"Surtout, il y avait le tilleul. Immense et dévorant, il menaçait d'année en année de submerger la maison de ses ramages tentaculaires qu'elle se refusait obstiné ment à faire tailler et il était hors de question de discuter la chose."
Muriel Barbery. Une gourmandise (3)
La recherche éperdue d'une saveur peut passer par les souvenirs olfactifs. Ce n'est pas Proust qui me contredira. Par le goût du miel associé au parfum du tilleul. Laissez-vous bercer 3 à 4 minutes par un moment de bonheur pur.
"Aux heures les plus chaudes de l'été, son ombrage importun offrait la plus odorante des tonnelles. Je m'asseyais sur le petit banc de bois vermoulu, contre le tronc, et j'aspirais à grandes goulées avides l'odeur de miel pur et velouté qui s'échappait de ses fleurs d'or pâle. Un tilleul qui embaume dans la fin du jour, c'est un ravissement qui s'imprime en nous de manière indélébile et, au creux de notre joie d'exister, trace un sillon de bonheur que la douceur d'un soir de juillet à elle seule ne saurait expliquer. A humer à pleins poumons, dans mon souvenir, un parfum qui n'a plus effleuré mes narines depuis longtemps déjà, j'ai compris enfin ce qui en faisait l'arôme; c'est la connivence du miel et de l'odeur si particulière qu'ont les feuilles des arbres, lorsqu'il a fait chaud longtemps et qu'elles sont empreintes de la poussière des beaux jours, qui provoque ce sentiment, absurde mais sublime, que nous buvons dans l'air un concentré de l'été.
Ah, les beaux jours! Le corps libre des entraves de l'hiver éprouve enfin la caresse de la brise sur sa peau nue, offerte au monde auquel elle s'ouvre démesurément dans l'extase d'une liberté retrouvée... Dans l'air immobile, saturé du bourdonnement d'insectes invisibles, le temps s'est arrêté... Les peupliers, le long des chemins de halage, chantent aux alizés une mélodie de bruissements verdoyants, entre lumière et ombre chatoyante... Une cathédrale, oui, une cathédrale de verdure éclaboussée de soleil m'environne de sa beauté immédiate et claire...
30 avril 2007
29 avril 2007
Le souvenir de l'odeur des sardines grillées
"Tous les étés, nous ralliions la Bretagne. Ma grand-mère officiait aux fourneaux, avec une altière tranquillité. Elle pesait plus de cent kilos, avait de la moustache, riait comme un homme et glapissait après nous, quand nous nous aventurions dans la cuisine, avec une grâce de camionneur. Mais sous l'effet de ses mains expertes, les substances les plus anodines devenaient des miracles de la foi. Le vin blanc coulait à flots et nous mangions, mangions, mangions. Oursins, huîtres, moules, crevettes grillées, crustacés à la mayonnaise, calamars en sauce mais aussi ("on ne se refait pas") daubes, blanquettes, paellas, volailles rôties, en cocotte, à la crème; il en pleuvait.
Une fois dans le mois, mon grand-père prenait au petit déjeuner une mine sévère et solennelle, se levait sans un mot et partait seul vers la criée. Nous savions alors que c'était LE jour. Une heure plus tard, mon grand-père revenait du port avec une énorme caisse qui sentait la marée. Lorsque à une heure nous rentrions de bains pris distraitement, dans l'attente éperdue du déjeuner, nous humions déjà à l'angle de la rue l'odeur céleste. J'en aurais sangloté de bonheur. Les sardines grillées embaumaient tout le quartier de leur fumet océanique et cendré. (..)
Dire de cette chair qu'elle est fine, que son goût est subtil et expansif à la fois, qu'elle excite les gencives, à mi-chemin entre la force et la douceur, dire que l'amertume légère de la peau grillée alliée à l'extrême onctuosité des tissus serrés, solidaires et puissants qui emplissent la bouche d'une saveur d'ailleurs fait de la sardine grillée une apothéose culinaire, c'est tout au plus évoquer la vertu dormitive de l'opium."
Muriel Barbery . Une gourmandise (2)
Faut-il préciser que cette partie de l'essai traite des vacances d'été chez les grands-parents de notre critique gastronomique, qui y apprend le métier de la plus belle manière, "grands-parents qui nous aimaient à leur manière: sans partage."
Une fois dans le mois, mon grand-père prenait au petit déjeuner une mine sévère et solennelle, se levait sans un mot et partait seul vers la criée. Nous savions alors que c'était LE jour. Une heure plus tard, mon grand-père revenait du port avec une énorme caisse qui sentait la marée. Lorsque à une heure nous rentrions de bains pris distraitement, dans l'attente éperdue du déjeuner, nous humions déjà à l'angle de la rue l'odeur céleste. J'en aurais sangloté de bonheur. Les sardines grillées embaumaient tout le quartier de leur fumet océanique et cendré. (..)
Dire de cette chair qu'elle est fine, que son goût est subtil et expansif à la fois, qu'elle excite les gencives, à mi-chemin entre la force et la douceur, dire que l'amertume légère de la peau grillée alliée à l'extrême onctuosité des tissus serrés, solidaires et puissants qui emplissent la bouche d'une saveur d'ailleurs fait de la sardine grillée une apothéose culinaire, c'est tout au plus évoquer la vertu dormitive de l'opium."
Muriel Barbery . Une gourmandise (2)
Faut-il préciser que cette partie de l'essai traite des vacances d'été chez les grands-parents de notre critique gastronomique, qui y apprend le métier de la plus belle manière, "grands-parents qui nous aimaient à leur manière: sans partage."
27 avril 2007
sagesse des livres non lus
"Au plus grand de tous, le chef Tsuno, il arrivait de n'extraire d'un gigantesque saumon qu'un seul petit morceau en apparence dérisoire. En la matière, de fait, la prolixité ne signifie rien, la perfection ordonne tout. Une petite parcelle de matière fraîche, seule, nue, crue: parfaite."
Muriel Barbery. Une gourmandise.
C'est l'histoire simple d'un critique gastronome réputé, en fin d'existence. Il est à la recherche d'une saveur, anciennement rencontrée, source d'un plaisir intense qu'il aimerait revivre une fois au moins avant de mourir. Sa quête le mène de lieux de bouche renommés en restaurants qu'il a visités jadis pour son travail. Ce soir , il nous fait découvrir les charmes subtils de la cuisine japonaise, belle allégorie de l'existence humaine: on met tant de temps à découvrir ce qui en nous est le lieu du meilleur, qu'on ne partagera qu'en de rares circonstances. Encore faut-il le découvrir, comme le suggère Françoise Houdart dans son dernier roman (Bastida) "Que faire de ce que nous ignorions de nous-mêmes quand nous le découvrons?"
Si nous faisions un expérience? Je suis sous le charme du magistral essai de Pierre Bayard "Comment parler des livres qu'on n'a pas lus?" En cinq billets, une petite semaine, je vous ferai découvrir le roman de Muriel Barbery "Une gourmandise": vous pourrez en parler avec d'autres qui eux non plus ne l'ont pas lu avec une maîtrise rare.
Muriel Barbery. Une gourmandise.
C'est l'histoire simple d'un critique gastronome réputé, en fin d'existence. Il est à la recherche d'une saveur, anciennement rencontrée, source d'un plaisir intense qu'il aimerait revivre une fois au moins avant de mourir. Sa quête le mène de lieux de bouche renommés en restaurants qu'il a visités jadis pour son travail. Ce soir , il nous fait découvrir les charmes subtils de la cuisine japonaise, belle allégorie de l'existence humaine: on met tant de temps à découvrir ce qui en nous est le lieu du meilleur, qu'on ne partagera qu'en de rares circonstances. Encore faut-il le découvrir, comme le suggère Françoise Houdart dans son dernier roman (Bastida) "Que faire de ce que nous ignorions de nous-mêmes quand nous le découvrons?"
Si nous faisions un expérience? Je suis sous le charme du magistral essai de Pierre Bayard "Comment parler des livres qu'on n'a pas lus?" En cinq billets, une petite semaine, je vous ferai découvrir le roman de Muriel Barbery "Une gourmandise": vous pourrez en parler avec d'autres qui eux non plus ne l'ont pas lu avec une maîtrise rare.
26 avril 2007
sagesse de l'amour
"Il n'y a pas d'amour heureux? Mais il n'y a pas non plus d'amour malheureux. Le malheur, c'est autre chose: c'est quand il n'y a pas d'amour."
Francis Dannemark. Une fraction d'éternité.
Francis Dannemark. Une fraction d'éternité.
24 avril 2007
Silence à Gaillardbois
"A part le passage, à certaines heures, des voitures, Gaillardbois est un village silencieux. Il a des habitants mais il n'a plus de villageois."
Henri Bauchau. Le Présent d'incertitude.
Henri Bauchau. Le Présent d'incertitude.
20 avril 2007
19 avril 2007
Indépendance d'esprit
"Je ne lis jamais un livre dont je dois faire la critique:on se laisse tellement influencer !"
Oscar Wilde
Oscar Wilde
17 avril 2007
16 avril 2007
15 avril 2007
13 avril 2007
12 avril 2007
"Lorsqu'elle était étudiante, elle avait recopié une phrase de Michel Hannoun qui l'avait impressionnée par sa justesse:
« Dans le mot "seul" il y a quatre lettres, quatre définitions de la solitude.
