"Avec une précaution infinie, comme s’il touchait un objet fragile, il tira du carton un passepartout qui encadrait une feuille de papier vide et jaunie. Prudemment, du bout des doigts, il la souleva devant ses yeux éteints et la contempla avec enthousiasme, sans la voir. Tout son visage exprimait l’extase magique de l’admiration. Tout à coup, était-ce le reflet du papier ou une lumière intérieure, ses pupilles figées et mortes s’éclairèrent d’une lueur divinatrice."
Stefan Zweig. La Collection invisible.
Dans une nouvelle écrite en 1922 Stefan Zweig donne vie à un
collectionneur d’estampes âgé, aveugle, dont la famille a déjà vendu
l'essentiel. Il ne le sait pas, il ne le voit pas. Il demande à un
amateur d’art de venir l'admirer avec lui, lequel n'a pas le courage
de tuer le rêve et commente la beauté supposée des feuilles de
bristol jaunies et vides. "De nouveau, ses yeux éteints
s’illuminèrent. Je sentais à la caressante pression de ses doigts
que c’était toute son âme qui se confiait à moi. Jamais je
n’oublierai la joie de cet homme." Ou comment une vraie misère - la
cécité - rencontrant un vice - le mensonge - peut rendre un homme
heureux. Le bonheur est décidément chose bien complexe.
Lu dans:
Stefan Zweig. Die unsichtbare Sammlung. La collection invisible. 1922. Publié en français dans le recueil intitulé La Peur. Traduit par Manfred Schenker. http://www.wikilivres.ca/wiki/La_Collection_invisible
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