12 décembre 2008

Eloge d'un éphémère bonheur

"L'avenir est porteur de toutes nos craintes et de toutes nos espérances. Le passé n'est fait que de souvenirs. Toujours et à chaque instant, la totalité de l'univers, y compris le passé et l'avenir, ne cesse jamais d'être installée dans le présent."  
Jean d'Ormesson


Cela rappelle la fameuse Shiva tricéphale d'Elephanta près de Bombay, célébrée par Malraux: le temps se décline sous trois formes, trois modes d'emploi qui orientent notre rapport au monde. Tourné vers le passé et nos souvenirs qui s'enfoncent dans la brume, ou vers le futur imaginé, nimbé d'une luminosité de jour levant; et l'incertain présent qui nous est familier, le "Hic et nunc"  toujours là et toujours sur le point de s'en aller. Selon nos sensibilités, nous utilisons préférentiellement un mode de fonctionnement plutôt que l'autre, et construisons nos valeurs en privilégiant la tradition, la création ou la jouissance. Je me suis trouvé lundi passé, une fraction de seconde, encerclé dans un grand carrefour par une armée d'énormes camions qui me surplombaient tous de leur haute stature. Comme le petit Toto capitaine dans sa minuscule barque, encerclé de cargos sur la mer démontée, à qui ses parents crient: "Tiens bon, tu es le plus grand capitaine" et qui rétorque "D'accord, mais les vrais capitaines, là haut, le savent-ils?" En ce bref instant d'insécurité m'est apparue cette évidence: une minute avant un accident, l'homme agit encore comme s'il était éternel, fait des projets à dix ans, écoute sa musique intérieure et peut vivre dans la plénitude du moment présent et de l'avenir. Le basculement tragique ne dure qu'une fraction de seconde, qui a valeur d'éternité. Cette fragilité est sa richesse, et fait de lui un homme. 
 
  
Lu dans:
Jean d'Ormesson. Qu'ai-je donc fait? Robert Laffont, 2008, 364 pp. extrait p. 291.

Aucun commentaire: