« Je t'assure. Vas-y, coince ton pied à gauche et lance-toi." Comme il me
l'a appris, j'emplis mes poumons d'air, je vérifie que la corde est bien tendue,
j'arrive à coincer mon pied dans la fente, je m'élève, je sens mon pied qui
tremble et tout d'un coup il me semble que je n'ai plus aucune force dans
la jambe et que mon corps tout entier n'est plus que spasme, convulsion et
tremblement. Je suis pris d'une intense angoisse, une sueur glacée m'inonde le
dos. Je ne vois pas Stéphane mais lui, de l'anfractuosité où il est
parvenu, peut me voir. Il me dit: "Ta main, ta main gauche puis la droite et
quand tu as rapproché suffisamment ton pied tu y vas." Je n'ai plus aucune
force, comment m'élever sur mes mains? Il m'assure, il va me tirer. Je tâte
instinctivement la corde. Elle n'est pas tout à fait tendue. Donc Stéphane ne
compte pas me tirer de ce mauvais pas grâce à la corde. Il pense que je puis le
faire seul. Une sorte de force me revient. Je lance ma main droite. Je sens la
prise, je ne l'ai que du bout des doigts. La main gauche s'accroche aussi. Mon
pied dérape sur la dalle. Impossible de m'élever. La voix dit: "A gauche, en
oblique, cale ton pied." Je sens une résistance, je prends appui dessus et d'un
dernier effort j'élève le pied droit. Je passe, je suis passé. Lui devant,
assuré par lui, mais en somme seul, tout seul."
Lu dans : Le boulevard périphérique. Henry Bauchau. p 18. Actes Sud. 2008 256 p.
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