22 mars 2021

Ce qui fait chanter la source

 

"Ce n'est pas une voix (..), ce n'est pas une parole, ce n'est pas de la poésie, c’est de l’eau qui bouscule les pierres, et j'y aurai trempé mes mains. Il ne faut ni orner, ni troubler, ni freiner ce cours. (..) Ce n'est pas seulement de l’eau qui dévale de ces montagnes. N'est-ce pas cela que j’ai cru comprendre ailleurs a propos d'une combe, d'un verger, d'une prairie, quand, les traversant, je me laissais traverser par eux ? Le torrent parle, si l'on veut, mais avec sa voix à lui : le bruit de l’eau.  Serait-ce donc que, sans m'en être avisé jusqu'ici (..), je cherche à dire l'intérieur de ce bruit, de cette course ? L'invisible, en ces eaux, par quoi elles touchent ce que j'aurais en moi d'invisible ? »
                        Philippe Jaccottet.

 
 
   
Un jour, on part à la recherche des sources d'un fleuve, la Loire par exemple. On découvre que rares sont les fleuves dont la source est unique, mais que comme nos vies leur naissance procède de plusieurs origines enfouies qui cheminent secrètement avant de confluer à l'air libre vers l'océan. Nos yeux scrutent l'endroit d'où sourd ce ruissellement d'une infinie modestie, notre ouïe recueille ce chant de l'herbe sur les cailloux, on s'y rafraîchit le visage et les lèvres, laissant surgir en nous des images de châteaux, d'îles boisées, de bancs de sable, de vols de hérons ou de la paisible avancée des bateliers. Nos oreilles entendent au loin le chant des vagues quand le fleuve se fondra dans la mer, notre langue s'abandonne à imaginer la fraîcheur d'un cabernet-d'anjou et sa tarte aux fraises succédant à un foie-gras mi-cuit. Notre imaginaire fait chanter les sources.



Lu dans:
Philippe Jaccottet. Au col de L’arche in Œuvres. La Pléiade. 2014. 1728 pages. Extrait p. 853.

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