qui résiste au regard de nos tout proches, au besoin de finir sa nuit, de l'anniversaire du chien ou d'un jour de congé.  Cela rassure, et nous protège contre l'inflation d'une image surfaite.


 
Lu dans:
Barack Obama. Une terre promise. Fayard. 2020. 840 pages. Extraits p.548

26 novembre 2020

Devine qui vient dîner ce soir?

 

"Depuis des années, j'exigeais de Michelle courage et compréhension vis-à-vis de mes entreprises politiques, et elle en avait pleinement fait preuve - à contrecœur - mais avec amour. Et chaque fois je revenais à la charge, et j'exigeais plus encore. Pourquoi lui faire subir une telle épreuve ? N'était-ce que de l'orgueil de ma part? Ou quelque chose de plus sombre peut-être, une ambition dévorante et aveugle, dissimulée sous le voile diaphane de beaux discours altruistes ? Ou bien cherchais-je encore et toujours à prouver ma valeur aux yeux d'un père qui m'avait abandonné, à me montrer digne des espoirs que ma mère avait placés en moi, éblouie d'amour pour son fils unique, et à vaincre ce qui subsistait en moi du complexe d'être né métis ? « C'est comme s'il y avait un trou que tu t'acharnes à vouloir combler, m'avait dit un jour Michelle, au début de notre mariage, après une période où elle m'avait vu travailler jusqu'à l'épuisement. C'est pour ça que tu ne peux pas ralentir. »
En réalité, je pensais avoir résolu toutes ces questions depuis longtemps, avoir réussi à atteindre l'équilibre à travers mon travail, la sécurité et l'amour grâce à ma famille. Mais je me demandais à présent si je serais jamais capable d'échapper à cette plaie invisible qu'il me fallait constamment guérir, cette impulsion mystérieuse qui me poussait à vouloir toujours plus."  
                            Barack Obama



 
Depuis une semaine, de soir en soir, je retrouve mon invité avec lequel je converse en tête à tête dans le silence du salon où la nuit est tombée. Il me raconte ses doutes, les taquineries de sa femme ("et toi, réfléchis bien au canapé dans lequel tu dormiras à ton retour, a-t-elle répondu sur un ton guilleret. Ce n'est pas le choix qui manque à la Maison-Blanche!"), ses interrogations face aux mobiles secrets de notre besoin de laisser trace. Il se confie, et c'est moi-même que j'explore, quelle est cette brèche intérieure qu'on s'acharne durant toute une vie à vouloir combler?  Plus qu'un livre de mémoires, une invitation au voyage au sein de chacune de nos propres existences.
 



Lu dans:
Barack Obama. Une terre promise. Fayard. 2020. 840 pages. Extraits p. 104, p.434

25 novembre 2020

Une lecture de Virgile

 

"Le vieux berger était déjà loin, là-bas dans la pente. Ça suivait tout lentement derrière lui. C'était des bêtes de taille presque égale serrées flanc à flanc, (..)  de bonne santé et de bon sentiment, ça marchait encore sans boiter.  Le vent de la nuit venait faire son nid dans la laine des oreilles et les agneaux couchés comme du lait dans l'herbe fraîche, et les pluies. "  
                                Jean Giono



Ce matin, entre deux visites, j'ai croisé un troupeau de moutons, guidé par un vrai berger et son chien. Le Ring Ouest, à 200 mètres, était encombré, une ambulance de réanimation tentait de s'y frayer un passage vers l'hôpital Érasme tout proche. Un couple de hérons guettait une proie entre les roseaux dans l'étang de décharge desservant l'autoroute, entre une rangée de mouettes pensives alignées comme avant une parade. Il n'est rien de mieux que quelques brebis et leurs agneaux pour s'envoler dans le temps et l'espace. Qui n'a rêvé d'acquérir une bergerie en Provence, ou comme Tityre de s'endormir sous un hêtre en jouant du pipeau. Un court instant, j'étais redevenu cet enfant couché dans la garrigue. Ma ville, terre de contrastes.


Lu dans:
Jean Giono. Le grand troupeau. Gallimard. 1972. 256 pages.

