"Nous nous amarrons à un quai, devant la ville de Pnom-Penh qui dort sous les étoiles. (..) Et une mélancolie tout autre émane de cette ville, qui est perdue dans l’intérieur des terres, qui n’a ni grands navires, ni matelots, ni animation d’aucune sorte. Voici relativement peu d’années que le roi Norodon a confié son pays à la France, et déjà tout ce que nous avons bâti à Pnom-Penh a pris un air de vieillesse, sous la brûlure du soleil ; les belles rues droites que nous y avons tracées, et où personne ne passe, sont verdies par les herbes ; on croirait l’une de ces colonies anciennes, dont le charme est fait de désuétude et de silence.."
Pierre Loti. Un pèlerin d'Angkor. 1901
Description presque mélancolique d'un monde, d'une ville, qu'allait embraser un siècle de fureur, de massacres et de guerres sans fin. PPnom-Penh vidée de ses habitants en 24 heures le 17 avril 1975, exsangue durant plusieurs années, ressuscite sans aucun doute depuis le retour d'une paix fragile (1999) et des capitaux étrangers, mais à quel prix? Une modernité arrogante côtoie une extrême pauvreté, les trottoirs sont envahis sans vergogne par les gros 4x4 de luxe rangés en épi, empêchant les piétons d'y progresser autrement qu'en partageant.. la route avec les camions, les mobylettes et les tuktuks. La splendeur retrouvée du palais royal, des pagodes de jade, d'argent, d'or comme s'il en pleuvait ne peut dissimuler ce minuscule bébé d'un mois lavé tout nu par sa maman à côté d'une poubelle dans une flaque. Quant aux guerres succède l'argent fou, le dėsordre ne bėnėficie que peu aux plus pauvres. Je relis mentalement Naomi Klein dont la Stratégie du Choc (2008) démonte admirablement ce "capitalisme du désastre" qui fit preuve de son efficacité dans bien des endroits de la planète. Le touriste que nous sommes se doit d'être heureux, et le guide aimable, orientant la découverte du pays vers les splendeurs passées, c'est de bonne guerre. Mais une question, insidieuse, demeure: est-ce ce type développement que nous souhaiterions chez nous? Il n'en demeure pas moins que la ville et ses habitants sont attachants, et que l'absence d'agressivité impressionne. Leçon des conflits antérieurs? Rien n'est simple.
31 octobre 2016
28 octobre 2016
Dans les bras du fleuve
"Je vais au bastingage. Je regarde le fleuve. Ma mère me dit quelquefois que jamais, de ma vie entière, je ne reverrai des fleuves aussi beaux que ceux-là, aussi grands, aussi sauvages, le Mékong et ses bras qui descendent vers les océans, ces territoires d'eau qui vont aller disparaître dans les cavités des océans. "
Marguerite Duras. L'Amant. 1984
Nous appartenons à cette eau qui coule de toute éternité des sommets enneigés à l'océan, et dont les molécules nous auront permis cet étrange hasard: être une personne qui porte un nom, aura un récit de vie, aura aimé, espėrė , rêvé. Avant de rejoindre l'infini.
Marguerite Duras. L'Amant. 1984
Nous appartenons à cette eau qui coule de toute éternité des sommets enneigés à l'océan, et dont les molécules nous auront permis cet étrange hasard: être une personne qui porte un nom, aura un récit de vie, aura aimé, espėrė , rêvé. Avant de rejoindre l'infini.
Nuit sur le Mékong
"Voyez ce bac, avec à son bord un bus, des camions à la gueule cabossée qui les fait ressembler à des bouledogues, des enfants qui vendent des tickets de loterie, des motocyclettes pétaradantes conduites par des cavalières au visage protégé par des mouchoirs. Tout vrombit, tout frémit sur le Mékong."
Marguerite Duras. L'Amant..1984
Il fait nuit, et silence. De longues péniches chargées de balles de riz, de terre argileuse, d'espoirs de quelques gains dépassent notre jonque en bois qui a jeté l'ancre jusqu'à l'aube. Leur bruit de moteur sans âge s'estompe dans la brume. Quel calme pour un pays qui connut dans un passé encore récent tant de fureur et de vacarme.
Marguerite Duras. L'Amant..1984
Il fait nuit, et silence. De longues péniches chargées de balles de riz, de terre argileuse, d'espoirs de quelques gains dépassent notre jonque en bois qui a jeté l'ancre jusqu'à l'aube. Leur bruit de moteur sans âge s'estompe dans la brume. Quel calme pour un pays qui connut dans un passé encore récent tant de fureur et de vacarme.
Aux sources du fleuve
"Et ce fleuve, cet enchantement, toujours, et de jour et de nuit, vide ou peuplé de jonques, d'appels, de rires, de chants et d'oiseaux de mer..."
Marguerite Duras. L'Amant. .1984
Embarquer sur le Mékong fait surgir le fantôme de la jeune fille, et de l'amant. De la vie qui passe aussi, on remonte un fleuve comme on déroule sa propre histoire. Du Mékong il se dit qu'il prend naissance dans le lointain Himalaya, cela laisse place au rêve.
Marguerite Duras. L'Amant. .1984
Embarquer sur le Mékong fait surgir le fantôme de la jeune fille, et de l'amant. De la vie qui passe aussi, on remonte un fleuve comme on déroule sa propre histoire. Du Mékong il se dit qu'il prend naissance dans le lointain Himalaya, cela laisse place au rêve.
Au marché chinois
"A Cholon, c'est toujours l'empire du commerce, du cyclo-pousse, du vendeur à la sauvette. Il existe des maisons à balcon habitées par plusieurs générations de Chinois expatriés. Le soir, grands-parents, parents, enfants et petits-enfants se réunissent devant leur échoppe, qui ne semble jamais fermer.
Au cœur de Cholon se trouve le gigantesque marché couvert de Binh Tây. Toutes les marchandises du monde entier, du tissu à l'or en passant par le riz, la volaille et les épices, y sont brassées dans une odeur de saumure."
Margurite Duras. L'Amant. 1984
Se perdre à Cholon revient à ne jamais revenir sur ses pas. Un entrelacs d'échoppes, d'escaliers, de senteurs, de musiques, de couleurs dont les mille mains paraissent vous happer au passage sans vouloir vous lâcher. On était dans le textile, on se retrouve dans le café, les poissons, les bijoux en or contrefaits, passant perdu, éperdu devant pareille abondance. Comme si tout ce qui s'achète et se vend sur terre vous avait fixé rendez-vous.
Lu dans:
Les couleurs déchirantes de Sadec vues par Marguerite Duras. Le Monde des livres. 8 juillet 2010.
Au cœur de Cholon se trouve le gigantesque marché couvert de Binh Tây. Toutes les marchandises du monde entier, du tissu à l'or en passant par le riz, la volaille et les épices, y sont brassées dans une odeur de saumure."
Margurite Duras. L'Amant. 1984
Se perdre à Cholon revient à ne jamais revenir sur ses pas. Un entrelacs d'échoppes, d'escaliers, de senteurs, de musiques, de couleurs dont les mille mains paraissent vous happer au passage sans vouloir vous lâcher. On était dans le textile, on se retrouve dans le café, les poissons, les bijoux en or contrefaits, passant perdu, éperdu devant pareille abondance. Comme si tout ce qui s'achète et se vend sur terre vous avait fixé rendez-vous.
Lu dans:
Les couleurs déchirantes de Sadec vues par Marguerite Duras. Le Monde des livres. 8 juillet 2010.
Pluies de mousson
C'est encore de l'air
mais c'est déjà de l'eau:
de l'air liquide
une minute juste avant la pluie
diluvienne
cet instant fugace
où dans ta vie
le présent devient souvenir.
