"J'existe."
Sagesse des bancs publics
Au centre de Bruxelles survit un espace de cloche, de camelots, de petits
commerces et restos d'ambiance, de
vieilles façades Art Nouveau que j'apprécie par-dessus tout. On y
bouquine, on y croise une planète de personnages étranges et il y
reste de la place pour rêver. Sur un banc, gravée au canif, cette
inscription étrange: "J'existe". Me reviennent comme un cri ces
quelques mots lus je ne sais plus où, ni quand : "Si je ne suis
moi, qui le sera?" C'est le bon moment et le bon endroit pour
relire Henning Mankel à voix basse, pour soi seul, assis au soleil
sur le banc gravé en rêvassant un court moment au sens des choses.
"Alors que je me tiens debout là, dans le froid, à regarder les affiches, je vis l'un des instants décisifs de mon existence, un instant qui la marquera à tout jamais. Je m'en souviens avec une acuité presque surnaturelle. Soudain, je suis assailli par une idée totalement neuve. Une idée inouïe. C'est comme une décharge électrique qui me traverse. Les mots se forment tout seuls dans ma tête: « Je suis moi et personne d'autre. » C'est à ce moment précis que j'acquiers mon identité. Jusqu'à cet instant, mes pensées et réflexions étaient à peu près celles qu'on peut attendre de la part d'un garçon de mon âge. À présent, voilà qu'un état tout différent prend le relais. L'identité suppose un état de conscience. Je suis moi et personne d'autre. Je ne peux échanger ma place avec personne. La vie devient une question sérieuse. J'ignore combien de temps je suis resté figé sur le trottoir, dans l'obscurité, en présence de cette découverte bouleversante. Je me souviens juste que je suis arrivé en retard à l'école."
Henning Mankell. Sable mouvant. Seuil 2015. Points 380 pages. Extrait pp. 23, 24
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