01 avril 2012

Retour à Byzance

« Quand le silence fait alliance avec la nuit, on découvre que sa pureté se décompose paradoxalement en une multitude de craquements légers; ces craquements ne rompent pas le silence, mais le rendent au contraire plus silencieux, de même que les étoiles, loin de blanchir le ciel nocturne, rendent la nuit plus profonde et plus noire»
Jankélévitch.

Superbe observation: le silence vécu comme une alliance, et non comme une incompréhension. On ne se tait pas avec le premier venu. « Il ne faut pas croire, dit Maeterlinck, que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres. Dès que nous avons vraiment quelque chose à dire, nous sommes obligés de nous taire ... L'instinct des vérités surhumaines nous avertit qu'il est dangereux de se taire avec quelqu'un que l'on désire ne pas connaître, ou que l'on n'aime point. Car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s'il a un moment l'occasion d'être actif, ne s'efface jamais. » 

Silence qui s'installe lors des départs en vacances. Demain est un ailleurs, loin sur le Bosphore. Il y a quarante ans, traversant l'Europe (divisée par un rideau de fer) en deux 2CV, je découvrais avec émerveillement la lointaine Byzance. Mes frères étaient des gamins, mes soeurs des enfants. Nos parents, devenus nomades pour un mois, et campeurs sur le tard, avaient accepté avec réticence de nous suivre dans une aventure à laquelle ils n'étaient pas préparés.  Là où ils reposent, qu'ils sachent que je leur en porte une gratitude sans fin. Pendant le voyage, je me laissai pousser la barbe. Une heure après mon retour, je rencontrais celle qui deviendrait ma femme. 
On rejoint maintenant Istambul en quelques heures d'avion, la barbe est blanche, les parents sont morts tous les deux, les enfants  et petits-enfants nous poussent à leur tour à empoigner à bras le corps ce monde qui craque de partout comme avant une naissance. Ce retour à Constantinople, avec ses images chères et enfouies dans ma mémoire, riche de symboles et d'émotions oubliées, pourrait bien constituer une fameuse séance sur le divan. 

Lu dans:
Raphaël Enthoven. L'endroit du décor. NRF Gallimard. L'infini. 2009. 160 pages. Extrait p. 53-54

Aucun commentaire: