26 mai 2025

Entre normal et pathologique

« En matière de normes biologiques, c’est toujours à l’individu qu’il faut se référer. »
                    Georges Canguilhem


Dans sa thèse de médecine soutenue en 1943, le philosophe des sciences Georges Canguilhem (1904-1995) affirme qu’une maladie ne peut jamais être décrite objectivement. Autrement dit, seules les personnes directement concernées seraient légitimes pour déterminer si elles se sentent malades ou handicapées. A l’inverse, si leur profil s’écarte de la norme, mais qu’elles le vivent bien, savants et médecins ne devraient pas considérer leur état comme pathologique.  Un patient, décédé maintenant, atteint l'âge de 93 ans était atteint de la plus sévère arthrose de hanche qu'il m'ait été donné d'observer, au point que l'articulation n'avait plus la moindre mobilité. Il lui fut proposé vingt fois de se faire opérer, ce qui le faisait sourire: il n'en voyait guère les avantages. Il promena son chien et s'occupa de ses innombrables protégés à plumes et à poils jusqu'à la veille de sa mort. La réflexion de Canguilhem aurait pu être le titre du film à consacrer à ce patient, et se révéler tout un programme pour notre médecine devenue si normative.  De toutes les disciplines médicales, si promptes à édicter ce qu'est le progrès et le changement dans la prise en charge des maladies, la philosophie des sciences reste la plus permanente.


Lu dans:
Georges Canguilhem (1904-1995).  Le Normal et le Pathologique. 1943. Editions PUF 1966. 294 pages

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