27 octobre 2008

L'ange de l'histoire


«Que cela suive ainsi son cours, voilà la catastrophe »
Walter Benjamin (cité par E. Plenel)
 

Je termine samedi matin la lecture de l'interpellant livre "Examen de conscience" d'August von Kageneck, dont les interrogations sur la culpabilité collective ou individuelle (il fut officier et médaillé allemand de la seconde guerre mondiale) m'habitent une bonne partie du week end.  Comme en écho me revient la phrase "Que cela suive son cours.." du  philosophe juif allemand Walter Benjamin, fuyant le nazisme en 1940, pour lequel une catastrophe ne prend jamais le visage de la rupture. Elle résulte hélas de ce à quoi tout le monde participe, ne fût-ce que silencieusement ou tacitement. Elle n'arrive pas par surprise, mais survient plutôt dans l'ordinaire des arrangements et des accoutumances. Dans le même ordre de réflexions, l'un des textes les plus cités de Benjamin , écrit peu avant son suicide en septembre 1940, est celui où il commente un tableau de Paul Klee, Angelus Novus:
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus.
Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé.
Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées.
Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé.
Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds.
Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer.
Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines.
Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.” (Walter Benjamin)
Plus proche de nous, Boris Cyrulnik décrit la même réalité avec ses mots de neuropsychiatre quand il nous invite à "revenir à la vie et d'aller de l'avant tout en gardant la mémoire de sa blessure, d'éviter les chocs qui détruisent autant qu'éviter de trop s'en protéger", faute de quoi le monde serait fade et que nous perdrions l'envie d'y vivre. 

Lu dans:
  • August von Kageneck. Examen de conscience. Nous étions vaincus mais nous nous croyions innocents. Tempus. Ed. Perrin 2004. 215p.
  • La phrase en exergue de W Benjamin est citée par Edwy Plenel. Procès. Folio. Stock 2006. 158 p. extrait p. 150 et 151
  • Boris Cyrulnik. De chair et d'âme. Odile Jacob.2006. 256 p. extrait p. 254

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