24 novembre 2020

Images de La Pietà

 

Eli, Eli, lema sabaktani.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?   
         Mathieu. 27:46


Son image m'a hanté depuis hier. Elle est venue prendre des nouvelles de son fils, au respirateur depuis deux semaines, sans espoir de guérison. Elle l'a pressenti mais attend une confirmation, que je peine à prononcer. Elle s'effondre, étage par étage, je la vois se tasser et pleurer en silence, interminable. Les mots qui viennent, imperceptibles, "j'ai tant prié, tout cela pour rien", sonnent comme un double deuil: celui de son fils, celui de sa foi et on ne sait lequel est le pire. Que si peu de mots de ma bouche puissent provoquer pareille douleur me font douter que mon choix fut le bon: un peu de mensonge, et l'espoir qu'il entretient, ne sont-ils parfois pas préférables à l'énoncé de la réalité. C'est trop tard de toute façon, elle se lève en silence, se retourne et s'en va voûtée comme je ne l'ai jamais vue. Tout n'a duré que cinq minutes, qui résument six mois de lutte contre une maladie sournoise que personne n'avait imaginée et dont nul ne sort indemne.

 

23 novembre 2020

L'élégance de John Mc Cain

 

"Le reste de la soirée n'est pour ainsi dire qu'un grand flou dans ma mémoire. Je me souviens du coup de fil de John McCain, aussi élégant que le serait le discours qu'il prononcerait pour concéder sa défaite. Il m'a dit que l'Amérique pouvait être fière de ce moment historique et il s'est engagé à faire tout son possible pour m'aider à réussir. J'ai reçu des appels de félicitations du président Bush (*) et de plusieurs dirigeants étrangers. Je me rappelle avoir fait la connaissance de la mère de Joe Biden, qui du haut de ses 91 ans a pris un malin plaisir à me raconter qu'elle avait grondé son petit Joe d'avoir pu envisager même un seul instant de refuser d'être mon colistier." 
                    Barack Obama, apprenant son élection le 4 novembre 2008

 

Les mémoires du président Obama sont une bouffée d'air frais par temps maussade. Toutes les transitions ne se ressemblent pas, et on mesure l'ampleur du gâchis dont est responsable l'actuel président des Etats-Unis à la lecture des paroles de John McCain et du président Bush, prononcées dans l'heure qui suivit l'annonce du résultat de l'élection en 2008.


Lu dans:
Barack Obama. Une terre promise. Fayard. 2020. 840 pages. Extrait p. 269 
(*) "Je promets que cette transition se passera en douceur. Vous êtes sur le point d'entreprendre l'un des plus grands voyages de votre vie. Félicitations, je vous souhaite d'y trouver du plaisir." George W. Bush

20 novembre 2020

 

"S'il fallait attendre d'y être suffisamment préparé, demain n'arriverait jamais. "
                Xavier Gorce.




Lu dans:
Xavier Gorce. Les indégivrables. Le Monde . 13 novembre 2020 

19 novembre 2020

La boulangerie normande

 

"N'importe qui peut éprouver à un moment ou l'autre la stupeur d'être."
                    Roger Vailland
 


La stupeur d'être emprunte parfois des chemins inattendus. On marche, une cordée de soucis plein la tête, et soudain la plénitude :  l'odeur du pain frais et des viennoiseries s'échappant du fournil de la Boulangerie normande de ma rue. Plus vieillot que ça tu meurs, je l'ai toujours connue et sa présence me rassure, ainsi que la file en attente des meilleures baguettes de ce coin de ville. Çà chatouille agréablement les narines et vous prend par la main vous invitant d'y entrer: c'est encore meilleur quand on mange. Que persiste ainsi le savoir-faire d'un boulanger transformant les produits de la terre en sensation pure, puissante, instantanée, gratuite, plus forte que les contrariétés du quotidien, demeure une expérience rare.


18 novembre 2020

Livraison lente

 

"Avez-vous déjà rencontré un plateau-repas dans un ascenseur ? C’est ce qui m’est arrivé ce week-end. J’ai commandé à dîner sur internet. Quand l’interphone a sonné, j’ai indiqué le troisième étage. Une voix m’a demandé s’il y avait un ascenseur. Bizarre : un repas pour quatre, si lourd… ? J’ai ouvert la porte pour accueillir le livreur, et j’ai entendu l’ascenseur monter. Mais il n’y avait personne dedans. Juste le colis fumant."
                        Michel Eltchaninoff



