"C'était au temps où Nasreddin était contrebandier. Il passait tous les matins la frontière avec un âne chargé de ballots. Tout le monde savait qu'il faisait de la contrebande. Il ne s'en cachait d'ailleurs pas. Tous les matins les douaniers fouillaient les sacs, examinaient la bête, à rebrousse-poil, de la queue au museau. Rien. Ils ne trouvaient jamais rien. Cela dura vingt ans ainsi. Et puis un jour le chef douanier, blanchi sous le harnais, retrouve Nasreddin à la maison de thé. «Tu sais, lui dit-il, je suis maintenant à la retraite. Tu peux me parler sans danger. Que diable passais-tu, à la frontière ? » Et Nasreddin : « Des ânes. Je passais des ânes. »
H. Gougaud
On ne voit pas ce qui crève les yeux, c'est bien connu. On s'acharne à
tenter de comprendre la vie, et elle passe. Un délicieux livre scrute la
"philosophie artisanale" recelée dans les contes, ces histoires
imaginaires venues du fond des temps destinées à instruire en amusant.
Les Romains croyaient au fatum librorum, au destin des livres. Tant
qu'une oeuvre est nourricière, pensaient-ils, elle dure quelles que
soient les difficultés de son cheminement. Les contes ont duré, il sont
là, toujours présents dans notre drôle de monde. C'est donc qu'ils ont
encore à nous apprendre, quelque chose d'essentiel.
Lu dans:
Henri Gougaud. Le rire de la grenouille. CarnetsNord. 2008. 184 pages. Extrait pp. 32, 33