18 avril 2009

Les remèdes d'aujourd'hui

"Mon doux trésor, je suis en train de te faire de bien stupides aveux et, à vrai dire, sans raison, à moins peut-être que ce soit la cocaïne qui me délie la langue."
S. Freud

L'interdit d'aujourd'hui fut remède jadis. En 1884, Freud s'intéresse aux propriétés et aux effets de la cocaïne, et en devient un fidèle utilisateur comme un ardent défenseur. A l'époque on l'utilise pour lutter contre la morphinomanie, et on la croit sans effets secondaires ni accoutumance. Aussi Freud, qui en expérimente les qualités toniques, la recommande largement, y compris à Martha, sa fiancée. Sous l'influence de ce « philtre moderne», il lui écrit des lettres enflammées et découvre, surtout, l'étrange pouvoir qu'il a de lui délier  la langue. «Le peu de cocaïne que j'ai pris me rend bavard, ma petite femme chérie... » Ce remède qui suscite une parole imprévue, non contrôlée, et dont le sens n'est pas parfaitement maîtrisé, peut être considéré comme la première clé qu'il utilisa ouvrant sur le « continent noir». La coca avait été découverte au Pérou par les conquistadors vers 1530, et ses premiers arbustes importés en France en 1750. En 1855, à force d'en broyer les feuilles, Gaedecke, un étudiant en pharmacie parvient à en isoler l'agent actif, un alcaloïde qu'il nomma érythroxyline, du nom latin de la coca : Erythroxylon Coca. A Göttingen, Nieman lui aussi broyait des feuilles. Lui aussi isola l'alcaloïde et il le baptisa cocaïne. Plus simple, plus sonore, plus dynamique, plus immédiatement compréhensible qu'érythroxyline, cocaïne s'imposa.  Avaient-ils prévu les conséquences de leurs actes? En quelques années, pharmaciens et chimistes tirent de la cocaïne des excitants, puis des anesthésiants, tous plus efficaces les uns que les autres. Le 12 octobre 1860, le président Lincoln devient l'un des premiers Américains à acheter, dans une pharmacie de Springfield (Illinois), un élixir à base de coca. En 1863 en Corse, Mariani commercialise son célèbre vin, infusé avec des feuilles de coca chargées à 6 grammes par once, soit un quart de gramme de coke pure dans une bouteille de 50cl. C'est la période de la folie cocaïne. Des célébrités y trouvent leur bonheur. Elles le font savoir : Edison, Jules Verne, Zola, le prince de Galles, le pape Léon XIII et bien sûr Freud, qui reniera par la suite ses déclarations enfarinées. Voila du beau monde derrière les barreaux s'ils étaient nés un siècle plus tard. 

Ne rions pas, l'interdit sourd de partout. Plusieurs personnalités et organisations, dont la Ligue des droits de l'homme (LDH), se sont émues ce 16 avril de la disparition de la pipe du célèbre personnage sur des affiches annonçant la promotion de la rétrospective Jacques Tati à la Cinémathèque de Paris. On y voit M. Hulot sur un Vélosolex, vêtu de son éternel chapeau, d'un pantalon trop court et d'un non moins éternel imperméable élimé. Mais sa pipe a disparu, remplacée par un petit moulin à vent. Métrobus, la régie publicitaire de la RATP et de la SNCF qui diffuse quelque 2.000 affiches, explique avoir voulu respecter la loi Evin, qui interdit toute publicité "directe ou indirecte" en faveur du tabac ou de l'alcool. L'ancien ministre Evin, son promoteur a réagi sèchement, trouvant qu'on en outrepassait l'esprit. La lutte antitabac y gagne peut-être, mais le patrimoine culture y perd certainement. Tout cela m'a donné l'envie d'une bouffarde, ce soir au coin du feu, ravi de braver la loi et les préceptes que j'enseigne. 
 
Lu dans :
Louise L Lambrichs. La Vérité médicale. Pluriel. Ed Robert Laffont. 1993. 470 pages. Extrait p.327
Comment Freud devint drogman, Paris, Navarin, 1983.
Lettre de Freud à Martha Bernays du 2 juin 1884. Voir aussi S. Freud, De la cocaïne, écrits réunis par Robert Byck, Bruxelles, Complexe, 1976.
La pipe de M. Hulot "censurée" sur des affiches. Nouvelobscom. 17.04.2009
 

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