Faire de l'ascenseur un drone de livraison, le support de la fête devenu simple marchandise, voilà qui n'est guère romantique. Ce ne sera pas le cas de ce vieux couple, car ce soir, il y a cinquante ans... Elle a garni la table, imaginé le menu, choisi les ingrédients, fait mijoter la cocotte, chambré le vin, confié l'ambiance sonore à Glenn Gould,  crié "à table". Elle s'inquiète si c'est chaud, si c'est bon, elle s'inquiète de lui en somme. Les paroles sont rares et denses, espoirs, regrets, nouvelles confidences libérées quand le vin est doux et la chaire savoureuse. Un repas c'est de la matière qui se fait esprit. Notez que, comme le relève avec finesse Michel Eltchaninoff, les boutiques, c'est un peu la même chose. Ce qui nous manque le plus maintenant que leurs volets sont clos, "ce ne sont pas les produits qu'on y achète, mais le commerce avec les commerçants. Oh, un tout petit commerce : des politesses, des propos banals, des questions de béotien et des conseils de spécialistes, des blagues – la petite monnaie de la discussion. Sans ces conversations anodines et aussitôt oubliées, le commerce a nettement moins de saveur." Un repas anniversaire, et les emplettes qui le précèdent, l'essentiel est l'impalpable.


Lu dans:
Michel Eltchaninoff. La lettre de Philosophie Magazine. 16 novembre 2020

17 novembre 2020

Ces moments de magie

 

"Je n’avais plus la force et l’envie d’aller faire ma guerre
je n’avais plus de souffle pour faire tourner la roue
jusqu’au jour où le destin vous a mis sur ma route
on a tous un jour eu ce moment de magie
un mot, un sourire, une histoire et l’espoir refleurit.

Vos mots, vos sourires et vos larmes m'ont sauvé la vie
vos combats m’ont appris à encaisser les coups
et votre persévérance à me remettre debout
vos valeurs m’ont appris ce qu’est vraiment être un humain.

Ces mots vous sont adressés
peut-être qu’ils vous feront l’effet qu'ils ont eus sur ma vie
à tous ces héros malgré eux je voulais dire merci."

                Soprano. A nos héros du quotidien


Comment avec dix mots créer un moment serein. On les appelait les Simples, ces plantes médicinales cultivées à l'ombre des abbayes et qui pansaient les plaies. A ma consultation cet après-midi, une simple, octogénaire modeste et isolée, dont l'existence est faite de craintes et d'écoute compulsive des journaux d'information. Un petit studio sous les toits, d'où elle part en expédition vers ses trois continents: la pharmacie, le Colruyt, le Delhaize. Sur sa route, une pause, seul contact "humain" de ses journées, un énorme chien de berger yougoslave à l'encolure large et aux yeux d'amande affichant une expression de tranquillité, mais jamais de crainte. Il lui fait une fête à cent mètres, elle lui apporte des biscuits vitaminés canins, une vraie rencontre. Elle imagine sa vie, il doit se sentir seul comme elle pour la célébrer ainsi quand elle lui balance des "mon petit chou" et des "je t'aime tu sais bébé". Et elle rentre chez elle en attendant demain. 


15 novembre 2020

Demain n'est jamais sûr

 

"Henry Ford rappelait que s’il avait pris le temps de demander à son marché ce qu’il désirait à l’époque où il concevait son célèbre modèle T, il lui aurait été répondu :  « Des chevaux plus rapides. »
                            Idriss ABERKANE
 


La prédiction est un art difficile, dit-on, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. Rarement comme lors de ces dernières semaines aurons-nous tenté d'imaginer ce qui surgira des bouleversements qui ont surgi dans nos vies cette année. Ni nécessairement négatif, ni exagérément porteur de progrès avec le regard que permet la situation actuelle. Mais n'espérons-nous pas des chevaux plus rapides plutôt que l'imprévisible inattendu? En début de XXème siècle, les édiles londoniens prédisaient que les rues de la ville, sous l'affluence des cochers, seraient rapidement submergées par 20 à 30 cm de crottin de cheval. Il n'en fut rien comme on put le noter, mais quel est le crottin que nous redoutons actuellement?


 

Lu dans:
Idriss ABERKANE. L'Âge de la connaissance. Laffont. 2018. 374 pages. 

14 novembre 2020

Lignes à un ami

 

"Ne répète que ce que tu penses être vrai, et non la rumeur
de ceux que tu croises ne garde que les qualités
sois un confident        et ne répands pas ce qui relève de l'intime
écarte le voile de la colère mauvaise conseillère
ne gaspille rien de ce qui t'est donné     et tu ne seras pas dans le besoin
honore la lumière en chacun     ne fais pas de comparaisons
ni de toi        ni des autres
considère chaque être et chaque chose comme unique
respecte toute vie        apprends  chaque jour
ne tue pas
Agis maintenant  et ce que tu crois devoir faire, fais-le."
                     Librement adapté d'un écrit amérindien




13 novembre 2020

Sagesse du confinement

 

"Que sont les planches sans les arbres desquels elles sont issues ?
Que sont nos vies sans nos ancêtres ?
Qu'est le pain sur notre table sans le champ doré ?" 
                        Philippe Devuyst

 

Les êtres humains ne sont pas des îles séparées, mais des péninsules reliées au continent par leur passé et leur histoire. Comme l'énonçait John Donne "aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble."  Jamais autant qu'en cette année de confinement, je n'aurai entendu tant de personnes évoquer leur famille, le besoin de retrouver des amis, d'embrasser leurs petits-enfants, la nécessaire transmission entre les générations. Des parents disparus reviennent à la mémoire, tel et tel ami perdu reprend sa place à la table des souvenirs. Comme si l'absence redonnait vie aux liens. Le confinement dilaterait-il l'espace intérieur pour donner une place accrue à l'autre ?
 


Lu dans:
John Donne (1572-1631). Méditations en temps de crise. Trad. F. Lemonde. Paris, Payot et Rivages. 2002. p.71-72
cité dans : Nuccio Ondine. Eloge des savoirs inutiles. Actualité de l'humanisme. Libres héritiers de la Renaissance. Presses Universitaires de Louvain. 2019. 136 pages. Extrait p. 49

12 novembre 2020

Sagesse amérindienne

 

"Qu'est-ce que la vie?
C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit,
C'est le souffle d'un bison en hiver.
C'est la petite ombre qui court dans l'herbe et se perd au coucher du soleil."  
                    Sagesse amérindienne


 

Mieux vaut être un loup en France qu'un vison au Danemark. Le pays, premier producteur de fourrure en Europe, a décidé d'abattre entre 15 et 17 millions de visons d'élevage. Ces derniers auraient transmis à plus de 200 personnes le Covid-19, en version mutée ce qui représente une menace pour le développement de vaccins. J'avais du vison une image assez sympathique, ainsi que du Jutland où on l'élève, vision portée par le Festin de Babette et Legoland. Je tente d'imaginer ce que représente une population apeurée de 17 millions de visons, serrés les uns contre les autres, et comment s'en débarrasser. La tentation d’ânonner Hamlet “something is rotten in the state of Denmark" n'évitera pas de nous interroger sur les raisons d'une pandémie qui nous révèle à nous-mêmes. Il faudra plus qu'un vaccin pour nous guérir d'une vision du monde porteuse de sa propre destruction. 



Lu dans:
Dhyani Ywahoo. Sagesse amérindienne. Editions de l'Homme. 1999. 286 pages
Shakespeare, Hamlet Act-I, Scene-IV
Novethic.fr. Le Danemark obligé d'abattre des millions de visons après une mutation du Covid-19

11 novembre 2020

Ce jour férié qui n'est pas une fête

 

"Qu'est-ce que la guerre? Le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas.
Un amplificateur d'héroïsme et de bassesse. La meilleure part des hommes, et la pire. La fureur de vivre décuplée par l'imminence de la mort."
               Paul Valéry 


L'Armistice, ce jour férié qui n'est pas une fête. Une pause  de silence pour conjurer ce "malheur pire que les massacres, ces morts vite oubliés", même si la mémoire du passé ne garantit jamais l'avenir.  La semaine passée lors de la traditionnelle visite au cimetière  à mes parents, j'ai été me recueillir avec quelques-uns de mes petits-enfants au champ d'honneur sur la tombe  du grand-père que je n'ai jamais connu. C'était la première fois, et on chercha longuement l'emplacement, perdu parmi des dizaines d'autres stèles semblables. Il m'aura fallu du temps pour que l'envie de lui rendre ce tardif hommage survienne. La prémonition de l'oubli, formulée par Maurice Genevoix, était bien réelle. 


Lu dans:
Paul Valéry, cité par François Henri Désérable. Un certain M. Piekielny. Gallimard. NRF
Maurice Genevoix. Ceux de 14. Flammarion. 1949. 953 pages.

