"Des centaines de millions d'êtres humains partagent ainsi, et depuis peu, un bien étrange condition: ils sont à la fois connectés et affamés."
Jean Claude Guillebaud.
L'accès au monde virtuel (via Internet, la téléphonie mobile, la multiplication des écrans de toute sorte) connaît une croissance de type épidémique, occultant quelques réalités qui font mal: sept cent millions d'humains n'ont pas accès à l'eau potable, 2.6 milliards ne dispose pas d'un équipement sanitaire minimal (*), 3 milliards disposent de moins de 2,5 $ pour assurer leurs besoins quotidiens. Comparaison choquante en première approche, quand on compare les sommes nécessaires pour assurer l'équipement collectif en eau et à l'extension des réseaux immatériels. L'un ira-t-il sans l'autre? La pauvreté d'aujourd'hui est de se voir privé d'accès à un monde interconnecté.
Lu dans :
(*) Rapport Programme conjoint OMS/Unicef 2009.
Jean-Claude Guillebaud. La Vie vivante. Les Arènes. 2011. 280 pages. Extrait 55
31 mai 2011
29 mai 2011
Le mot juste
« J'aimerais terminer sur un message d'espoir. Je n'en ai pas.
En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ? »
Woody Allen
Inévitablement, on sourit, et c'est le début d'une rencontre. Les (bons) mots demeurent ce qu'on a trouvé de meilleur pour affronter la détresse et créer du lien.
28 mai 2011
Des nuits plus belles que les jours
"Je dors bien la nuit, mal le jour."
Louis Althusser
On sourit, et pourtant. Il m'est arrivé d'interroger sur le contenu d'une journée des patients souffrant de dépression profonde. "Les jours où je vais moins mal, je regarde un peu la télévision et je parcours le journal, sinon je me repose." Donner un contenu passionnant à ses journées demeure un cadeau, jamais acquis. S'éveiller avec la perspective de "vivre un jour" est déjà du bonheur.
Lu dans :
Jean Birnbaum Althusser, le lyrisme et la déraison Le Monde des Livres . 27 mai 2011. p.1
Louis Althusser. Lettres à Hélène. Grasset/IMEC, 720 p.
26 mai 2011
Marcher n'est pas un sport
"Marcher n'est pas un sport."
"Pas de résultat, pas de chiffre quand on se rencontre: le marcheur dira quel chemin il a pris, sur quel sentier s'offre le plus beau paysage, la vue qu'on a depuis tel promontoire. La marche, on n'a rien trouvé de mieux pour aller plus lentement. Pour marcher, il faut d'abord deux jambes. Le reste est vain. Aller plus vite? Alors, ne marchez pas, faites autre chose: roulez, glissez, volez. Ne marchez pas. Et puis, marchant, il n'y a qu'une performance qui compte: l'intensité du ciel, l'éclat des paysages. Marcher n'est pas un sport. Mais une fois debout, l'homme ne tient pas en place. ."
Lu dans :
Frédéric Gros. Marcher, une philosophie. Champs Essais. 2009. 315 pages. Extrait p. 8, 9.
25 mai 2011
La douleur d'aimer
" C’est de la douleur d’aimer, ça c’est bien sûr, mais c’est tout pire de ne pas aimer."
Alice Ferney. Grâce et dénuement.
Un désert bien ordonné
"Je mets beaucoup d'ordre dans mes idées.
Ca ne va pas tout seul:
Il y a des idées qui ne supportent pas l'ordre
Et qui préfèrent crever.
A la fin j'arrive à avoir beaucoup d'ordre,
Et presque plus d'idées ."Norge
Norge. Les Oignons. 1953
24 mai 2011
Recherche silence et discipline de fer
Denrées devenant précieuses : de l'air pur, de l'eau , du silence.
La Bibliothèque royale de Belgique est prise d'assaut par des étudiants en blocus appréciant le silence monacal qui y est imposé par la discipline de fer de sa surveillante, Erna. Cela lui vaut quelques surnoms peu amènes, mais ne semble pas l'affecter . Silence qui ne se retrouve plus guère dans les bibliothèques des facultés et des grandes écoles, faute de cerbères aussi redoutables sans doute. Ironiques et prompts à commenter la dureté d'Erna ainsi que la rareté de ses sourires, les bacheliers se pressent pourtant chaque jour plus nombreux dans sa salle de lecture, reconnaissant que ce silence est devenu un luxe rare. Et gratuit jusqu'à nouvel ordre, moyennant un droit d'inscription léger.
Lu dans:
Blocus sous surveillance. Ophélie Delarouzée. Le Soir. 23 mai 2011. p. 34
23 mai 2011
22 mai 2011
Moi, émoi
"Il y a des moi plus moi que d'autres."
Paul Valéry
Lundi. Je laisse ce moi que je n'aime à la patère, et j'essaierais volontiers un autre. Pas si simple: il faut demeurer reconnaissable. Et c'est ainsi qu'on reprend l'ancien.
Paul Valéry
Lundi. Je laisse ce moi que je n'aime à la patère, et j'essaierais volontiers un autre. Pas si simple: il faut demeurer reconnaissable. Et c'est ainsi qu'on reprend l'ancien.
La langue des vieux
"Avec ceux que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence."
René CharPresque mot pour mot ce que m'a confié une patiente de 90 ans la semaine passée : "A notre âge on ne parle plus beaucoup, mais quelle présence !". Son mari, malentendant, n'a pas entendu, mais paraît avoir compris, car il opine. On sort meilleur de visites-consultations pareilles.
21 mai 2011
La grenouille et le scorpion
"En tout homme gît un grain de folie et un cromagnon."
Entendu sur les ondes cette folle semaine
M'est revenue en mémoire cette délicieuse histoire, narrée au cours de psychologie médicale par Philippe Heureux. Un scorpion entreprend une grenouille: "Peux-tu me hisser sur ton dos pour traverser la rivière, je ne sais pas nager." "Pas folle, si tu me piques, j'en mourrai." "Pas fou, pourquoi te piquerais-je, je me noierais?" Et voilà ce couple incertain parti pour une traversée à la nage, l'arthropode sur l'amphibien. Au mileu du cours d'eau, la grenouille ressent une douleur fulgurante et se sent défaillir. "Mais que fais-tu donc, tu m'avais pourtant promis?" " C'est plus fort que moi, grenouille, n'oublie pas que je suis un scorpion et que c'est dans ma nature." Et ils se noient tous deux. On ne peut aimer les êtres humains que si on admet la survivance d'une part d'irrationalité.
20 mai 2011
La lettre cadeau
"La forme épistolaire se perd. J'ai récemment écrit une lettre à mon oncle anglais de 83 ans. Il m'a répondu par e-mail. J'avais tellement de plaisir à voir arriver ses lettres avec le tampon de Piccadilly , le timbre à l'effigie de la reine, son écriture penchée ! L'e-mail n'a pas ce charme. "
Tatiana de Rosnay.
La communication était un plaisir des yeux, mais aussi du sentir, de l'humer, de l'ouïr (le bonheur du son de la boîte aux lettres dans laquelle tombe le courrier du jour), du goût (la colle de l'enveloppe sur le bout de langue), du temps imposé entre l'envoi et sa réponse, propice à la sédimentation des sentiments, des aléas liés à la poste, aux vacances, aux perturbations imaginées si la réponse tarde. L'instantanéité essouffle le corps et les coeurs. Le Journal de votre naissance est devenu le cadeau to be, réinventera-t-on un jour la lettre comme un signe particulier d'affection ou d'attention?
Lu dans:
Adrienne Nizet. La fidèle Rose. Le Soir Livres. 20 mai 2011. p. 43
18 mai 2011
Arx tarpeia ...
" Arx tarpeia Capitoli proxima."
Trad. "La roche Tarpéienne est proche du Capitole."
La roche Tarpéienne, crête rocheuse située à l’extrémité sud-ouest du Capitole, siège du Sénat à Rome, était le lieu d’exécution capitale pendant l’Antiquité. C’est de là qu’étaient précipités, jusqu’à la fin de la République romaine, les criminels, les vaincus, ceux qui souffraient d’une déficience mentale ou physique importante. Une citation latine l’a fait passer à la postérité (voir plus haut). Elle est employée pour signifier qu’après les honneurs, la déchéance peut venir rapidement (5ème siècle avant JC). Le droit romain de l'époque consacrait la présomption d'innocence de tout accusé, quel que soit son crime. L'étude du latin se voit progressivement abandonnée durant les études secondaires depuis un certain nombre d'années.
15 mai 2011
La seule chose qui tourne sur cette terre
"Rétines et pupilles,
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes :
Voir sous les jupes des filles,
Et la vie toute entière,
Absorbés par cette affaire,
Par ce jeu de dupes :
Voir sous les jupes des filles.(..)
La faiblesse des hommes, elles savent
Que la seule chose qui tourne sur cette terre,
C'est leurs robes légères...
[Répétition]
La, la, la, la, la... "
Alain Souchon. Extrait de l'album : C'est Déjà Ça. 1993. Label : Virgin
Au plus près du vrai
"La science est l'asymptote de la vérité. Elle s'approche sans cesse et ne touche jamais."
Victor Hugo.
Victor Hugo.
Lu dans:
Virginie Roussel. Ameisen, l'homme "poéthique". Momento. LLB. p 28. 14 mai 2011.
Virginie Roussel. Ameisen, l'homme "poéthique". Momento. LLB. p 28. 14 mai 2011.
14 mai 2011
Le bel avenir
... Il croyait en ce bel avenir qui d'année en année recule devant nous.
«Il nous a échappé? Qu'importe!
Demain, nous courrons plus vite,
nos bras s'étendront plus loin ...
Et un beau matin ...
C'est ainsi que nous avançons,
barques luttant contre un courant
qui nous rejette sans cesse vers le passé. »
Francis Scott Fitzgerald. Gatsby, le magnifique.
Lu dans :
Franz-Olivier Giesbert. Le vieil homme et la mort. Gallimard. 1996. 150 pages. Extrait 146.
Franz-Olivier Giesbert. Le vieil homme et la mort. Gallimard. 1996. 150 pages. Extrait 146.
12 mai 2011
Entre thé et journal
"De bon matin, je lis dans le journal les plans que font pour notre siècle
Et le pape et les rois et les banquiers et les grands seigneurs du pétrole.
De l’autre œil je surveille
L’eau pour le thé dans la casserole,
L’eau qui se trouble et se met à chanter, redevient claire
Puis débordant, étouffe le feu. "
Bertolt Brecht, Poèmes 1941-1947.
Et le pape et les rois et les banquiers et les grands seigneurs du pétrole.
De l’autre œil je surveille
L’eau pour le thé dans la casserole,
L’eau qui se trouble et se met à chanter, redevient claire
Puis débordant, étouffe le feu. "
Bertolt Brecht, Poèmes 1941-1947.
11 mai 2011
L'écheveau d'une vie
"Tantôt je pense, tantôt je vis."
Paul Valéry.
On sort ébloui du film consacré à François Mitterrand programmé par France 2 ce soir de 30ème anniversaire (François Mitterrand à bout portant, 1993-1996). Non guère par la personne du président mais par le brio avec lequel est abordée la complexité d'une pensée nourrie par un siècle de vie française, pétrie de contradictions assumées. Par l'interrogation de l'après et du sens de toute action humaine, que l'approche de la mort rendait lançinante . Par la cohabitation de tant de contradictions, d'une sincérité habillée de mensonges, d'une tendresse dissimulant tant de calculs. Et on murmure les paroles de Sirl Hustvedt dans son dernier ouvrage: "Nul d'entre nous ne peut jamais démêler le noeud des fictions qui composent cette chose incertaine que nous appelons notre moi."
Lu dans :
François Jullien. Philosophie du vivre. NRF Gallimard. Bibliothèque des Idées. 2011. 270 pages. Extrait page 9
Siri Hustvedt. Un été sans les hommes. Actes Sud. 2011. 216 pages.
10 mai 2011
Le parler vrai
"Mais j'ai assez parlé de moi, parlons plutôt de mes oeuvres."
Edgar Faure (parole émise après 30 minutes d'entretien)
Du même homme politique, j'ai souri en découvrant «Chez moi, quand on tue le cochon, tout le monde rit ! Sauf le cochon.»
09 mai 2011
Une modestie qu s'affiche
"Il n'a qu'une qualité: il est modeste. Et il s'en vante."
Alfred Capus
Lu dans:
Franz-Olivier Giesbert. M. le Président. Flammarion. 2011. 290 pages. Extrait p. 177
08 mai 2011
Une présence diluée d'absence
".. ayant écouté, à des sourds ils ressemblent (..): présents, ils sont absents."
Héraclite
Vingt-six siècles nous séparent, les mêmes constats demeurent. Concentré sur dix tâches simultanées, on peut se trouver en réunion (ou à un dîner en tête-à-tête, c'est encore pire), répondre à ses messages électroniques, écouter de la musique, parcourir les résultats du match de notre équipe favorite, feuilleter le journal, jeter un coup d'oeil aux infos diffusées par l'écran de TV au-dessus de notre tête. Multipliant la présence, la technique la dilue. Qui "rencontrons"-nous encore dans ce zapping permanent, dans cette présence ponctuée en permanence d'absences, et quelle place laissons-nous à la surprise de la beauté soudaine "de la dernière lumière le soir, en quittant la forêt"? Se donner entièrement, sans réserve ni possibilité de fuite, à une personne, à une perception, à une lecture est devenu le cadeau (ou le luxe) suprême.
Lu dans :
François Jullien. Philosophie du vivre. NRF Gallimard. Bibliothèque des Idées. 2011. 270 pages. Extrait page 20
07 mai 2011
Le vivant et l'inachevé
"Achever un tableau, comme disait Picasso, c'est comme achever un taureau, c'est le tuer."
Beaudelaire ne disait rien d'autre quand il dit de certaines tâches qu'elles étaient "faites" mais "non-finies", l'auteur les ayant quittées avant terme pour demeurer à l'oeuvre. La semaine passée, interrogeant un ami cher, sculpteur, sur le plaisir que lui procurait la réalisation d'une sculpture il me confiait que le véritable plaisir résidait dans le fait de sculpter, et non dans sa fin.
Dans un autre contexte, et presqu'antinomique de Picasso, me revient l'image du dernier tableau d'un patient, inachevé car atteint de troubles de la vue et d'un Alzheimer débutant. Il ne parvenait plus à capter la lumière pour la placer dans son paysage et rangea ses pinceaux laissant la toile sur son chevalet dans l'atelier désormais inoccupé. Inachevée, mais "morte" car déshabitée par la luminosité habituelle à ses autres peintures.
Lu dans
François Jullien. Philosophie du vivre. NRF Gallimard. Bibliothèque des Idées. 2011. 270 pages. Extrait page 56.
06 mai 2011
Danse danse
"Parfois vous restez sans voix, et c'est là que commence la danse."
Pina Bausch
Le réalisateur Wim Wenders rend hommage à son amie, décédée, la chorégraphe Pina Bausch, dans un film présenté au festival de Berlin.
Wim Wenders. Pina. Actuellement à l'Actor's Studio , Bruxelles.
04 mai 2011
L'épuisement du monde
"Sa fatigue est celle du gladiateur après le combat, son travail fut de blanchir à la chaux le coin d'un bureau de fonctionnaire."
Kafka
Tous symptômes confondus, la fatigue est sans aucun doute le plus universel, le plus varié dans son contenu, sa description et ses causes. Il fut un temps où pour la combattre on se reposait, cette époque est révolue, aujourd'hui rien n'est simple. On la soigne donc, avec de mauvais remèdes, la rebaptisant de noms saugrenus, joute permanente contre un ennemi insaisissable qui s'est allié à une comparse retorse: l'insomnie.
Lu dans:
Les aphorismes de Zurau. Franz Kafka. Gallimard. 2010. 142 pages. Extrait p.46
Les aphorismes de Zurau. Franz Kafka. Gallimard. 2010. 142 pages. Extrait p.46
Le style simple
"Les meilleurs articles de presse: un sujet, un verbe et un compliment."
Alfred Chapus.
Petite maxime rosse pour décrire la presse française au début de l'hyperprésidence de Nicolas Sarkozy, dans un livre qui ne l'est pas moins. Curieusement, dans son dernier chapitre l'auteur semble pris d'un remords tardif en contemplant son tableau. Il est des lectures qui nous font nous féliciter d'être un citoyen lambda.
PS. Il ne faut y voir, dit-on, aucun lien de cause à effet, mais peu de jours après la parution de l'ouvrage de Giesbert "M. le Président", un peu vache il est vrai, son émission sur France 2 "minée par une audience vieillissante" est supprimée.
Lu dans
Franz-Olivier Giesbert. M. le Président. Flammarion. 2011. 290 pages. Extrait p. 171
03 mai 2011
L'équilibre qui naît des antagonismes
"Qu’est-ce donc que la vérité ?
C’est cet équilibre fragile qui naît du choc des antagonismes.
C’est la blanche écume des vagues.
C’est le parfum, synthèse de tous les ingrédients qui mijotent dans la marmite.
La vérité n’est point monolithique.
Elle est enrichissement réciproque dans le respect des contraires."
C’est cet équilibre fragile qui naît du choc des antagonismes.
C’est la blanche écume des vagues.
C’est le parfum, synthèse de tous les ingrédients qui mijotent dans la marmite.
La vérité n’est point monolithique.
Elle est enrichissement réciproque dans le respect des contraires."
Irénée Guilane Dioh
01 mai 2011
Ces livres qui réchauffent
"Parfois tu brûles un livre car il fait froid
et il faut du feu pour te réchauffer
et parfois tu lis un livre pour la même raison. "
Motet médiéval tardif extrait du Codex de Montpellier
Lu dans:
Charles Bernstein. Shadowtime. 1999-2004. Opéra en sept scènes de Brian Ferneyhough sur la vie et l’oeuvre de Walter Benjamin.
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