01 avril 2014

Petite chômeuse

"Elle arrive systématiquement deuxième aux concours d'entrée dans les administrations, et quand ils en prennent plusieurs, juste à la limite qui fait qu'elle n'est pas prise. Elle a passé le concours des Impôts, de la Sécurité sociale, celui de la DRAC de sa région, elle a rendez-vous pour un poste dans un hôpital de la côte atlantique, elle marche sur la digue en réfléchissant à son entretien du lendemain, et en se demandant comment ce serait de vivre dans cette petite ville si elle est prise. Le ciel est gris. Mais il y a la mer, l'horizon. Elle retourne à son hôtel. Elle essaye de dormir, et le lendemain matin elle y va. Une femme la reçoit dans un petit bureau qui donne sur des arbres, au bout d'une heure de conversation lui dit qu'elle a des qualités mais qu'il faut qu'elle prenne un peu de bouteille, et lui sourit en la raccompagnant dans le hall. En sortant, elle passe sa main sur son ventre plat dessiné par le haut de sa jupe beige qui s'évase vers le bas, elle remonte à son hôtel par la digue pour aller chercher sa valise, le vent plaque le tissu sur ses cuisses. »
    Christine Angot. La jeune chômeuse.

Elles se prénomment Estelle, Céline, Allison, Imad, Sandie ou Tamara et un seul nom: Demandeusedemploi. On les regarde drôle, chuchote, suggère, soupèse, élabore les mille raisons qu'elles ont à ne pas travailler alors qu'elles ont un diplôme. On devrait être interdit de parole et de commentaire quand on n'a pas soi-même connu l'éprouvante quête d'un emploi dans une société en décroissance douce. 
 

Lu dans:
Christine Angot. La petite foule.  Flammarion 2014. 255 pages. Extrait p.20 

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