S comme solitaire, c'est-à-dire seul par goût de la solitude,
E comme esseulé, c'est-à-dire seul parce qu'abandonné des autres,
U comme unique, seul de son espèce et enfin
L comme libre, c'est-à-dire seul à décider.
Les Anglais ont quatre mots: lone, alone, lonely et lonesome.
Chacun a sa propre définition de la solitude. »
C.Nys Mazure. Sans y toucher.
« Dans le mot "seul" il y a quatre lettres, quatre définitions de la solitude.
S comme solitaire, c'est-à-dire seul par goût de la solitude,
E comme esseulé, c'est-à-dire seul parce qu'abandonné des autres,
U comme unique, seul de son espèce et enfin
L comme libre, c'est-à-dire seul à décider.
Les Anglais ont quatre mots: lone, alone, lonely et lonesome.
Chacun a sa propre définition de la solitude. »
C.Nys Mazure. Sans y toucher.
09 avril 2007
Du paradoxe du Win-Win
"Les théoriciens de la mondialisation utilisent ad nauseam l'expression "gagnant-gagnant". (..) Imaginons qu'un individu armé menace un autre en lui disant "la bourse ou la vie". Si ce dernier obtempère en lui tendant son porte-feuille, il s'agit bien d'un "contrat" gagnant-gagnant: l'un obtient de l'argent, l'autre sauve sa vie, la situation des deux s'en trouve améliorée."
Jean Claude Liaudet. Le complexe d'Ubu ou la Névrose libérale.
Jean Claude Liaudet. Le complexe d'Ubu ou la Névrose libérale.
07 avril 2007
La célébration des oiseaux
1er avril 2002
Arrivée avec Danièle et Jean-Pierre au gîte rural de Bacqueville. Petite maison ancienne restaurée et aménagée selon le confort actuel. Ensemble agréable, un petit jardin, un pré avec deux poneys sympathiques et poilus. Journée de Pâques en Normandie. J'aurais voulu me trouver un moment à une messe de Pâques comme autrefois ou au moins dans une église. Le sort en a disposé autrement. Je me suis fortement : cogné au coin d'une table basse en verre. Pendant que Danièle et Jean-Pierre allaient chercher dans une pharmacie de quoi me soigner, je voulais donner un peu de pain et de sucre aux poneys. J'ai très vite senti qu'il me fallait renoncer à la promenade. Je me suis assis bien couvert dans les terribles fauteuils en plastique blanc d'aujourd'hui et j'ai écouté le chant des oiseaux. Je m'avise en écrivant que, sans me le formuler alors, j'ai passé ainsi une heure dans l'église des oiseaux. Elle existe toujours et la parade amoureuse du petit peuple ailé est toujours aussi alerte, toutes les forces de ces corps vifs et menus tendus à l'extrême par le chant. Pourtant, très vite ils s'envolent pour se poser ailleurs donnant une impression d'aisance, de vivacité, à l'opposé de l'effort que semble faire entendre l'acuité de leur chant. Ainsi j'ai passé un long moment à les entendre, à tenter de les voir, de les reconnaître. Moment non pas de bonheur mais moment de présence. D'un côté le moi, un peu douloureux, appesanti et de l'autre quelque chose qui m'habitait, qui produisait en moi quelque vivace équivalence des chants que ma demi-surdité ne capte plus dans leur naturelle innocence. Sans ailes bien sûr, toujours sans ailes, j'ai pris part à la célébration des oiseaux.
Henry Bauchau . Le présent d'incertitude.
Je vous souhaite une bonne fête de Pâques
CV.
Arrivée avec Danièle et Jean-Pierre au gîte rural de Bacqueville. Petite maison ancienne restaurée et aménagée selon le confort actuel. Ensemble agréable, un petit jardin, un pré avec deux poneys sympathiques et poilus. Journée de Pâques en Normandie. J'aurais voulu me trouver un moment à une messe de Pâques comme autrefois ou au moins dans une église. Le sort en a disposé autrement. Je me suis fortement : cogné au coin d'une table basse en verre. Pendant que Danièle et Jean-Pierre allaient chercher dans une pharmacie de quoi me soigner, je voulais donner un peu de pain et de sucre aux poneys. J'ai très vite senti qu'il me fallait renoncer à la promenade. Je me suis assis bien couvert dans les terribles fauteuils en plastique blanc d'aujourd'hui et j'ai écouté le chant des oiseaux. Je m'avise en écrivant que, sans me le formuler alors, j'ai passé ainsi une heure dans l'église des oiseaux. Elle existe toujours et la parade amoureuse du petit peuple ailé est toujours aussi alerte, toutes les forces de ces corps vifs et menus tendus à l'extrême par le chant. Pourtant, très vite ils s'envolent pour se poser ailleurs donnant une impression d'aisance, de vivacité, à l'opposé de l'effort que semble faire entendre l'acuité de leur chant. Ainsi j'ai passé un long moment à les entendre, à tenter de les voir, de les reconnaître. Moment non pas de bonheur mais moment de présence. D'un côté le moi, un peu douloureux, appesanti et de l'autre quelque chose qui m'habitait, qui produisait en moi quelque vivace équivalence des chants que ma demi-surdité ne capte plus dans leur naturelle innocence. Sans ailes bien sûr, toujours sans ailes, j'ai pris part à la célébration des oiseaux.
