"La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des
hommes: (..) on n'achète pas l'amitié d'un Mermoz."
A. de Saint Exupéry.
Sans avoir été pilote à l'Aérospatiale, j'eus la chance de pratiquer un
métier qui m'a fait rencontrer des Mermoz. Comme le décrit le père du
Petit Prince, si je
cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si
je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve
celles que nulle fortune ne m'eût procurées. Il connut bien sûr,
privilège des as du ciel, "ces nuits de vol
et leurs cent mille étoiles, cette sérénité, cette souveraineté de
quelques heures, que l'argent n'achète pas. Cet aspect neuf du
monde après l'étape difficile, ces arbres, ces fleurs, ces femmes,
ces sourires fraîchement colorés par la vie qui vient de nous être
rendue à l'aube, ce concert des petites choses qui nous
récompensent". Je connus ces matins lumineux au retour d'une visite
de nuit au chevet de vieux patients qui se sont éteints à l'aube, ces
fins de consultations où, fourbu, on rejoint ses proches attablés, ces
réveillons de l'an où se révélaient toutes les détresses de la ville:
que de journées anonymes où, peut-être, j'ai soigné Beethoven. La
contrainte stimulante d'une profession qu'on aime, par les rencontres
qu'elle autorise, est à elle seule déjà un salaire.
Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 35-36