"Le troupeau de bisons - des milliers, des dizaines de milliers de bisons - arrivait au bord d'une falaise. Le premier rang hésitant sans doute devant le vide, tentait de s'arrêter. Mais les autres, qui ne voyaient pas le précipice, continuaient stupidement d'avancer, droit devant eux et d'autres encore, dans le même mouvement aveugle, irrésistible, poussaient ceux qui poussaient et tombaient à leur tour, de sorte que le troupeau entier; solidaire et irresponsable, dans un grand nuage de , meuglements désespérés, de vains piétinements et de poussière allait former au pied de la falaise un grand cimetière de bisons. Tout le troupeau passait ainsi par-dessus bord, sans qu'aucun bison l'eût voulu. "
Sommes-nous certains que telles de nos catastrophes collectives ne ressemblent pas, à cet égard, à celle des bisons? Ceux qui croient mener le jeu poussés un peu plus loin qu'il ne fallait par ceux qui croient les suivre et qui n'obéissent plus en fin de compte qu'à leur propre masse en mouvement?
Lu dans:
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. NRF. Gallimard. 1982.325 pages. Extrait p.248