12 juin 2025

Plus vrai que vrai

 "Dis-moi où est planté le clou qui tient ton tableau, je te dirai combien il vaut ."
                                Guy Ribes

                         


Une intéressante réflexion sur la place occupée par la copie en art nous est proposée par l'ouverture à deux ans d'intervalle de deux salles d'expositions permanentes, l'une au Victoria and Albert Museum de Londres, l'autre au musée du Prado à Madrid. La première dévoile quelques 250 000 trésors de ses collections auparavant rangées dans ses caves, costumes de théâtre, ancêtres de vélo reconstruits pour le cinéma, décors d’architecture médiévale, reproductions d'instruments de musique anciens, panneaux insolites de signalétique routière, dans un désordre apparent invitant à la rêverie. La logique cède la place à l’émerveillement, car au-delà de la contemplation, c’est le cœur secret du musée qui bat sous le verre : les restaurateurs à l’œuvre, les machines qui chuchotent, les gestes minutieux suspendus à un fil de lumière. On touche, on respire, on entrevoit l’âme du temps, façonnée par des mains humaines. Quant à la nouvelle salle d'exposition du Prado, intitulée ‘Aux limites de la créativité : copies, variantes, pastiches et faux’, le choix délibéré de sortir de l'ombre de nombreuses  copies issues de collections royales et d’institutions ecclésiastiques se veut témoignage de l’immense talent de certains copistes de renom. Delacroix imitait Velasquez et Raphaël, Van Dijck aimait peindre de faux Rubens, Matisse imitait Titien et quelques-uns de ses contemporains. Léger et Vlaminck copiaient Corot et Cézanne pour joindre les deux bouts dans les périodes difficiles. Avec un talent consommé allant jusqu'à inclure la saleté accumulée au fil des siècles quand un tableau non restauré présentait une teinte ambrée, restituée sur la copie.

Comme le suggère le célèbre faussaire Guy Ribes dans son autobiographie, "il est assez facile de tricher en peinture, il suffit de montrer aux gens ce qu’ils aiment et il se trouvera toujours des experts et salons d'art pour fermer les yeux lorsque la copie est de qualité." Condamné en 2010 à trois ans de prison, dont deux avec sursis, il note avec un certain humour que "tout se passait comme si ce procès visait à mettre un terme à un certain trafic, mais sans aller fouiller trop loin dans les pratiques du marché de l’art ni trop remuer de boue." Après avoir été démasqué, Guy Ribes met un terme à la fabrication de faux et peint des œuvres sous son nom. Soulagé de voir enfin reconnu son savoir-faire, il peut citer Coco Chanel "copiez, copiez,  je créerai plus beau encore."


Lu dans:

  • Le musée du Prado met à l’honneur copistes et imitateurs des plus belles toiles. El País. repris par le Courrier international. 19 juillet 2023.
  • Cécile Ducourtieux. Dans l’est de Londres, le Victoria and Albert Museum met en scène ses réserves. 12 juin 2025
  • Autoportrait d'un faussaire. Guy Ribes, Jean-Baptiste Peretie. 2015. Presses de la Cité. 2015. 240 pages. Extrait page 145

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