"C'était un professeur, un simple professeur
Première sonnerie, premiers rangs, l'énorme marronnier dans la
cour, une lumière d'été rasante, et l'envie que ça se passe bien. On
jauge le nouvel instit - pas tous sympas ! comme ce petit monstre en
tablier gris scrutant sa classe à la recherche d'un roux, car "il
n'aimait pas les roux, tous sournois, à surveiller en permanence".
Soixante ans plus tard, je ressens encore la honte de ne pas l'avoir
interpellé, mais le combat était trop inégal. L'année suivante
heureusement, un instit au costume de clown me réconcilia avec le
savoir, et puis un autre encore dont la bienveillance m'habite toujours.
Nouvelle classe, nouveau banc avec ses biffures de générations de
potaches, ses chewing-gums et ses crottes de nez collés sous le pupitre
qu'un doigt explorateur détache, ça commence bien. On regrette de ne
pas retrouver l'ami sympa, turbulent exfiltré vers une école moins
parfaite, l'absence totale de filles nous préservant de chagrins plus
tristes. Une année commençait par la personnalisation de la première
page de journal de classe par un majestueux JMJ - Jésus Marie Joseph - à
calligraphier dans le coin supérieur gauche. Par la fenêtre ouverte
nous parvenaient l'odeur puissante du bon chocolat des usines Côte d'Or
voisines, et les notes gaies de la classe des grands qui entamaient
l'année par le cours de chant. Tout ne serait pas triste, mais tout ne
serait pas drôle. C'est loin tout cela, et ayant atteint l'âge où
l'horizon du passé se fait plus vaste que celui qui nous attend, on se
surprend parfois à préférer l'actuelle incertitude aux vérités énoncées
en ces temps-là.
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