C'est doux et violent ensemble, et porte un joli nom: la mousson. On en connaît deux à trois averses par jour, aux abris.
mais c'est déjà de l'eau:
de l'air liquide
une minute juste avant la pluie
diluvienne
cet instant fugace
où dans ta vie
le présent devient souvenir.
C'est doux et violent ensemble, et porte un joli nom: la mousson. On en connaît deux à trois averses par jour, aux abris.
26 octobre 2016
"L’animal naît, il passe, il meurt,
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
L’oiseau passe, il vole, il meurt,
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
Le poisson fuit, il passe, il meurt,
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
L’homme naît, mange et dort. Il passe
Et c’est le grand froid
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
Et le ciel s’est éclairé, les yeux se sont éteints.
L’étoile resplendit.
Le froid est en bas, la lumière en haut.
L’homme a passé, le prisonnier est libre.
L’ombre a disparu.
L’ombre a disparu. "
Une patiente est morte cette nuit, à bout de vie. Elle lisait et inspirait, son mari peignait, leur modeste appartement social était un âtre de beauté. Le dernier tableau reste inachevé, faute d'avoir pu capter la lumière. L'avant-dernier, un buste de Marianne offert aux chalands sur une brocante, a été baptisé "Où vais-je aboutir?" Il est mort deux mois plus tard, il y a cinq ans, Meurt-on jamais quand on a pu se transmettre d'aussi si beaux messages? Et nous, captons-nous encore la lumière?
Lu dans:
Chant sacré attribué aux Pygmées. Le Livre d’or de la Prière. Alfonso M. di Nola. Marabout.
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
L’oiseau passe, il vole, il meurt,
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
Le poisson fuit, il passe, il meurt,
et c’est le grand froid.
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
L’homme naît, mange et dort. Il passe
Et c’est le grand froid
C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.
Et le ciel s’est éclairé, les yeux se sont éteints.
L’étoile resplendit.
Le froid est en bas, la lumière en haut.
L’homme a passé, le prisonnier est libre.
L’ombre a disparu.
L’ombre a disparu. "
Une patiente est morte cette nuit, à bout de vie. Elle lisait et inspirait, son mari peignait, leur modeste appartement social était un âtre de beauté. Le dernier tableau reste inachevé, faute d'avoir pu capter la lumière. L'avant-dernier, un buste de Marianne offert aux chalands sur une brocante, a été baptisé "Où vais-je aboutir?" Il est mort deux mois plus tard, il y a cinq ans, Meurt-on jamais quand on a pu se transmettre d'aussi si beaux messages? Et nous, captons-nous encore la lumière?
Lu dans:
Chant sacré attribué aux Pygmées. Le Livre d’or de la Prière. Alfonso M. di Nola. Marabout.
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998
22 octobre 2016
Sagesse des cancres
"Echouer est mal perçu. Un élève est rarement félicité pour sa manière de se tromper. Nous devrions féliciter plus souvent les élèves qui se sont trompés de façon originale, souligner combien une manière de rater, curieuse, inattendue peut augurer des succès futurs."
Charles Pépin.La scène se passe à l’école primaire, rapportée par Luc de Brabandere. Des enfants doivent compléter la phrase "Le chat a… pattes et l’oiseau en a…". Consciencieusement, les élèves rajoutent un 4 et un 2 dans les espaces pointillés. Mais l’un d’entre eux répond autre chose. Sur sa feuille le professeur lit : "Le chat a mal aux pattes et l’oiseau en a de la peine". L'enfant se trompe en fonction de l'attente de l'enseignant, pas dans sa démarche propre qui ouvre des pistes de réflexion inattendues et originales.Je vous souhaite une bonne semaine. Un pied encore en Belgique, un pied déjà en Asie, les pensées entre café et journal vont flotter sur les lointaines eaux du Mékong pendant deux semaines. Le blog http://entrecafejournal.blogspot.com/ sera sans doute alimenté de manière plus régulière que l'envoi des mails pour autant qu'il y ait du café, des journaux et du Wifi ce qui n'est guère assuré.CV
Lu dans:
Charles Pépin. Les vertus de l'échec. Allary Editions. 2016. 250 pages.
