"J'avais souvent comparé la conduite de mes parents à ces tapisseries au canevas que ma mère brodait avec patience et régularité durant nos veillées. Et maintenant, il me semblait découvrir l'envers de l'ouvrage; derrière les lignes symétriques et les beaux ornements aux tons francs, j'apercevais les fils embrouillés, les nœuds, les mauvais points."
Jacques de Lacretelle. Silbermann. 1922
La distance peut être parfois grande entre les propos spirituels et
les actes réels, et peu d'images décriront mieux que celle de l'envers
du canevas aux "fils embrouillés, nœuds et mauvais points" la stupeur
ressentie en apprenant la double existence de Jean Vanier, fondateur de
l'Arche. Rares furent les hommes à ce point sanctifiés de leur vivant,
dissimulant un versant sombre dans une clarté proclamée qui améliorait
nos existences. Comme le suggère Charles Delhez dans une chronique
inspirée par ces révélations, "nous sommes ici face au mystère de tout
un chacun, où ivraie et bon grain sont souvent mêlés. Il nous faudra du
temps pour accuser le choc, tenter de comprendre et trouver l’attitude
intérieure juste. Une fois de plus, notre tâche est de sauver
l’espérance et de continuer à croire en l’être humain." Le hasard des
lectures me fait croiser dans la même heure le communiqué de l'Arche
jetant le discrédit sur son emblématique fondateur et la fin du beau
roman Silbermann. "Chacun de nous se voit soudain
confronté à la vision d'une vie (..) au cours de laquelle on s'écorche
davantage chaque jour. Ne savais-je point maintenant que sur les sommets
auxquels j'avais rêvé d'atteindre, nul humain ne vivait (..) et qu'il
n'est point d'âme, toute vertueuse et toute tendue à la sainteté qu'elle
est, qui puisse s'élever hors de l'imperfection humaine." En un
certain sens, cette imperfection rassure, détruit l'idole au bénéfice de
l'humain aux mains et pieds dans la boue, pétrissant un quotidien pas
toujours net mais tellement proche de celui qu'on affronte chaque jour.
Mieux vaut être humain que saint, la désillusion est moins grande.
Lu dans:
Jacques de Lacretelle. Silbermann. Gallimard. 1922. Folio n°417. 124 pages. Extraits pp. 115, 119 et 124.
Jacques de Lacretelle. Silbermann. Gallimard. 1922. Folio n°417. 124 pages. Extraits pp. 115, 119 et 124.
Charles Delhez. Jean Vanier : entre lumière et ténèbre. LLB du jeudi 27 février 2020.