"Peut-être aussi que je reviendrai avec toi. Je suis libre! Zorba secoua
la tête:
- Non, tu n'es pas libre, dit-il. La corde avec laquelle tu es attaché,
est un peu plus longue que celle des autres. C'est tout. Toi, patron, tu
as une longue ficelle, tu vas, tu viens, tu crois que tu es libre, mais
la ficelle tu ne la coupes pas. Et quand on ne coupe pas la ficelle...
- Je la couperai un jour! dis-je avec défi, car les paroles de Zorba
avaient touché en moi une plaie ouverte et j'avais eu mal.
- C'est difficile patron, très difficile. Pour ça, il faut un brin de
folie; de folie, tu entends? Risquer tout! Mais toi, tu as un cerveau
solide et il viendra à bout de toi. Le cerveau est un épicier, il tient
des registres, j'ai payé tant, j'ai encaissé tant, voilà mes bénéfices,
voilà mes pertes! C'est un prudent petit boutiquier; il ne met pas tout
en jeu, il garde toujours des réserves. Il ne casse pas la ficelle, non!
il la tient solidement dans sa main, la fripouille. Si elle lui échappe,
il est foutu, foutu le pauvre! Mais si tu ne casses pas la ficelle,
dis-moi, quelle saveur peut avoir la vie? Un goût de camomille, de fade
camomille! "
Níkos Kazantzákis
Bigre, ce ne sont pas lignes à lancer aux gens un lundi matin, alors que
les nouvelles bruissent d'une "grande démission" qui saisit les
Etats-Unis, et plus récemment la France, ces employés qui se filment sur
les réseaux sociaux remettant leur démission avec allégresse à leur
employeur. Serait-ce un effet secondaire du Covid long, non-décrit dans
les études? Imprégné par la notion de valeur du travail, transmise au
sein maternel, j'ai du mal avec ces nouvelles réalités, mais elles font
partie de notre monde actuellement. Longue ficelle, petite ficelle?
L'image est belle, mais échappe-t-on jamais à la contrainte d'être
humain, pétri de limitations?
Lu dans:
Níkos Kazantzákis,. Alexis Zorba. Première édition française. Traduction
Yvonne Gauthier. Éditions du Chêne. Domaines étrangers. 1947
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