21 octobre 2016
Colomb in se
"Soyez un Colomb pour de nouveaux continents et mondes entiers renfermés en vous, ouvrant de nouveaux canaux, non de commerce mais de pensée. (..) Il est plus facile de naviguer des milliers et milliers de milles à travers froid, tempête et cannibales, dans un navire de l’État, avec cinq cents hommes et mousses pour vous aider, qu’il ne l’est d’explorer seul la mer intime de son être. Quel besoin d’aller faire le tour du monde pour compter les chats de Zanzibar ?"
Henry David Thoreau
Lu dans:
Henry David Thoreau. Walden ou La vie dans les bois. Gallimard Poche. Collection L'Imaginaire .1990. 350 pages
Tiercé gagnant
"A treize ans, j'employais à l'achat de livres l'argent que mes parents m'allouaient pour des cours de natation, de danse, de tennis. A dix-huit ans, je ne savais toujours pas nager, ni danser, ni jouer au tennis. A l'égard de tous les records d'adresse ou de vitesse, j'en suis demeuré inébranlablement au point de vue du shah de Perse qu'on voulait persuader d'assister à un derby et qui répondit avec sa sagesse d'Orient : « A quoi bon? Je sais bien qu'un cheval peut courir plus vite qu'un autre. Il m'est indifférent de savoir lequel."
Stéphane Zweig.
Lu dans:
Stéphane Zweig. Le monde d'hier. Le Livre de Poche 14040. Traduction Serge Niémetz. Souvenir d'un Européen. Belfond 1942. 511 pages. Extrait p.79
19 octobre 2016
Sagesse d' Izet Sarajlié
"Au cours des automnes et des hivers du siège le plus long du vingtième siècle, à Sarajevo, le poète Izet Sarajlié a brûlé ses livres dans son poêle, une feuille à la fois. Izet Sarajlié jetait un rapide coup d'oeil aux lignes fourrées dans le feu. Il y volait une dernière fascination avant d'en extraire la dernière courte flamme qui éclairait la maison éteinte. Il n'y avait pas de bougies, vite épuisées. L'électricité fut coupée pendant plus de trois ans. Quand la guerre prit fin, il écrivit un poème:"Quelqu'un a sonné.
Le premier coup de sonnette électrique à la porte l'avait fait sursauter de bonheur.
C'était le facteur."
Plus près. Un patient revient chez lui après une longue hospitalisation, retrouve une orchidée abandonnée dans la précipitation du départ. La tige a été rompue, mais la fleur est intacte. S'approchant, il remarque un infime faisceau par lequel la sève est passée. On survit par des canaux minuscules.
Lu dans:
Erri de Luca. Paolo Sassone-Corsi. Le cas du Hasard. Escarmouches entre un écrivain et un biologiste. Traduit de l'italien par Danièle Valin. Arcades Gallimard. 2014. 98 pages. Extrait p.52
Mamy
"Une fois chez les vieux, à jamais chez les vieux."
D. Verhulst.
Elle a six ans et les yeux encore embués de larmes. Dans la salle
d'attente, deux patientes d'un certain âge lui ont fait risette et
la conversation, "tu vois plus tard tu seras une gentille mamy
comme nous". Elle a fondu en larmes à cette évocation pourtant
bien intentionnée. A six ans on fait d'autres rêves.
Dimitri Verhulst, Danielle Losman. Comment ma femme m'a rendu fou. Denoël. 2015. 144 pages.
17 octobre 2016
Un lien de liberté
"- A qui appartient cette chatte ? - A celui qui s’en occupe. -
Casparo sourit. Elsa a raison. Il en va sans doute ainsi des hommes."
Jean-Marie Ceci
On croit relire Le Petit Prince, et sa rose, et son renard. "
C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si
importante. " Apprivoiser n'est pas posséder, c'est un lien de
liberté qui rend meilleur celui à qui on appartient.
Lu dans:
Monsieur Origami de Jean-Marc Ceci, ed.Gallimard 2016 Extrait page 84
Antoine de Saint-Exupéry. Le Petit Prince. Chapitre XXI
16 octobre 2016
Avé l'accent
" Avoir un accent, c'est parler de son pays quand on parle d'autre chose. "
Miguel Zamacoïs
Bien sûr, l'accent, c'est l'accent de l'autre. Cela crée de bonnes
histoires, telle celle de ce Vosgien déclarant qu'il a perdu son
chien. " Il est tatoué ? ", demande l'agent de permanence. " Bien
sûr qu'il est à mwé !" Humour bon-enfant qui ne tue guère.
Francis Marmande. Accents toniques. Le Monde Idées. 15 octobre 2016. Extrait p.7
15 octobre 2016
Comme un caillou qui roule
"Il fut un temps où si richement vêtue
à peine étrennés tu jetais tes habits aux cloches
on te prévenait:
la beauté n'a qu'un temps
et tu riais, tu riais
et des cloches et de l'avenir
Tu parles moins haut à présent
plus si fière
dans la file des restos du coeur
ça fait quoi, dis
d’être sans abri
ignorée de tous
comme un bête caillou qui roule."
Bob Dylan. Like a rolling stone.
Bob Dylan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2016, décidément le
monde et les temps changent. Lui guère: ignorant l'annonce, il n'en a
fait aucune mention sur scène le soir même, terminant par
un clin d’œil lorsque pour le rappel il a entonné le titre de Franck
Sinatra, Why Try to Change Me Now (« Pourquoi essayer de me changer
maintenant »). Il aurait reçu le Nobel de la Paix pour son influence sur
une génération contestant la guerre du Vietnam qu'il aurait
vraisemblablement réagi de la même manière, s'étant toujours défendu
d'avoir été le porte-parole de qui que ce soit. Libre de tout comme un
caillou qui roule, une de ses chansons fétiches que nous reprîmes
maintes fois. 14 octobre 2016
En français dans le texte
"Le haveneau est la même chose que le havenet qui est la même chose que la bourraque qui est la même chose que le pousseux qui n’est rien d’autre qu’un filet à crevettes. "
Eric Chevillard.
12 octobre 2016
Seule
"En été j'ignorais encore
combien sans toi
l'hiver est long et le lit froid."
Antoinette Dalcq
Je la revois quelques mois après la perte de son mari, les mots peinent à
sortir. Le soleil brûlant de la Grèce en août, que du bonheur, l'avenue
du Silence à la Toussaint, on a peine à le croire. La gène financière,
les avis notariaux, des enfants plus lointains, les amis qui s'espacent,
les invitations rares. Tout un monde de fêtes, de rencontres joyeuses,
de retrouvailles avec paniers et bouteilles s'estompe: la solitude ne
plaît pas trop aux couples. C'était une vie pleine, trop pleine parfois,
maintenant c'est la steppe, sœur Anne ne voit rien venir. Le rythme des
saisons souligne tout cela cruellement: on est en hiver, jours courts,
nuits longues, petites laines pour retrouver une chaleur à jamais
perdue. Faire son deuil est simple à conseiller, moins à vivre.
Lu dans:
Antoinette Dalcq. Nommer les choses comme Adam. Ed. J Dieu-Brichart. 1988. 56 pages. Extrait p. 33
11 octobre 2016
Comme un chandail reprisé
"On a toujours de la tendresse
Pour une auto rafistolée
Pour un chandail bien reprisé
Pour un divan tout élimé. (..)
Qui n'a pas son bonheur cassé
Et mille fois raccommodé?"
Antoinette Dalcq
Comment se peut-il que les gens vus à la télé, sur les photos de presse,
sur les affiches en rue soient tous beaux? Même les paumés de Cap48 et
de 11.11.11 paraissent sélectionnés pour la beauté de leur traits. Je ne
retrouve que rarement cette perfection sous mon stéthoscope: ce ne sont
que cuirs tannés, ridés, petites brioches, dos cassés, plaies bien
cachées, cheveux rares, affaissements divers et encore on ne parle pas
des blessures de l'âme. Monde virtuel, monde réel. Un pour le rêve, un
pour la rencontre. Et comment se fait-il que ma tendresse aille
instantanément à ces corps rafistolés?
Lu dans :
Antoinette Dalcq. Estampes et médailles. Ed. J. Dieu-Brichart. 130 pages. Extrait p.20
Sagesse numérique
"L'ordinateur avait tout faux, prédisant qu'avec neuf femmes enceintes on aurait un bébé en un mois."
09 octobre 2016
Le monde d'hier
"Le soleil brillait, vif et plein. Comme je m'en retournais, je remarquai comme j'avais vu l'ombre de l'autre guerre derrière la guerre actuelle. Elle ne m'a plus quitté depuis lors, cette ombre de la guerre, elle a voilé de deuil chacune de mes pensées, de jour et de nuit; peut-être sa sombre silhouette apparaît-elle aussi dans bien des pages de ce livre. Mais toute ombre, en dernier lieu, est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu."
Stéphane Zweig
Dernier paragraphe d'une longue autobiographie. Peu de temps après,
Stéphane Zweig se donnait la mort en exil, empreint d'un profond
sentiment d'échec, exilé de sa patrie car Juif et du monde libre car
citoyen de cette Autriche rattachée au Reich allemand. Peu de temps
avant, toute son œuvre a été interdite et brûlée dans les autodafés du
national-socialisme. Étrange retour de l'Histoire, rares sont les
auteurs autant lus et traduits aujourd'hui. Toute ombre, en dernier
lieu, est fille de la lumière.
Lu dans:
Stéfan Zweig. Le monde d'hier. Traduction Serge Niémetz. Souvenir d'un Européen. Belfond 1942. Le Livre de Poche 14040. 511 pages. Extrait p.506
08 octobre 2016
Terre fragile
"I see skies of blue and clouds of white
The bright blessed day, the dark sacred night
And I think to myself, what a wonderful world."
Louis Armstrong. What A Wonderful World
"[La coupole de la Station spatiale internationale]. C'est un endroit
privilégié pour regarder la planète dont on vient, pleine et ronde.
Sandra est frappée par la minceur de la couche d'atmosphère qui nous
enveloppe, elle s'émeut de la sensation de fragilité qui s'en dégage,
(..) et de ce sentiment très fort qu'elle contient toute la vie,
condensée là, dans
cette boule, tandis qu'au-dessus il n'y a rien si ce n'est le
noir complet, et tout ce noir est du néant. Comme d'autres avant lui,
Fergie s'extasie également de ce qu'on voit défiler les océans et les
continents, comme enfant sur les mappemondes qu'on faisait tourner du
doigt, mais sans frontières apparentes. Qu'il n'y ait plus ces
pointillés est une chose qui peut laisser rêveur. Et puis son regard se
tourne vers la silhouette plus proche de la navette, dont il constate
qu'on la voit bien depuis la coupole. Son gros corps blanc l'apaise car
il contient la promesse du retour."
Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait pp 154, 156
Louis Armstrong. A wonderful world. ("Je vois des ciels bleus / Et de blancs nuages / L'éclat du jour / La profondeur de la nuit / Et je me dis / Quel monde merveilleux.")
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait pp 154, 156
Louis Armstrong. A wonderful world. ("Je vois des ciels bleus / Et de blancs nuages / L'éclat du jour / La profondeur de la nuit / Et je me dis / Quel monde merveilleux.")
06 octobre 2016
Les yeux en aquarelle
"Il mourut en novembre à cinq heures du jour encore à poindre. J'étais avec lui dans le noir, il dit une dernière syllabe, seulement de voyelles. Je mis un miroir devant sa bouche pour voir s'il s'embuait. Mais ce sont mes yeux qui s'embuèrent. "
Erri de Luca, à propos de son père
Comme en peu de mots toute chose est dite. Quel que soit l'âge,
la mort d'un père , d'une mère sont des moments fondateurs, dont
le souvenir nous revient capricieusement au fil d'une lecture,
d'une chanson, d'un bout de film. Reviennent avec Erri De Luca
quelques lignes d'Elie Wiesel, quelques notes de Daniel Guichard
("mon vieux"), sans doute est-ce l'automne qui s'installe.
Erri De Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.183
Yucatán!
"Quand les hommes de Cortés ont débarqué ici, ils ont demandé en espagnol: Comment s'appelle cet endroit? Les Mayas leur ont à chaque fois donné la même réponse: Yucatán! Dans leur langue ce mot signifie: Je ne vous comprends pas."
Barbara Kingsolver (1955- )
Combien de Yucatán! dans notre quotidien?
04 octobre 2016
So long Marianne
"Marianne,
Le temps d'être vieux est venu
nos corps s'effondrent et je sens que je te suivrai très bientôt.
Sache que je te suis de si près
que si tu tends la main
tu pourras saisir la mienne.
Tu sais que je t’ai toujours aimée pour ta beauté et ta sagesse
je n’ai pas besoin d’en dire plus à ce sujet
car tu sais déjà tout cela.
Mais je veux seulement te souhaiter un très bon voyage
adieu ma vieille amie mon amour éternel
nous nous reverrons”.
Lettre d'adieu de Léonard Cohen à sa muse, Marianne Ihle
03 octobre 2016
Sur les murs j'écris mon non
"Kashine, quant à lui, n’écrit pas "ton nom, liberté" (Eluard) sur la jungle et le désert, mais juste le mot « non », partout où il peut : « Sur des troncs d’arbres, sur des feuilles, des trottoirs, des ballons de foot, des cahiers d’écolier : “non”, “non”, “non”.
Tavares. Matteo a perdu son emploi.
Ce "non" dont nous faisons nos délices vers les 18-24 mois, nous
opposant avec jubilation à tout ce qui parle et bouge, aussitôt
désappris par des parents soucieux de notre sociabilisation. Il faut une
vie entière pour le réutiliser avec sagesse, un "non"ouvert et non
clos, un "non" qui ne claque pas comme une balle de fusil ou une porte
qu'on ferme mais qui soit une fenêtre qu'on ouvre. Un "non" de respect
réciproque, prononcé dans la sérénité. Mais un "non" ferme au déni de
justice, à la volonté de domination, à tout ce qui nie le droit
d'exister. "C'est toi qui rends puissant le puissant en acceptant son
pouvoir (Véronique Ovaldé)", il est des "oui" trop complices pour ne pas
se voir contestés.
Lu dans:
Gonçalo M. Tavares. Matteo a perdu son emploi. Traduit du portugais par Dominique Nédellec. Viviane Hamy. 200 p.
Véronique Ovaldé. Soyez imprudents les enfants. Flammarion. 2016.
02 octobre 2016
Une nostalgie de pluie
"Il pleut sur Terre, en ce moment où je m'applique à vous décrire la vue qu'ils ont [dans la Station spatiale] depuis la coupole. (..) Je ressens cet effet cocon que la pluie donne à la maison, et je me demande si c'est une chose qui leur manque, là-haut, parfois, la pluie, le bruit de la pluie."
Christine Montalbetti
Eh oui, elle manque. Au point qu'un des astronautes ayant passé de longs
mois dans la Station spatiale internationale avait emporté une clé USB
contenant des bruits de nature. Certains jours, en flottant de module
en module, on entendait des bruits d'oiseaux, et surtout le son de la
pluie, partout, ample et insistante.
Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait pp 154, 156
Voir la Terre en direct depuis la Station spatiale? http://iss.destination-orbite.net/live.php
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