27 février 2021

Quand meurt le poète

 

"Je redescendrai le chemin de la journée
de peur d'avoir laissé quelque chose derrière moi.
Me comprendras-tu? Je n'ai pas le moyen de rien perdre,
car je voudrais ne pas vieillir,
mais simplement mûrir de toutes mes années."
                    Philippe Jaccottet


Pareils aux produits frais, les hommes sont inégaux devant l'âge, car mûrir n'est pas vieillir. Comme le suggère Sekiguchi, entre le veau et la vache qui a mis bas, le goût de la viande n'est pas le même: le dernier porte le goût du temps vécu, qui est le contraire d'une désintégration. Le poète, traducteur et critique littéraire suisse Philippe Jaccottet, est décédé rassasié d'années dans la nuit de mercredi à jeudi à l'âge de 95 ans. Ses traductions étaient des œuvres littéraires à part entière, faisant dire à son ami Giuseppe Ungaretti que, grâce à Jaccottet, il était meilleur en français qu’en italien. Tout récemment, l'auteure belge Emmanuelle Dourson avait puisé dans sa traduction de l'Odyssée le titre (Si les dieux incendiaient le monde) et le fil conducteur de son premier roman. 



Lu dans:
Philippe Jaccottet. L'effraie, et autres poésies. Gallimard. NRF. 1979. 61 pages.
(*) Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait p.60
Emmanuelle Dourson. Si les dieux incendiaient le monde. Grasset. 2021. 256 pages.

26 février 2021

Féconde ignorance

 

" Ce qu'on ne connaît pas on l'enseigne. "
                Tristan Bernard


Aphorisme demeuré longtemps énigmatique, rangé dans le rayon des phrases amusantes mais incompréhensibles. Récemment, un mail amical me souffle "qu'on enseigne  toujours mieux  ce qu'on doit apprendre".  Les questions qu'on se pose, et les pistes déjà parcourues pour y trouver une solution, voire le désapprentissage d'anciennes certitudes devenue obsolètes, ne constituent-elles pas le meilleur des transferts de connaissances? Rien n'est aussi stimulant qu'un enseignement qui questionne plutôt qu'il n'affirme. L'un ouvre les portes, l'autre les ferme. Magie de l'intelligence collective: tout ce que des hommes peuvent rêver, questionner, mettre en doute, d’autres hommes, leurs élèves, le réaliseront ou y trouveront des réponses.


25 février 2021

Mort d'un poète

 "Si tu n’as rien à dire, ne le dis pas."
                    Lawrence Ferlinghetti



Lawrence Ferlinghetti, poète américain majeur du 20e siècle mais aussi libraire et éditeur, est mort lundi à l’âge de 101 ans dans sa maison de San Francisco, a annoncé sa librairie.


Lu dans:
Lawrence Ferlinghetti. Poésie, art de l'insurrection. Ed. Maelström. 2012. 98 pages.

24 février 2021

Sagesse de Rûmi

 

"Mourir n'est après tout que changer d'apparence
nous dégager de ce cocon de chair et d'os
comme nous avons dû quitter la poche d'eau.

Mais hélas nous serons plus nus qu'à la naissance
car même notre corps fera défaut.

Mourir n'est après tout qu'abandonner la place
en y laissant ces biens auxquels nous tenons tant.
Délivrés de leur poids, de leur valeur fugace
serons-nous libérés de l'espace et du temps?"
                Djalâl ad-Dîn Rûmî, dit Rûmî (1207-1273)



Ce fut ma dernière visite, il me cita Voltaire dont il lisait la Correspondance, dans la Pléiade. Il en possédait toute la collection, qui occupait trois rangées de sa bibliothèque. Sa culture était immense et raffinée, comme l'étaient ses livres.
Où est-il aujourd'hui? Nulle part sans doute, si on respecte ses convictions, rendu à l'azur dont il était issu. Où sont ses livres précieux? Quelque part, disséminés peut-être à la vente à la pièce. Nulle part, quelque part, n'exagérons pas notre importance. 

 

Lu dans:
Liliane Wouters. Le livre du Soufi. Le Taillis Pré.2009. 64 pages. extrait p.59

22 février 2021

Quand les cigognes

 

"Quand le soleil de la beauté
comme une journée de mai dans l'atelier de l'artiste        
brille sur ses travaux
celui-ci n'abandonne pas son travail  pour courir dehors
mais il songe avec joie au jour de fête
où il ira reprendre vie
à la lumière du printemps..."
                    Hölderlin

 
 
Demain le temps pourrait être maussade, les nouvelles ne pas être bonnes, le virus ne pas être vaincu. Belle occasion de tester une nouvelle prescription contre la morosité: afficher ces vers de Hölderlin sur la porte.
Une chose est sûre: le printemps reviendra, et les cigognes retrouveront leur nid. Dans l'âtre une flambée annonce les feux de camps, et l'âcre odeur des braises nous remémore le Cantique des patrouilles. Face aux bûches, ma femme se plaint de la lenteur de chargement du site des Gîtes de France: pas étonnant, on doit être des milliers en même temps à imaginer où nous serons cet été. Bonne fête aux scouts et aux guides dont c'est aujourd'hui la journée: le temps des camps reviendra.




