30 avril 2018

Ce qui nous vient de loin

"De l'autre oreille     j'entends
le bruit amplifié de la vague     qui passe et repasse sur le gravier
le plus vieux bruit du monde         là depuis les premiers âges de la terre
il y était quand personne ne pouvait l'entendre
des millions d'années         avant de se glisser dans mon ouïe. "
            Erri de Luca

Ce matin, le  bruit de la pluie drue réveille mon oreille encore dans l'oreiller. La musique des oiseaux en contrepoint. Hier le vent dans la cime des arbres du jardin, le ouaté que donne la brume à la campagne proche. Toutes voix venues de temps immémoriaux, apaisantes et émouvantes. Une économie du gratuit, du don qu'il suffit de cueillir et de partager.

Lu dans:
Erri De Luca. La nature exposée.  Trad. Danièle Valin. Gallimard. Coll. Du monde entier. 2017. 176 pages. Extrait p. 56

28 avril 2018

Comme la foudre

"Attends que ta colère
comme le vent se fatigue."
            Jean-Pierre Siméon

Sage conseil, que celui qui n'a connu la colère ne peut comprendre. Pas plus que ne comprendra le migraineux celui qui n'a connu la migraine, l'ébrieux celui que ne terrassa jamais le vertige paroxystique, l'anxieux celui qui ne vécut jamais une attaque de panique. On a dit de la colère qu'elle est une petite mort, une folie passagère, un orage au milieu de nulle part. Tapie en nous, elle bondit sans sommation, sans crainte aucune ni de la mort, ni des conséquences, décuplant les forces, bouchant les oreilles aux conseils, aux pleurs et aux menaces. La colère est une violence à l'état pur, une négation de tout conseil. Que l'être le moins violent au monde puisse en être atteint relève du mystère absolu: la colère serait-elle génétique, comme les yeux bleus ou la blondeur? Une certitude: pas plus que les prières n'éloignent l'orage, seuls le vent, la pluie et l'écoulement du temps en viendront à bout, spontanément. La colère n'a rien à faire de la raison.


Lu dans:
Jean-Pierre Siméon, Ming Meng. Le livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu. Cheyne éditeur. 2016. 60 pages.

27 avril 2018

De passage

"Même sédentaires         même carnassiers
nous ne sommes jamais que des nomades
ce monde ne nous est que prêté.
Il faudrait apprendre à perdre."
            Philippe Jaccottet

Inspirés par le voyage, la promenade, la rêverie sur des noms de lieux, les itinéraires de campagne de Philippe Jaccotet débouchent inlassablement sur l'exploration intérieure, l'émerveillement et l'émotion de n'être que de passage.


Philippe Jaccottet. A travers un verger. Gallimard NRF. 1984. 112 pages

26 avril 2018

Confiante encolure

"Le cheval blanc pose son cou
sur le cou du cheval roux
Ils cherchent l'ombre amicale
à la lisière du pré d'été.
Il n'a besoin de rien d'autre
celui qui pose ses pensées
sur la confiance d'une épaule
dans le silence de l'été."
            Claude Roy. Sainte-Mesme. Chevaux dans un champ. 24 juillet 1989


Lu dans:
Claude Roy. Le Noir de l'Aube. Gallimard. NRF. 1990. Extrait p.145

25 avril 2018

Une goutte d'éternité

"Cette minute même qui m'arrive
    portée par des dizaines et des dizaines de milliards d'années passées
    rien ne la vaut
    rien ne vaut ce maintenant."
                Walt Whitman

Paraphrasant Spinoza, l'expérience de l’éternité n’a rien à voir avec la perpétuation indéfinie de l’existence, mais consiste dans l’éclat miraculeux de chaque instant.


Lu dans:
Walt Whitman. Feuilles d'herbe. Michele Ferri (Illustrations), Philippe Delerm (Préface). Albin Michel 2001. 146 pages
Spinoza cité par Raphaël Enthoven, Jacques Darriulat. Vermeer : Le jour et l'heure. Fayard. 2017. 304 pages.

24 avril 2018

Tant d'eau


"J'ai pris mon courage à deux mains et lui ai demandé s'il pleurait. Il a eu l'air étonné avant de m'expliquer que non, d'ailleurs il n'avait aucune raison de pleurer. C'était juste que son visage n'était pas étanche. Il n'y pouvait rien et ça n'était pas bien grave. C'est le genre de choses qui arrive de temps en temps, avec toute cette eau qu'on a dans le corps."
                Gilles Marchand


Lu dans:
Gilles Marchand. Une bouche sans personne. Points . 2017. 264 pages. Extrait p. 124

23 avril 2018

Depardieu


"Ma grand-mère habitait en bout de piste à Orly, elle était dame pipi. Dans les chiottes d'Orly j'adorais ça: «Départ à destination de Rio de Janeiro...» Putain, ils s'en vont à Rio! Et je courais voir. J'allais aussi regarder ceux qui revenaient. «Arrivée en provenance de...» Je voyais toutes les villes du monde défiler : Saigon, Addis-Abeba, Buenos Aires... (..) J'ai longtemps voyagé depuis les chiottes d'Orly d'où j'entendais des noms, des destinations qui me faisaient rêver. Je me disais : «Un jour j'irai là-bas moi aussi et un jour je reviendrai.»
                            Gérard Depardieu

Les fêlures d'un monument, phénomène vivant dont les excès ont irrité plus d'un. Quelle humanité pourtant tout au long de ces pages empreintes des fragilités initiales, rescapé des aiguilles à tricoter utilisées par sa maman pour l'éliminer avant sa naissance. On ne regarde plus Gérard Depardieu avec le même regard après l'avoir lu se raconter.


Lu dans:
Ça s'est fait comme ça. Gérard Depardieu (coll. Lionel Duroy). Xo Editions 2014. Le Livre de Poche. 34049. 190 pages. Extrait pp 7-8

21 avril 2018

Voix/e


"Je suis votre voix
elle était nouée chez vous
en moi elle commence à parler. "
        Walt Withman, Feuilles d’herbe.

Elle a quinze ans, mutique, calée sur sa chaise par des maux que je peine à cerner. Tu as mal ou tu vas mal? Pas de réponse, rien à voir, je n'avais pas envie de venir, c'est ma mère. On se quitte dix minutes plus tard, parole zéro. Et soudain "excusez-moi, j'ai vraiment été pestouille, mais personne ne m'aime." On se reverra c'est sûr, mais à partir d'ici on peut se comprendre.


Lu dans:
Walt Whitman. Feuilles d'herbe. Michele Ferri (Illustrations), Philippe Delerm (Préface). Albin Michel 2001. 146 pages

19 avril 2018

Le condor est à l'homme ce que le canari est au mineur


" Il faut sauver les condors, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver; car ce sont ces qualités là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes".
                    Ian MacMillan, ornithologue américain (1870)

Transmettre


"Je ne suis qu'un vieux tuyau rouillé. Mais l'eau pure peut sortir même d'un tuyau rouillé."
                       Maurice Bellet

Une autre définition de la transmission.


18 avril 2018

Au printemps


"Mes enfants sont dans les arbres.
j'ai ouvert la cage
la maison respire dans la lumière
et le soleil pénètre par la porte
qui ouvre les bras
la poussière chante dans les rayons obliques
de ce matin léger."
        Colette Nys Mazure

Soudain on cille les yeux: le vrai beau temps est de retour, "et mon cœur et ton cœur / sont repeints au vin blanc".



17 avril 2018

Rêves entre débris et semences


"Que faisait-on des débris de rêves ?
Est-ce qu'on les ramassait pour les recoller et en faire quelque chose d'autre
ou bien est-ce qu'on laissait les éclats joncher le sol pour s'écorcher les pieds dessus jusqu'au sang ?"
        Ray Valentin

Un avenir brisé. Rêver de devenir joueur de football professionnel et ranger ses studs en raison de claquages répétés fait mal. C'est du Vincent Kompany pur jus, mais sans avoir été Kompany. A dix huit ans, il a repris des études d'entraîneur sportif et portera les rêves de plus jeunes que lui. Il ignore à quel point je l'admire, patient anonyme qui mériterait plus que quiconque le titre de sportif de l'année. 

Lu dans:
Mascarade, Ray Célestin, traduit de l'anglais pas Jean Szlamowicz, 10/18, février 2018, 614 p.

16 avril 2018

Bye Theo


« Ce corps qui fut un rire
brûle à présent
cendres emportées par le vent jusqu’au fleuve
et l’eau les reçoit
comme les restes de larmes heureuses. »
                Tahar Ben Jelloun

Un homme simple et bon nous a quittés. Il nous était apparenté par ce joli terme qu'est la "belle famille", et son rire mêlé à celui de mon papa quand ils se retrouvaient m'habite encore après de si longues années. On a besoin d'exemples sur la route. 


Lu dans:
Tahar Ben Jelloun. La Remontée des cendres, suivi de Non identifiés (Anglais). Points Poésie. 2011. 2011. 144 pages.