24 avril 2025

La pièce manquante

 “Pourquoi diable m’as-tu acheté un puzzle ?”
                Hardy à son ami Laurel dans le court métrage Les Deux Flemmards (1933).

    



Havre de calme dans le tourbillon de l’existence, qu'est-ce qui rend le puzzle aussi populaire? Le fabricant Wentworth en a fait sa pub, égrenant la longue liste des passionnés parmi lesquels le guitariste des Rolling Stones, Ron Wood et Bill Gates.  Qu'il compte 500, 1 000, voire 2 000 pièces, le principe est immuable: créer de l'ordre à partir du chaos en commençant soit par reconstituer les bords, soit en appariant les pièces par couleur, ou en assemblant préférentiellement les visages, les arbres, les nuages. Personne n'impose rien, la méthode d'assemblage des pièces fait la part belle aux choix de chacun et échappe à toute règle. Une fois le puzzle reconstitué arrive inéluctablement le moment de le défaire. Mais entre-temps, quelque chose a changé, à chaque paysage se termine un nouveau voyage. A moins que, comme Hardy dans la finale des Deux flemmards, on n'arrive pas à sa fin car une pièce manque: le visage d'une belle femme, avec un morceau de coiffe de plumes. Surprise de son importance soudaine, retrouvée par miracle sous un meuble, elle contemple le chaos et l'agitation que sa disparition a provoqués, l’heure est venue d’y mettre de l’ordre en retrouvant la place qui lui est due. Insignifiante seule, la pièce manquante ne  prend son sens que dans l’ensemble, comme l'être humain dans sa quête éternelle de cohérence. Le puzzle "presque complet" a sa beauté, car c’est là qu'il nous ressemble, cet héros inachevé cherchant en l’autre la pièce qui le complétera tout en ne lui appartenant pas.


Lu dans:
Hester van Gent. Het is een illusie dat alles op zijn plaats valt, behalve bij een puzzel. De Morgen. 17 juin 2024.

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