15 novembre 2025

Dans le secret des rues

 "Les secrets se répandent en nous comme s'ils avaient été énoncés depuis toujours par ceux-là mêmes qui précisément font d'eux des secrets. Ce n'est pas que ces derniers se trahissent et disent sans s'en rendre compte ce qu'ils veulent taire, non, c'est qu'ils ne sont pas seuls : ils ont des amis, des voisins, de la famille, des gens comme des ombres qu'ils ont chargés du devoir de dire, l'air de rien, ce qu'eux font profession de taire. 

Et c'est ainsi qu'un siècle plus tard les rumeurs virevoltent encore dans les plis des rideaux derrière les fenêtres des voisins, qui accumulent vos secrets de famille et savent les colporter aux générations à qui on voulait les taire, comme le pollen se transporte dans l'air, essaimant au plus loin de son lieu d'origine."
         Laurent Mauvignier


Secret: confidence qu'on ne répète qu'à une personne à la fois. Dans mon enfance, il me revient que la rue entière suivait l'évolution de l'état de santé d'un jeune patient de mon âge atteint  d'une affection dont on lui cachait soigneusement la nature.  J'en arrivai à me demander ce qui pouvait bien se colporter sur mon propre compte, et mon espérance de vie. 


Lu dans:
Laurent Mauvignier. La Maison vide. Prix Goncourt 2025 .Éditions de Minuit 2025. 752 pages

11 novembre 2025

Un armistice sans joie

"Nul n'est une île, entièrement à soi,
chacun est une partie du continent, une partie du tout,
quand une motte de terre est emportée par la mer,
l'Europe s'en trouve amoindrie ,
autant que d'un promontoire,
ou que si l'un de tes amis, ou de ta famille était emporté.
Toute mort d'homme me diminue,
parce que je fais partie de l'humanité.
N'envoie donc jamais demander pour qui sonne le glas,
il sonne pour toi." 
                         John Donne, texte placé en exergue du roman "Pour qui sonne le glas" d'Ernest Hemingway



Il a été joliment écrit qu'un armistice n'est pas une date, mais une cicatrice. Ce matin quand sonnera le glas dans de nombreux endroits de mémoire, nos pensées rejoindront ces innombrables victimes de tant de conflits passés et présents, qui ont en commun de mourir en n'ayant rien compris  à la logique du monde. Exposés, vulnérables, héros dérisoires qui n'en demandaient pas tant, tel ce poilu retrouvé dans le boyau de la mort en bordure de l'Yser et enterré avec les honneurs militaires 110 ans après sa mort. Ou comme Augustin Trébuchon et Henry Gunther célèbres pour avoir perdu la vie dans les dix dernières minutes avant la fin des hostilités en 1918. Vainqueurs et vaincus, ils nous transmettent le message fondamental du 11 novembre : derrière les nations et les victoires, il n’y a que des vies perdues. Ce qui est célébré aujourd'hui ne concerne pas le passé mais l'avenir: l'espoir pour des milliers de familles de pouvoir à nouveau imaginer un lendemain dans ces mulitiples endroits où ne règnent que la peur, la mort et la haine. Nul n'est une île et ceci nous concerne. Chaque nom sur un monument, chaque cloche qui sonne, chaque dépouille rendue à ses proches pour identification appartient à notre hsitoire commune. Il n’est de mort anonyme, ni de victime lointaine, le glas sonne aussi pour chacun de nous. 


Lu dans:
John Donne. Devotions upon Emergent Occasions 1624. Méditation 17 dont est reprise le titre du roman d'Ernest Hemingway "Pour qui sonne le glas."(paru en 1940 à la fin de la guerre d'Espagne)


10 novembre 2025

Les fonctions modestes

 "Elle était préposée aux confitures et aux chaussettes à rapiécer." 
                            Laurent Mauvignier

                          


Confitures, rapiéçace, repassage, tâches modestes certes mais qui nécessitait un savoir-faire reconnu. Disparues, que reste-t-il en-dehors de scroller, swiper et streamer?  Rien peut-être, encore que...  J'ai croisé récemment un promeneur bénévole de chiens dont les maîtres ne quittaient hélas plus leur domicile, des ramasseurs de canettes et papiers gras dans leur quartier, auxiliaires volontaires par seul souci de se rendre utile, des accompagnateurs de malades à l'hôpital , des chauffeurs pour personnes moins valides ne demandant que le prix de l'essence. Le savoir-faire se déplace, mais sans ostentation. Chapeau !


Lu dans: 
Laurent Mauvignier. La Maison vide. Prix Goncourt 2025. Éditions de Minuit. 2025. 752 pages

05 novembre 2025

L'attente derrière la porte

 

"J’ai souvent fait et refait un rêve
qui raconte toujours plus ou moins la même chose :
je me retrouve dans une maison très familière,
la mienne ou peut-être une maison de vacances, ou d’amis proches,
quand soudain sans raison apparente,
je comprends avec un immense bonheur
qu’une partie de cette habitation m’était demeurée cachée.
Que j’avais ainsi vécu longtemps, des années peut-être,
à côté d’une chambre close, sans le savoir,
jusqu’à ce moment précis où je vais pousser la porte.
Le rêve s’arrête là,
à cette joie qui me laisse ému, tremblant, au seuil de l’inconnu (..) 
invitation à entrer dans l’espace réel et mystérieux
qui commence derrière cette porte.' 
                                    Jean-François Manier


Dans l'attente derrière la porte de la pièce où était passé Saint Nicolas, que nos coeurs battaient. On a perdu cette impatience, à moins que demain matin... 


Lu dans: 
Jean-François Manier (1952- ), typographe, à l'origine des éditions du Cheyne, et plus particulièrement de la collection "Poèmes pour grandir". 

04 novembre 2025

Sagesse d'Herman Hesse


"Toutes les fleurs veulent se changer en fruits,
toute matinée veut devenir soirée,
sur terre rien n'est éternité,
si ce n'est le mouvement, le temps qui fuit.
Même le plus bel été veut voir une fois
la nature qui se fane, l'automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
lorsque le vent veut t'enlever au loin.
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
laisse les choses advenir sans heurts,
laisse enfin le vent qui te détacha
te conduire jusqu'à ta demeure."
                            Herman Hesse.  Feuille morte



01 novembre 2025

La mémoire du hochepot

 

"Parce qu’au fond, où vit le souvenir ? Dans une dalle de pierre qu’on brosse une fois l’an ou dans une cuisine un dimanche, quand on refait le hochepot de sa grand-mère en partageant la recette avec ses enfants ?"
                                        Gabriel Ringlet


La poète Simone Conduché a cette belle formule: les morts ne dorment pas où leur nom est gravé. Si la Belgique reste un véritable pays de cimetières, quasi un par village, les lieux de mémoire sont partout, un arbre, un parc, une crypte, un simple jardin... ou une cuisine où se mijote un hochepot. Leur choix appartient à chacun selon sa sensibilité et la relation entretenue avec ses défunts. Que nous fait-elle vivre aujourd’hui ? En quoi nous encourage-t-elle et nous grandit, en quoi nous a-t-elle fait souffrir et nous confronte-t-elle à notre propre disparition?  Bonne fête de Toussaint



Lu dans: 
Julie Huon. Snober le cimetière fait-il de nous de mauvais vivants ?  Le Soir du 25.10.2025. Société. 
Gabriel Ringlet. Des rites pour la Vie: Célébrer tous les passages de l’existence, les douleurs comme les joies. Albin Michel.  2025. 223 pages