31 octobre 2015

30 octobre 2015

Papillons de bonheur


"La matinée était chaude et magnifique, l'air immobile et les fleurs, ouvertes comme des bouches à la lumière, palpitaient imperceptiblement, exprimant la joie infinie d'exister. Pour couronner cette sensation d'extase, deux papillons blancs, enivrés de lumière et de chaleur, allaient de l'une à l'autre de ces fleurs, s'éloignant un moment dans le ciel bleu, comme hésitant sur leur choix, mourant de bonheur."
    Anna Maria ORTESE

... belle évocation sur les rivages diaphanes de la mémoire par ce temps de Toussaint.



Lu dans:
Anna Maria ORTESE. Aurora Guerrera et autres nouvelles. Actes Sud. 2008. Traduit de l'italien par Claude Schmitt et Marguerite Pozzoli. 440 p. Extrait p. 143.

28 octobre 2015

Sagesse des petits poissons


"J'ai abandonné la pêche le jour où je me suis aperçu qu'en les attrapant, les poissons ne frétillaient pas de joie."
            Louis de Funès

En 1995 j'observai à la pointe du pier de Bournemouth un jeune garçon s'acharner sur un petit poisson qu'il venait de pêcher, le rouant de coups jusqu'à ce qu'il arrête de bouger. Il entama à ce moment une parodie de Kung Fu, jetant pieds et poings en avant comme s'il avait vaincu un requin de belle taille. Son père riait, et je ne sais lequel des trois était le plus à plaindre du père, du fils ou du poisson, tant cette scène paraissait dérisoire et vaine. Bournemouth fut élue en 2007 "cité la plus heureuse du Royaume Uni", ce qui accrut ma perplexité quant à l'origine de la violence qui nous habite et mon inquiétude de ce qui peut se passer dans la tête d'enfants habitant les cités les plus déshéritées. 


Loin des chiffres comptables


"Le Grand Feu de Matheson a été le plus meurtrier. Deux cent quarante-trois morts. Ce sont les chiffres officiels. Ils ne comptent pas les prospecteurs, les trappeurs, et les errants, ces êtres qui n'ont pas de nom, pas de nationalité, qui n'existent pas, qui vont d'un endroit à l'autre. On en retrouvera quelques-uns dans des ruisseaux asséchés, mais la plupart ne formeront qu'un petit tas d'os calcinés que le vent emportera loin des chiffres comptables."
        Jocelyne Saucier.

L'interminable comptabilité des "errants, ces êtres qui n'ont pas de nom, pas de nationalité, qui n'existent pas, qui vont d'un endroit à l'autre" se terminera-t-elle un jour? Image émouvante hier du sauvetage inespéré d'un bébé en mer, et de sa famille qui le retrouve. D'autres n'auront pas cette chance, ne laissant même pas un petit tas d'os calcinés. Observant ces parents et ce bambin tellement normaux, je les imagine quelques mois plus tôt dans ce qui devait être leur maison, prenant un petit-déjeuner pareil au mien, avant de partir au travail. Dans quelques minutes, le journal télévisé fera place à Spécial Taratata. Nuit agitée, petit vertige passager. Ce doit être le passage à l'heure d'hiver.   


Lu dans:
Jocelyne Saucier. Il pleuvait des oiseaux. Ed. XYZ 2011. Folio. 5874. 220 pages

27 octobre 2015

Vivats la vie va


«Quand vous entendez le bruit des applaudissements, vous savez qu’il est temps de s’en aller.»
            Jacques Chardonne

25 octobre 2015

Dove ten vai, mia vita ?


"Elle vint toute vêtue de blanc, d’un blanc aussi pur que son esprit :
Sa face était voilée, mais pas pour ma vue imaginée :
Amour, douceur, bonté rayonnait en sa personne
Si clairement, plus que jamais aucun visage n’émit de joie.
Mais, Oh ! comme pour m’embrasser elle s’inclina,
Je m’éveillai, elle s’envola, et le jour me rendit ma nuit. "
        John MILTON (1608-1674)

La beauté pure de l'Orféo de Monteverdi s'élève sous les arches de pierre du Dôme de Milan. Le mythe d'Orphée guidant Eurydice hors des Enfers et la perdant à jamais pour l'avoir contemplée imprègne le lieu d'une magie indéfinissable, alliant le plaisir des yeux, des oreilles et de l'esprit. Ils sont un petit millier, assis silencieux dans les travées centrales de la cathédrale, à laisser vagabonder leurs pensées vers ce destin ancestral et si actuel: l'être humain peut tout perdre en voulant tout gagner. On est humble dans ces moments-là. 


20 octobre 2015

Sauver le poisson rouge


"- Mon poisson rouge a crevé, je dis. J'ai perdu mon boulot. Mon mec m'a plaquée.
- Dans quel ordre ?
- Le poisson à la fin."
        Claudie Gallay

Infiniment triste, infiniment drôle et juste. Peut servir d'incipit au cours de médecine générale: face à la détresse accueillir le récit, nommer les plaies, les hiérarchiser, discerner les urgences est déjà un début de guérison. Le poisson rouge ne fait hélas plus partie des choses que l'on peut sauver. 



Lu dans:
Claudie Gallay. Seule Venise. Actes Sud. Babel. 2006. 304 pages. Extrait p.41
Du même auteur : Les déferlantes ; L'amour est une île ; Une part du ciel  ; Dans l'or du temps.

18 octobre 2015

Quand le laid se fait vintage


"La beauté cachée
Des laids des laids
Se voit sans
Délai délai."
        Serge Gainsbourg

Intermarché a fait de la distribution des produits moches un argument de vente, proposant 30 % moins cher des produits non conformes aux standards, parmi lesquels les fruits et légumes "gueules cassées".  L'effet médiatique et l'emballement des réseaux qui s'en donnent à cœur joie sur un thème aussi rassembleur ont été immédiats, ressentis par une hausse du trafic en magasin et des ventes. La quête éperdue de la perfection et d'un respect des normes vacillerait-elle au bénéfice d'une simple envie d'exister, le consommateur lambda pas beau pas riche pas malin se découvrant de la tendresse pour ces produits qui somme toute lui ressemblent? 



Lu dans:
Olivier Standaert. Le beauté cachée des laids. La LIbre Entreprise. samedi 17 octobre 2015. p. 4

17 octobre 2015

En toute discrétion


À Orval, Frère Lode me raconte qu'il effectua son service militaire comme secrétaire de l'évêque responsable des armées. Ce Padre avait grade de général. Il se déplaçait donc dans une voiture assez luxueuse pilotée par un chauffeur. Il était parfois accompagné d'un autre aumônier. Les distances étaient longues, et monsieur l'aumônier en chef ne soufflait mot. Deux ou trois heures de silence ... À l'arrivée, il se tournait vers son convive et lui disait rieusement : « Tout ceci entre nous, bien entendu! »
            Lucien Noullez


Lu dans:
Lucien Noullez. Caresser les jours. Journal 2005-2006. Editions du Pairy. 247 pages. Extrait p.174

16 octobre 2015

Comme une pépite offerte

"Ce doit être ça, l’amour : quand le regard de l’autre voit en vous ce que vous ne voyez pas vous-même, l’extrait comme une pépite dorée et vous l’offre."
         Catherine Pancol

Quand la beauté des mots d'aujourd'hui rejoint celle venue du fond des temps, comme on peut le lire dans le Cantique: "J'ouvre à mon amour / Tout moi est sorti à ses mots."


Lu dans:
Catherine Pancol. J'étais là avant. Ed. Le Livre de Poche. 2001. 245 pages
Le Poème. Cantique des Cantiques. La Bible Bayard. Ed. Bayard. 2001. Extrait p. 1620

15 octobre 2015

Les gens qui doutent


"J'aime les gens qui doutent
moitié dans leurs godasses
et moitié à côté
ceux qui paniquent
qui n'auront pas honte
de n'être au bout du compte
que des ratés..."
        "Les gens qui doutent", Anne Sylvestre, 1977

14 octobre 2015

Ce que le vide est à l'essieu


"Je n'ai jamais connu qu'avec toi ce sentiment d'être au moyeu de la roue, là où le mouvement est repos".
            Jacques de Bourbon Busset

Mystère de ces rencontres qui nous font progresser sans trépigner, découvrir le mouvement sans l'agitation, connaître une "vibration dans un espace très limité" comme la décrit Musil.


Lu dans:
Jacques de Bourbon Busset. L'absolu vécu à deux. NRF. Gallimard. 2002. 124 pages. Extrait p.50

13 octobre 2015

En terre de solitude


"Vieillir, c'est voir mourir."
Lucien Noullez

A 85 ans, il "a fait" le Marché annuel à la recherche de son passé. Il y a vingt ans il n'avait pas assez de ses deux mains pour saluer le monde, cette fois il n'a rencontré en une journée qu'une personne, à peine connue. A cinq ans, il s'était égaré de ses parents sur la plage bondée de Blankenberge et avait erré durant deux heures à la recherche d'un visage familier. C'est le même sentiment éperdu qu'il a éprouvé cette fois, en pire, et en plus long. 

Lu dans:
Lucien Noullez. Caresser les jours. Journal 2005-2006. Editions du Pairy. 247 pages. Extrait p.66

11 octobre 2015

Emplacement réservé


"Voilà. Ma fille avait obtenu une place. Oh, ce n'était pas une place au soleil, loin s'en faut, mais c'était une place sûre, qu'elle occuperait toute sa vie."
        Corine Jamar.

"Aujourd'hui, sale temps dans ta tête. Morosité, mauvaise humeur. Tout t'agace, même toi."(*) Après avoir obtenu de haute lutte pour sa fille handicapée un "emplacement réservé", ce rectangle de peinture blanche tracé à même le bitume devant la maison, une mère tente difficilement de l'occuper en délogeant à longueur de semaine les conducteurs étourdis qui le squattent. Combat emblématique contre les mille et uns chausse-trappes d'une existence "normale" habitée par le handicap. Combat contre les autres autant que contre soi-même, que ce roman aux teintes autobiographiques croque avec a(hu)mour. On connaissait de Corine Jamar la "femme couchée sur le dos" et celle qui avouait "Soit dit entre nous, j’ai peur de tout", on y découvre une femme debout qui n'a plus peur de rien.


Lu dans:
Corine Jamar. Emplacement réservé. Le Castor Astral. 2015. Vient de paraître.
Parus au Castor Astral: Soit dit entre nous, j’ai peur de tout (2012), et On aurait dit une femme couchée sur le dos (2014)
(*) Christophe André. Sérénité, 25 histoires d'équilibre intérieur. Odile Jacob. 2012. 160 pages. Extrait p.23

10 octobre 2015

Un petit pas pour l'homme


On fait des montagnes / avec ce qu’on peut."
        Jacques Brel . La bière.

Il ne marchait plus. Ce matin il a fait trente pas. L'Everest vaincu en chambre. 

08 octobre 2015

Le poids des puces


"Cela peut encore servir."

Phrase terrible. De la petite tasse ébréchée à la gabardine que portait le père, je garde donc je suis. Cela porte un joli nom: les encombrants.


Nuages, merveilleux nuages


"Si je devenais nuage
Je trouverais un nuage
Qui serait toi."
            Eugène Guillevic

Léger comme tulle au vent, j'apprécie ce petit plus qui, le matin, aime annoncer une belle journée.

Lu dans:
Eugène Guillevic. Possibles futurs. Lyriques. 1989

07 octobre 2015

Sagesse de la source


"Le bruit très bas     à peine si on l'entend
de la source timide     cachée sous la verdure
entre les menthes     les guimauves le cresson
la source qui fait modestement son travail de source
mais va rejoindre par de très longs chemins
l'océan Atlantique."
        Claude Roy

Au terme d'une journée tissée d'activités infiniment modestes, dans lesquelles beaucoup se reconnaîtront, surgit le doute quant au sens de toute activité humaine. J'aime écouter à cet instant le bruit très bas de la source qui fait modestement son travail de source, ou comme le dit Philippe Claudel de l'homme qui aura tenté modestement de faire  son travail d'homme. 


Lu dans:
Claude Roy. Les pas du silence. Gallimard. NRF. 1993. 271 pages. Extrait p. 157.
Philippe Claudel, RTBF 5 octobre 2015. Entrez sans frapper.

06 octobre 2015

Y a-t-il quelqu'un?


«Dieu nous rend souvent visite, mais la plupart du temps, nous ne sommes pas chez nous. »
            Maître Eckhart (1260-1328). Conseils spirituels

La spiritualité de Maître Eckart a été supplantée par la pleine conscience, le yoga ou l'éveil, mais la question de l'"être à soi" demeure entière. Comment éviter le divertissement de Pascal, cette absence à nous-même et vérifier à intervalle régulier "s'il y a quelqu'un là-dedans?» et le cas échéant où nous sommes. 


Lu dans:
Christophe André. Sérénité, 25 histoires d'équilibre intérieur. Odile Jacob. 2012. 160 pages. Maître Eckart cité p.83

05 octobre 2015

Un silence complice


Mmamihlapinatapei (trad. "silence très expressif")
        nom commun, en langue de Terre de Feu.

Il est des noms communs exceptionnels. On sait toujours lorsqu'un mamihlapinatapei vient de se produire. Il s'agit de cet instant où deux personnes, de chaque côté d'une table ou d'une pièce, échangent un regard durant lequel elles partagent quelque chose de privé et tacite. Lorsque chacun sait que l'autre comprend et approuve ce qui vient d'être exprimé. Il peut s'agir d'un moment de complicité amoureuse, mais également d'humour ou de bienveillance. Un terme aussi charmant qu'intraduisible. En connaîtrons-nous aujourd'hui? C'est tout le bien que je vous souhaite. 


Lu dans :
Christopher Moore. Les plus jolis mots du monde. Albin Michel. 2006. 160 pages

03 octobre 2015

Classe inversée


"Considérez votre nature d'hommes :
Vous n'avez pas été créés pour vivre
comme des brutes,
Mais pour chercher à acquérir vertu
et connaissances."
            Dante

Jamais on ne vit classe plus attentive, ni maîtresse plus convaincante. Au centre d'un cercle improvisé, elle a la conviction de sa jeunesse et aligne en phrases simples les nouvelles du monde: la tuerie d'étudiants en Oregon, les réfugiés venus par la mer jusqu'à Lesbos et leur interminable périple à-travers la Macédoine, le sommet des Nations Unies à New-York, le concert de Stromae à Madison Square en présence du premier ministre belge. Elle prononce les mots difficiles en articulant et en expliquant - deu-xième amen-de-ment de la Cons-ti-tu-tion amé-ri-caine - sans esquiver ni simplifier, rien n'est assez compliqué que pour ne pas être compris. Certains opinent de la tête pour signifier qu'ils ont tout saisi, d'autres complètent les phrases en suspens, d'aucuns somnolent doucement. Ils ont tous entre 80 et 100 ans, et savourent cette leçon quotidienne comme une liqueur rare. Cela se passe dans mon quartier, en maison de repos et l'enthousiasme de la jeune ergothérapeute est communicatif. Me revient le beau roman d'Alice Ferney, récit d'une libraire assurant la lecture dans un camp d'enfants gitans "dans la grâce et le dénuement", et sa foi dans la beauté des choses humaines. 

Lu dans :
Dante, La Divine Comédie, "L'Enfer", chant XXVI. Paroles d'Ulysse à ses compagnons.
Phrase reprise en exergue de: Alice Ferney. Grâce et dénuement. Actes Sud 1997. 291 pages.

02 octobre 2015

Entretemps, la vie


Un temps viendra      seule certitude
où moi aussi                 je m'en irai
de la terre à la terre     de la lumière au feu
rendu aux flots tourbillonnants de la mer
ou emporté vers le ciel par quelque rapace     lambeau de chair morte
insignifiant et ultime voyage
ce temps viendra  

on se souviendra
de comment j'ai vécu        seule chose qui importe
et cela aussi             assez rapidement
s'estompera dans le temps
        Carol Snyder

Dans la très sérieuse revue médicale BMJ (British Medical Journal), soudain ce court poème. La quête du sens se débusque dans les endroits les plus inattendus.

Lu dans:
Carol Snyder Halberstadt. In the meantime, Life.  BMJ  septembre 2016.

01 octobre 2015

Octobre


"Le vent fera craquer les branches
La brume viendra dans sa robe blanche
Y'aura des feuilles partout
Couchées sur les cailloux
Octobre tiendra sa revanche
Le soleil sortira à peine
Nos corps se cacheront sous des bouts de laine
Perdue dans tes foulards
Tu croiseras le soir
Octobre endormi aux fontaines
Il y aura certainement,
Sur les tables en fer blanc
Quelques vases vides qui traînent
Et des nuages pris aux antennes
Je t'offrirai des fleurs
Et des nappes en couleurs
Pour ne pas qu'Octobre nous prenne
On ira tout en haut des collines
Regarder tout ce qu'Octobre illumine
Et sans doute on verra apparaître
Quelques dessins sur la buée des fenêtres
Vous, vous jouerez dehors
Comme les enfants du nord.
Octobre restera peut-être."
                          Francis Cabrel. Octobre.