Henry Bauchau . Le présent d'incertitude.
Je vous souhaite une bonne fête de Pâques
CV.
Nos quatre dromadaires
"Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d'Alfaroubeira
Connut le monde et l'admira
Il fit ce que je voudrais faire
Si j'avais quatre dromadaires"
Guillaume Apollinaire
Curieuse phrase que chacun habillera à sa mode. Nos quatre dromadaires manquants nous sont propres, et leur absence porte des noms différents: peur du lâcher prise, douillet confort d'existence, besoin de sécurité , piètre image de soi, prescience de l'échec de toute chose engagée.
Don Pedro d'Alfaroubeira
Connut le monde et l'admira
Il fit ce que je voudrais faire
Si j'avais quatre dromadaires"
Guillaume Apollinaire
Curieuse phrase que chacun habillera à sa mode. Nos quatre dromadaires manquants nous sont propres, et leur absence porte des noms différents: peur du lâcher prise, douillet confort d'existence, besoin de sécurité , piètre image de soi, prescience de l'échec de toute chose engagée.
06 avril 2007
adieu l'artiste
"Sans la frontière que lui imposent les côtes et les falaises, l'océan noierait la terre et irait se perdre en trombes dans l'infini comme l'eau qui s'écoule d'une outre crevée."
Christiane Singer
Christiane Singer vient de décéder d'un cancer, à l'âge de 64 ans, Elle raconte son dernier combat dans un livre qui devrait paraître la semaine prochaine. Belle manière de dire au revoir à ceux qui l'ont appréciée.
Bonnes fêtes de Pâques.
Christiane Singer
Christiane Singer vient de décéder d'un cancer, à l'âge de 64 ans, Elle raconte son dernier combat dans un livre qui devrait paraître la semaine prochaine. Belle manière de dire au revoir à ceux qui l'ont appréciée.
Bonnes fêtes de Pâques.
05 avril 2007
Les yeux
"D’un oeil, observer le monde extérieur, de l’autre regarder au fond de soi-même."
Amedeo Modigliani.
Amedeo Modigliani.
02 avril 2007
Amour et connaissance de l'autre
"Il n'est pas nécessaire de tout connaître de l'autre pour l'aimer."
Alain Braconnier . Les filles et les pères. Ed. Odile Jacob. 2007
Alain Braconnier . Les filles et les pères. Ed. Odile Jacob. 2007
Vivre j'aime ce métier
"Pour rien au monde, je ne renoncerais au charme douloureux de ma condition d'homme."
Jean-Paul Kauffmann. La maison du retour. Nil Ed. 2007
On se souvient avec émotion de l'otage de Beyrouth (1985-1988), grand reporter au Matin de Paris et à l'Evenement du Jeudi, compagnon d'infortune de Michel Seurat (qui décédera en captivité). Antenne 2 s'était associée à l'époque au mouvement contre l'oubli en rappelant quotidiennement leur détention en ouverture de journal durant trois ans. L'ex-otage a pansé ses plaies et raconte son retour difficile à la vie dans la maison landaise achetée à son retour. "Vivre, j'aime ce métier", confie-t-il, mêm si "pour renaître, il faut d'abord mourir."
Jean-Paul Kauffmann. La maison du retour. Nil Ed. 2007
On se souvient avec émotion de l'otage de Beyrouth (1985-1988), grand reporter au Matin de Paris et à l'Evenement du Jeudi, compagnon d'infortune de Michel Seurat (qui décédera en captivité). Antenne 2 s'était associée à l'époque au mouvement contre l'oubli en rappelant quotidiennement leur détention en ouverture de journal durant trois ans. L'ex-otage a pansé ses plaies et raconte son retour difficile à la vie dans la maison landaise achetée à son retour. "Vivre, j'aime ce métier", confie-t-il, mêm si "pour renaître, il faut d'abord mourir."
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