30 mars 2006

Les paroles inutiles

« Il faut éviter aussi les paroles inutiles,
c’est-à-dire celles qui ne servent en rien
ni à celui qui les prononce ni à autrui,
et qui ne sont pas non plus prononcées
dans l’intention d’être utiles. »

Ignace de Loyola

Vous souvenez-vous des trois passoires de Socrate?
Ceux qui se laissent imprégner de ces deux textes simultanés risquent d'être plutôt silencieux aujourd'hui.

29 mars 2006

La part de mystère

Le mystère

Et plus que tout, dit-il, j'aime la part de toi
que je ne comprends pas, l'ombre
qui cerne tes yeux, le silence qui s'engouffre
entre trois de tes mots, j'aime le secret
qui te porte et dont tu n'as pas la clé.

Il donne à tes lèvres le goût
d'un fruit d'enfance, il donne
à l'amour qui te fait encore défaut
la force d'une promesse
longue comme le jour.

Francis Dannemark. Une fraction d'éternité

entre deux

Comme une locomotive noire au terme du voyage
remorquant péniblement vers l'ombre la moitié éclairée de la terre
quand la moitié obscure cherche à tâtons le premier trait de lumière.
Amos Oz

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

27 mars 2006

les fleuves meurent aussi

"Le fleuve meurt
d'aimer ses rives
jusqu'à la mer."

Véronique Wautier

où vont les hirondelles?

"Peu m'importe ce que deviennent les gloires ou les neiges
Je veux savoir où se rejoignent après la mort
les hirondelles."

Julio Cortazar

20 mars 2006

Du noir au plus noir

"Bien sûr, nul n'est irremplaçable.
Mais à la mort d'Anna,
le noir est devenu un peu plus noir,
et l'obscurité un peu plus sombre
si cela pouvait."

Ingmar Bergman. Salamandre.

19 mars 2006

Une traduction de Yi Ching

Un soir, dans une librairie, le patron m'a dit que le livre que je cherchais
n'était plus disponible,
j'ai répondu que ce n'était pas grave, je suis sorti dans la rue où la nuit
tombait. Une employée de la librairie m'a rattrapé sur le trottoir, un livre en
main. « C'est ce que vous cherchez? En fait nous l'avions, il avait glissé
derrière un rayonnage, je l'ai retrouvé il y a quelques
jours... » C'était une traduction du Yi Ching. Je la cherchais sans le savoir
depuis vingt ans.

F. Dannemark. Une fraction d'éternité.

J'ai retrouvé mon exemplaire d'une Fraction d'éternité. L'ayant prêté à trois
quatre personnes , je ne le localisais plus. C'est comme si je venais de
l'acheter une deuxième fois. Je retrouve les passages soulignés, les sonorités
chères, les images mixtes nord-sud de Lisbonne la méridionale ornée de marchés
de Noël venus du Nord.
Nos livres scandent notre existence.

Un demain si ancien

"Il y a des jours où demain paraît si loin, si sombre.
Si ancien en quelque sorte."

Francis Dannemark. Une fraction d'éternité.

C'est un temps pas si lointain où les dates portaient encore des noms de saints. Mon père en connaissait une mieux que toutes les autres: le 19 mars, fête de la saint Joseph, et de la course cycliste Milan-San Remo.
Ce jour-là précis, chaque année à Louvain-Leuven les cafetiers plaçaient leurs tables et chaises en terrasse pour la première fois de l'année, l'air était frais et traditionnellement ensoleillé. Les étudiants savaient qu'il était temps de sortir leurs syllabus, parfois pour la première fois également. C'était un temps pas si lointain où l'année universitaire se divisant en deux semestres bien distincts : avant Milan - San Remo, les mois de gaîté et d'insouciance, sans session d'hiver ni évaluation permanente, après Milan San Remo les mois chauds et doux du printemps, des couples qui s'apparient en rue et dans les auditoires, des plans de bloque et des premières inquiétudes en envisageant une session de juin-juillet plus si éloignée.
Il a fait ensoleillé et frais aujourd'hui, Milan San Remo c'était hier, j'ai vu quelques rares tables de café mais n'étais pas à Louvain - Leuven, mes syllabus jaunis dorment d'un sommeil profond dans ma bibliothèque. Notre père est mort depuis dix ans. Mais où est donc passé Saint Joseph?

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

17 mars 2006

La Marseillaise de Graeme Allwright

La Marseillaise (2005)

Pour tous les enfants de la terre
Chantons amour et liberté.
Contre toutes les haines et les guerres
L'étendard d'espoir est levé
L'étendard de justice et de paix.
Rassemblons nos forces, notre courage
Pour vaincre la misère et la peur
Que règnent au fond de nos coeurs
L'amitié la joie et le partage.
La flamme qui nous éclaire,
Traverse les frontières
Partons, partons, amis, solidaires
Marchons vers la lumière.

Graeme Allwright - Sylvie Dien
Graeme Allwright est parolier et chanteur folk d'origine
néozélandaise. Plusieurs de ses chansons font maintenant partie du
patrimoine de la chanson française. Devenues des classiques, elles
sont fredonnées par plusieurs générations.

"En 1792 à la suite de la déclaration de guerre du Roi d'Autriche, un officier français, Rouget de l'Isle, en poste à Strasbourg, compose "Le chant de Guerre pour l'armée du Rhin". Je me suis toujours demandé comment les français peuvent continuer à chanter, comme chant National, un chant de guerre, avec des paroles belliqueuses, sanguinaires et racistes.
En regardant à la télé des petits enfants obligés d'apprendre ces paroles épouvantables, j'ai été profondément peiné, et j'ai décidé d'essayer de faire une autre version de La Marseillaise. Le jour où les politiques décideront de changer les paroles de La Marseillaise, ce sera un grand jour pour la France." G.Allwright.

Je vous souhaite un bon week end
CV.

l'incendie du soleil froid et de sa flèche

"Ce matin dans le métro volant, entre Passy et Bir-Hakeim, la rame a fuaé au grand air à l'instant où, par-dessus la Seine, se levait la tour Eiffel. Ou plutôt le crista1 orange du so1eil tout neuf qui donnait l'impression fugace d'un lever de tour Eiffel. Plus haut dans le ciel, comme si la flèche de métal montrait la direction, un avion traçait une ligne blanche. Et l'addition de tout cela, la résille d'acier de la Tour, l'incendie du soleil froid et le trait étincelant du long courrier, brillait commme une avant-première du printemps."
Eric Fottorino. Avant-première. Le Monde mercredi 15 mars 2006.

Petit joyau d'écriture cueilli dans le Monde hier. Les perles se récoltent décidément là où on ne les attend plus. La poésie au quotidien, modeste dans ses atours d'articulet de cinq lignes en dernière page, n'a guère à rougir des éditions dorées sur tranche des quatrains édités par la Pléiade. Elle s'en distingue par son côté ephémère: on la lit, on la jette, et c'est comme si elle n'avait jamais existé. J'ai voulu ce soir réparer comme une injustice.

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

16 mars 2006

Un cercueil dans le désert

"Notre passé est triste , notre présent est tragique,
heureusement nous n'avons pas d'avenir."
Hiner Saleem, Kilomètre zéro

Il y a du Woody Allen dans cette réflexion désabusée du jeune réalisateur
kurde.
Embarqué dans une road movie avec le cercueil de son père sur les routes
irakiennes, il peut méditer à l'aise sur la perte de sens dans certaines
circonstances historiques.
Ionesco, Beckett et Anouilh auraient sans doute aussi troqué la plume pour la
caméra: il faut imaginer les comparses d'En attendant Godot tirant le cercueil
de leur père dans le sable et sous le soleil kurde.

14 mars 2006

d'herbe tendre et de haïku

"Couché sur l'herbe
dans mon manteau d'étoiles
j'ai dormi."

Haïku

Par un de ces curieux raccourci dont la mémoire a le secret, ce haïku japonais découvert par hasard me rajeunit de vingt ans.
Allongé sur l'herbe tendre du jardin chinois de Singapour, seul en fin d'une chaude après midi, à cinq kilomètres de la métropole bruissante dans un silence étonnant, je m'endors.
Cela ne m'était plus arrivé depuis au moins quinze ans de sentir l'herbe tendre sous moi, et cette sensation d'enfance avait eu un effet tellement décontractant que j'avais sombré dans le rêve en moins de cinq minutes.
Ce soir , la découverte inattendue de ce haïku provoque une bouffée d'envie d'herbe chaude, et d'une pareille quiétude. Tout cela est loin.

13 mars 2006

du vieux neuf encore et encore

Quand dirons nous enfin des choses nouvelles ?

Jacques Chanaz

Le pouvoir des anagrammes

Elle s'appelle Annaëlle d'Ansieu et est folle de son médecin, Philippe Isther. Comment former des mots anagrammes avec les lettres contenues dans leurs deux noms et prénoms, impossible tentative : déjà, il n'y a pas de o, ni de m, alors qu'il y a tant de a et de i d'une part et tant de p d'autre part. Il va plutôt falloir dormir. Ne plus penser au nom du docteur. Ni à quoi que ce soit du docteur. A moins que ...

"Sans faire de bruit, elle a pris dans la boîte de Scrabble les vingt-neuf lettres nécessaires (dont une blanche pour figurer le troisième p, car il n'y a que deux lettres p dans ce jeu) et est remontée. Puis elle s'est mise au travail.
Annaëlle d'Ansieu a d'abord trouvé: Pas un plein de haine: hélas, il périt!. Bien sûr, on peut inverser l'ordre des mots. Si l'on préfère: Pas un, hélas! Il périt plein de haine, c'est tout aussi valable. Ensuite elle a trouvé: Intrus idéal, il pense, happe, inhale... Ce n'est pas mal. Évidemment, le sens est un peu ésotérique, mais la phrase plaît à Annaëlle.
Dans la sphère, ni thé, ni pilule: paie! C'est toujours assez hermétique, mais Annaëlle a trouvé la martingale: il faut commencer par placer les h, les coincer chacun dans un mot, et puis meubler autour. Grâce à cette astuce, elle a trouvé: Nihiliste, Raphaël n'a plus de peine. Et s'est endormie."

Les plus vieux de mes potes se souviennent que je leur ai fait découvrir il y a 25 ans Pascal Quignard (ah ce salon de Wurtenberg) bien avant qu'il ne soit goncourtisé pour Vie secréte, Michel Rio, Francis Dannemark ou Christian Bobin dont je n'avais à l'époque qu'un pâle photocopie de son premier ouvrage tiré à si peu d'exemplaires qu'il était épuisé sans réédition.
Retenez le nom de cette jeune auteure dont mes enfants m'ont offert le premier ouvrage: Aurelia Jane Lee pour Dans ses petits papiers, aux éditions Luce Wilquin. Elle a 21 ans, et nul ne prétendra qu'il s'agisse d'une oeuvre aboutie, ou de maturité, mais elle a cette petite musique si caractéristique de ceux ou celles que la passion d'écrire habite. Un titre s'impose dans ma mémoire en la découvrant: Bonjour tristesse, de Françoise Sagan qui avait à l'époque également la vie devant elle.
Cela ne lui a pas toujours réussi , mais il n'y a pas de fatalité. Bonne chance Aurelia.


11 mars 2006

sagesse rabbinique

« Ne limitez pas un enfant à votre propre apprentissage, car il est né à une autre époque. »
Proverbe rabbinique

09 mars 2006

où ailleurs

"On part sans savoir où l'on va, et on finit par arriver ailleurs."
Francis Sigrist

08 mars 2006

le vent de ton désir

" N'essaie pas de retenir le vent, même s'il souffle au gré de ton désir."
Hafiz, Chams al-Din Muhammad. Les Ghazels

Hafiz, Chams al-Din Muhammad est considéré comme le plus grand poète lyrique
persan (v. 1320-v. 1389).
Il se vit décerner le titre honorifique de Hafiz ou «celui qui connaît par
coeur le Coran» en enseignant l'exégèse coranique.


sagesse de SJP

"Vous, mes yeux bienheureux,
Ce que vous avez vu,
- Advienne que pourra -,
Cela était si beau."

Saint John Perse . Second Faust (acte V)

05 mars 2006

Une confiance d'oiseau

"Soyez comme l’oiseau posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles
Qui sent plier la branche et qui chante pourtant
Sachant qu’il a des ailes !".

Je vous souhaite un bon week end
CV.

03 mars 2006

penser être suivre

"Je pense donc je ne suis pas"
Sagesse anonyme

J'ai vu des pots loquaces

J'ai vu chez un potier, dans de vastes espaces,
Deux milles pots, les uns muets, d'autres loquaces
A son voisin un pot disait : Où sont allés
Le potier, l'acheteur et le vendeur rapaces? "

Omar Khayyam. Robaiyat.

Découverts incidemment sur la table d'une vieille patiente fort digne ce matin, les Robaiyat (Quatrains) d'Omar Khayyam, poète philosophe mathématicien érudit ayant vécu autour de l'an mil.
Je ne le connaissais guère, elle avait reçu le livre de son directeur d'école de secrétariat il y a de fort longues années. "Je le relis, il me console de mon actuelle infortune."
Je le recherche sur eBay ce soir: plenty of choice, surtout en anglais, vendus sur la terre entière. Je garde le nom comme un cadeau.

01 mars 2006

L'eau prisonnière des secrets de mon coeur

"Mes pensées se sont peu à peu éloignées, mais ayant abordé un sentier
accueillant, je repousse les contrariétés tumultueuses et je m'arrête, les yeux
fermés, grisé par un parfum de passé que j'ai conservé, durant mon petit corps
à corps avec la vie. J'ai vécu hier, uniquement. Aujourd'hui a cette nudité qui
attend la chose désirée, ce cachet provisoire qui vieillit en nous sans amour.
Hier est un arbre aux longs branchages, à l'ombre duquel je suis allongé,
abandonné à la mémoire.
Soudain, je regarde, étonné: en longues caravanes, des voyageurs sont arrivés
dans le même sentier; les yeux endormis dans le souvenir, ils fredonnent des
chansons et évoquent ce qui fut. Et je crois deviner qu'ils se sont déplacés
pour s'arrêter, qu'ils ont parlé pour se taire, qu'ils ont ouvert leurs yeux
stupéfaits devant la fête des étoiles pour les fermer et revivre l'enallé...
Étendu dans ce nouveau chemin, avec les yeux avides et fleuris des jours
lointains, j'essaie vainement d'enrayer le fleuve du temps qui ondoie sur mes
faits et gestes. Mais l'eau que je parviens à recueillir reste prisonnière des
bassins secrets de mon coeur, dans lesquels, demain, devront s'enfoncer mes
veilles mains solitaires".

Pablo Neruda. LE FLEUVE INVISIBLE, Premiers Poèmes