10 novembre 2020

Le corbeau, le loup et la carcasse

 

"Chez les perruches d’ailleurs, et les perroquets, ainsi que les corvidés –  qui sont bien connus pour leur grande intelligence, notamment les corneilles, les pies et les geais  –, le rapport entre masse cérébrale et masse corporelle est comparable à celui des grands singes et des cétacés. En outre, leur mémoire sémantique est remarquable, ils peuvent compter et utiliser des outils, voire coopérer ou manipuler d’autres animaux pour profiter de leur présence, à l’instar des corbeaux qui appellent les loups pour qu’ils éventrent les carcasses qu’ils convoitent."  
                            Idriss Aberkane


L'histoire ne dit pas comment le corbeau gratifie le loup pour sa coopération, mais nous rappelle que même des vilains pas beaux peuvent appliquer le principe de la somme gagnante. Paires désaccordées rencontrées aussi chez les humains, lui qui fait les grosses courses, ramène la bière, assure la navette entre le médecin et le pharmacien pour se procurer prescriptions et médicaments; elle qui reprise, récure, lui garde une part de sa ration alimentaire détournée de la cantine communale, mixe la pâtée pour son chien, lui chauffe le lit certains soirs. Il pique dans la caisse commune, elle arrondit les fins de mois, et on ferme les yeux car cela arrange tout le monde. Les couples les plus improbables, pas pacsés pour un sou, bâtis sur l'éphémère et la nécessité nous étonnent parfois par leur durée.



Lu dans:
Idriss Aberkane. L'Âge de la connaissance. Laffont. 2018. 374 pages. Extrait p.241.
Daniel Stahler, Bernd Heinrich et Douglas Smith.  Common ravens, Corvus corax, preferentially associate with grey wolves, Canis lupus, as a foraging strategy in winter. Animal Behaviour, 64, no 2. 2002. Extrait p. 283-290.

08 novembre 2020

Réflexion à l'ombre de la collégiale

 "Une Grenouille vit un bœuf
qui lui sembla de belle taille..."   
                Jean de la Fontaine


A l'écoute des nouvelles du monde, coincé derrière deux énormes camions qui tentent de se croiser dans une ruelle construite à l'ombre de la collégiale pour des charrettes à bras et des cochers, s'impose soudain comme une évidence l'inadéquation entre ces véhicules de taille monstrueuse et ce lieu de vie ancestral. Je patienterai donc dans l'auto, heureux de bénéficier de dix minutes de réflexion sur ce qui apparaît comme une des raisons du désordre ambiant: l'inflation de nos envies dans un costume non prévu pour les habiller. 


Je vous souhaite une bonne semaine.
CV

 


Lu dans:
Jean de la Fontaine. Fables. Le Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Boeuf.  

07 novembre 2020

Sagesse de Francis Dannemark

 

"Il se passe parfois des choses terribles dans les contes de fées." 
                        Francis Dannemark
 
 

Il était un patient comme on les aime, mais avait en permanence l'air triste. Un jour, plus disert  que de coutume, il confia qu'il avait perdu sa fille cinq ans plus tôt. Elle l'avait invité à se rencontrer, car elle avait quelque chose d'important à lui confier. Cinq jours après, avant qu'ils se soient revus, elle était morte dans un accident de voiture. Inconsolable il s'interroge inlassablement sur le secret perdu.

L'histoire est, hélas, réelle et le patient bien vivant. Mes journées sont bâties de romans réels, drôles ou tragiques, et parfois les deux ensemble. Ce récit m'est revenu instantanément en mémoire à la lecture du dernier ouvrage de mon ami Francis Dannemark. Roman-feuilleton écrit au départ pour une seule amie lectrice confinée au fin fond du Béarn durant le printemps 2020, jour après jour, chapitre par chapitre, tandis que le monde, pour de tout autres raisons, retenait sa respiration. On y parle d’amour, d’amitié et surtout de dignité dans le dénuement, ce qui par les temps qui courent, n'est guère accessoire. 



 
Lu dans:
Francis Dannemark. La misère se porte bien. Kyrielle 2020. 322 pages. Extrait p.75. Sort de presse  aujourd'hui, tirage limité disponible uniquement chez l'auteur francis.dannemark@gmail.com
Découvrir et lire les premières pages :  cliquer ici

06 novembre 2020

Si vulnérables

 

"Nous ne sommes rien
Que des jouets pour des mirages
Les pierres sauvages
D'un sentier de couleur
Reliant des silences
Les étincelles au passage
D'une étoile qui danse
Et ne s'arrête pas.  "
            Thibault Wautier


Et soudain, au courrier,  quelques lignes d'amitié envoyées par un jeune collègue généraliste qui m'exprime ses sentiments mêlés au terme de longues semaines bousculées par le Covid-19, évoquant notre vie fragile et précieuse.  Est-ce un hasard qu'il me partage ces réflexions au moment où se révèlent de concert la vulnérabilité extrême du "vivre ensemble" aux Etats-Unis et la fragilité de notre société bousculée par le plus petit des virus, ne possédant ni intelligence ni pensée complexe. Accroché cette nuit aux news de CNN nous interrogeant sur la semaine à venir, surgit l'incontournable interrogation: et chacun de nous, où en serons-nous à la fin de la semaine?


03 novembre 2020

Ce matin j'ai rencontré Christophe Colomb

 

"Beaucoup de confessions sont sans doute sincères, mais sont-elles vraies pour autant ?"   
                        Carole Martinez



 
Je laisse ma main caresser le bois de mon bureau. Il en a tant entendues, en tant d'années, des histoires de passions déçues, des rêves de carrières, d'expéditions et d'aventures plus romanesques les unes que les autres, toutes ces vies dont on rêve avant de les confier sous le sceau du secret comme pour leur donner une existence réelle. "Petite fille, je dansais comme personne, mais ma mère ...", "je voulais faire médecine, quand vint la guerre", "nous allions nous marier en Écosse au printemps, quand j'appris qu'il en épouserait une autre". Destinées manquées ou rêves prolongés sans connaître de réveil?  Je tente d'imaginer l'autre récit, l'enfant pataude devant le miroir de sa chambre esquissant un entrechat sans grâce, la grande sœur soignant sa  cadette comme quand je serai médecin, le bel aviateur anglais croisé sur une plage romantique et rentré au pays concret après la guerre, tout ce réel supplantant des vies rêvées qui auraient été si belles. Et si ces histoires construites appartenaient à un chemin nécessaire pour survivre, une image de soi plus excitante que la silhouette délavée qu'on traîne, une fiction qui permettrait d'accepter la réalité? Faut-il vraiment casser le rêve d'Elvira Madigan quand elle s'autorise, le temps d'une consultation, un court moment de romanesque auquel elle demeure la seule à croire?



 
Lu dans:
Carole Martinez. Les roses fauves. Gallimard. Collection Blanche. 2020. 352 pages. 

02 novembre 2020

La petite fille d'Auschwitz

 

"De quelle nuit es-tu venue ?   
De quel jour ?    Soudain tu es         
Au cœur de tout.       Les iris
Ont frémi ; le mot est dit."     
                        François Cheng


Certains jours nous étreignent l'infinie petitesse des gestes posés en une journée, la modestie des paroles dites, le sentiment d'une vie qui n'aura pas pesé bien lourd à l'échelle de la planète. On aimerait laisser trace et chaque matin inlassablement la marée lisse le sable. Ce sont des jours où il faut relire Vladimir Jankélévitch et sa Vie d’une petite fille inconnue. "Du moment que quelqu’un est né, a vécu, il en restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas dire quoi. Nous ne pouvons plus faire désormais comme si ce quelqu’un était inexistant en général ou n’avait jamais été : jusqu’aux siècles des siècles il faudra tenir compte de ce mystérieux « avoir été ». Le « déjà plus » n’est plus rien en effet, mais on ne dirait pas « il n’est plus » s’il n’avait jamais été ! Métaphysique est la différence entre « il n’est plus » et « il n’est pas ». Le « plus rien » est distinct à jamais du néant pur et simple. Il est sauvé de l’inexistence éternelle, sauvé pour l’éternité. Cet « avoir été » est comme le fantôme d’une petite fille inconnue suppliciée et anéantie à Auschwitz. Un monde, où le bref passage de cette enfant sur la terre a eu lieu, diffère désormais irréductiblement et pour toujours d’un monde où il n’aurait pas eu lieu. Ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été."  Modeste contribution pour donner à ce Jour des morts un essai de sens transcendant les croyances. 



Lu dans:
François Cheng. Enfin le Royaume. Quatrains. Gallimard. Collection Blanche. 2018. 160 pages.
Françoise Schwab. Vladimir Jankélévitch. Les paradoxes d'une éthique résistante. Revue d'éthique et de théologie morale. 2009/2. n°254. pp.27-50