13 avril 2025

La vie pour de vrai

 

"Les années autrefois étaient plus immobiles
les frênes      les mésanges       l'herbe les étangs
étaient plus certains
tout était pour de vrai
Ce qui existe a l'air d'exister moins
d'être moins sûr de son droit
            ou bien est-ce moi?
                           Claude Roy


Qui ne rêve de retrouver le temps où "tout était pour de vrai", cette perception inouïe et fugace d'être au monde, de le respirer, de le sentir, de le humer et d'en enfouir le souvenir vivace comme un écureuil dissimule ses noisettes pour l'hiver? Le monde serait-il devenu moins réel, ou est-ce notre perception qui en a été progressivement altérée, estompant jusqu'au souvenir qu'on en conserve?  Un conte  zen compare la mémoire de l'homme sur-occupé à une théière pleine, qu'il s'obstine à vouloir remplir toujours davantage, et de plus en plus rapidement. Le thé s'écoule vite de nos jours, dans un brouhaha d'informations, de messages et de sollicitations permanent, en multitâches et sans repos, dont rien - ou si peu - ne surnage. La vie s'apprivoise lentement, nous apprenait-on: une ou deux lettres par jour auxquelles on répondrait le lendemain, si l'inspiration et la disponibilité d'esprit étaient bonnes, un journal pour découvrir l'essentiel des nouvelles, deux ou trois rencontres, une économie du temps et de l'activité dont on aurait honte aujourd'hui. Les années autrefois étaient plus immobiles, et on n'y reviendra sans doute guère, privilégiant l'excitation à la crainte permanente de s'ennuyer. Cela s'appelle "vivre intensément", mais est-ce vivre pour de vrai?


Lu dans:
Claude Roy. A la lisière du Temps. Gallimard. NRF. 1984. 204 pages. Extrait pp.40-41

Aucun commentaire: