"Regardant le soleil se lever, trônant devant sa table de fer laqué où fumait une cafetière, ouvrant le premier petit pain sorti de chez le boulanger espagnol voisin, enfonçant son couteau à bout rond dans une petite motte de beurre perlée d'eau, et contemplant du haut de notre colline la ville d'Alger que le soleil dans une heure écrasera, mon grand-père, dans cette merveilleuse solitude qu'assure le dernier moment de fraîcheur dispensé par la nuit, me disait lorsqu'il m'arrivait, à moitié endormi, de le rejoindre:
- C'est ainsi que la vie toujours devrait être. Il ne faut pas lui demander plus.
Sa présence m'accompagne chaque été et m'aide à retrouver de vieilles ivresses intransmissibles devant les arbres virgiliens, les produits de la terre et ceux de l'élevage. Je souhaiterais éprouver sa joie complète, en savourant un verre de lait qu'on a laissé cailler dans le garde-manger grillagé, en regardant une grappe de muscat blanc, jaune sombre, aux grains détachés qu'il présentait au soleil. Parfois, j'y parviens presque."P. Hebey.
Lu dans:
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. Gallimard. Collection NRF. 1998. 222 p. extrait p.44
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