"Pendant une semaine, les festivités pascales avaient jeté leur lustre
sur tout le village, remplissant chaque maison de gâteaux pascals et
d’œufs rouges. Elles avaient rayonné sur les jardins et les avaient
couverts de fleurs. Leur éclat s’était fait sentir jusque sur les rudes
caboches des paysans ; l’ivresse en avait chassé pour quelques jours les
froids calculs de l’intérêt. Pendant une semaine, la vie, ayant rejeté
le joug de ses misères, s’était faite plus légère."
Nikos Kazantzakis
L'enfant en moi garde des matins de Pâques le souvenir d'une légèreté de
l'air sans pareille, d’œufs multicolores maladroitement dissimulés pour
nous laisser la joie de trouver sans l’amertume de chercher en vain.
Émois d'enfance qui n’en dureront pas moins à travers Pâques et l’été,
et à travers Noël, et toutes les années à venir. Quelle que soit notre
relation à la transcendance, le récit de Pâques et de la Passion, lu ou
mis en scène avec un art consommé du suspense par des acteurs improvisés
dont nous étions, sa gradation dramatique, son mystère, ses traîtres,
ses moments de tendresse, son acmé tragique et son happy end ont
intimement structuré notre relation à l'existence et aux autres. Le cri
de désespoir et d'abandon "eli eli lama sabactani", les ténèbres
sur le Golgotha, le voile du temple qui se déchire n'étaient séparés
que d'une journée de la joie du jardinier devant le tombeau ensoleillé
"femmes, ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant". Message
d'envoi pour ce qui constituerait notre propre existence, alternant les
périodes d'échec et de renaissance: la désespérance peut se voir
surmontée. Images fondatrices dont j'ai personnellement gardé un
souvenir heureux.
Et puis...
"quand tout est fini, que tous les œufs ont été trouvés, à grands cris
et grand émoi, personne ne s’aperçoit que l’on a oublié un œuf. Personne
ne l’a trouvé, personne ne s’en est inquiété. Un œuf qui restera, sera
détruit, ne laissera pas de trace. N’en est-il pas ainsi de la plus
grande partie de notre passé, de ceux que nous aimons, de nous-mêmes ?
J’oublie déjà tant de noms…" (Jacqueline de Romilly)
Je vous souhaite une heureuse fête de Pâques. Les pensées entre café et
journal prennent quelques jours de repos et de silence, ne vous
inquiétez pas, ce n'est pas votre connexion Internet qui fait défaut.
Belles vacances à ceux qui en bénéficient.
CV
Lu dans :
Nikos Kazantzakis. Le Christ recrucifié. Ed. Pocket. 2002. 347 pages
Jacqueline de Romilly. Les oeufs de Pâques. Prologue à Astropoulos est mort. Fallois. 1992. 232 pages