Lu dans:
Hölderlin, Hypérion in Oeuvres, La Pléiade, p. 205 

21 février 2021

Sagesse de Martin Buber

 

"Chaque homme apporte au monde quelque chose de nouveau et qui n’existait pas avant lui. "
                        Martin Buber
 


Je pratique une médecine de gens modestes, qui ne sont jamais insignifiants. La discrétion de leur empreinte sur terre n'a de pareille que leur singularité. Je n'ai pas assez de mots pour mettre en évidence que le potage qu'ils ont créé ce matin est sublime, que le mot glissé dans ma boîte m'a ému aux larmes, que j'ai surpris leur chant et que c'était beau comme du Voulzy; que la description qu'ils font de l'influence de leurs parents possède une densité sans pareille, ou les espoirs reportés sur leurs enfants. Chacune de leurs vies est un roman, que j'édite pour eux en la leur racontant, traduite à l'encre bienveillante. Il y a tant de don gratuit dans la plupart de ces destins anonymes qu'on en remplirait des bibliothèques, pourquoi ne pas  le partager davantage quand on les croise?



 

Lu dans: Martin Buber. Le chemin de l'homme. Éditions du Rocher. 1999. 64 pages.

20 février 2021

Consignes pour ne pas laisser fondre le beurre

 

"Que faire de sa vie ? Elle secoua la tête, chassant les petites mouches noires de l’angoisse. « En tout cas, ne pas laisser fondre le beurre », se dit-elle."
                        Francis Dannemark
 

Chacun sa bulle, chacun son chemin. Choses à ne pas oublier en temps de Covid-19, anesthésiés par les consignes de la distanciation sociale: ne pas laisser fondre le beurre de la vie, et encore moins le laisser brûler dans la poêle. Donner de l'eau au canari pour éviter qu'il arrête de chanter, et ses croquettes quotidiennes au chien. Sortir les poubelles de notre tête, ne pas oublier la vieille maman interdite de visite dans sa maison de repos, le patient muré à l'hosto qu'on ne peut plus approcher, le grand fils à Louvain-la-Neuve dans sa bulle en kot dont il ne rentre plus le weekend, le chef Italien qu'on retrouvait dans son resto chaque samedi pour une Penne aux quatre fromages, la petite serveuse au noir qui nous servait une bière mousseuse sur la terrasse du bistrot en face de l'église, le pote Marc avec qui on la partageait, le vigneron alsacien qui nous approvisionnait chaque année en Gewurztraminer, le loueur de gîte dans le Sud de la France devenu un ami, l'ouvreuse du Vendôme, le toiletteur pour chien, à chacun sa liste du cercle des poètes disparus. Ces milles liens qui font une vie, dont il importe de maintenir les braises quand le quotidien se met à ressembler à ces beaux paysages d'hiver du peintre de Saedeleer. Le Covid c'est long, surtout vers la fin.



Lu dans:
Francis Dannemark. La misère se porte bien. Kyrielle 2020. 322 pages. Extrait p.144. Tirage limité disponible uniquement chez l'auteur francis.dannemark@gmail.com

19 février 2021

Un p'tit café?

 

"Un café n'est pas un café. C'est ce qui fait son prix. Souvent, une simple virgule dans le partage de l'instant. Vous voulez un café ? C'est déjà mieux qu'une simple formule de politesse. Donner quelques gouttes de chaleur à notre échange, une convivialité qui n'engage pas à grand-chose, mais propose un infime à côté, quelques gestes rituels, en marge des sujets que nous avons à aborder. (..) L'offre d'un second café — il est certain qu'il n'y en aura pas de troisième — est une façon pudique de signifier nous n'avons pas passé assez de temps ensemble, j'ai envie de parler davantage avec vous, et de prolonger l'atmosphère."
                    Philippe Delerm

 

Même quand on se fait un café pour soi, sa dégustation n'est pas intrinsèque. Il transforme l'essence du travail que l'on est en train d'effectuer, la qualité de l'ombre et de la lumière sur la terrasse en été. Parfois, on trouve dans certaines villes des cafés suspendus. Sur la petite ardoise, le patron en a écrit le nombre. Un café qu'un client a payé à l'avance, pour un autre client sans ressources et qui viendra, et pourra commander. Une jolie coutume, qui pratique une charité anonyme, sans imposer de remerciement. Café suspendu, c'est peut-être ça, le secret du café. Rester suspendu au-dessus de nos vies, dispenser un arôme chaleureux-amer, et, mine de rien, même quand il s'agit de quelques gouttes de ristretto très pures, changer la nature du temps. Suspendre.

 

Lu dans:
Philippe Delerm. La vie en relief. Le Seuil. 2021. 240 pages. Extrait p. 107

17 février 2021

Traduttore, traditore

 

"Aujourd'hui, lorsqu'on écrit une phrase dans Google et qu'on demande à Google-translate de la traduire, on obtient souvent des résultats très étranges. Par exemple, cette phrase de la Bible: «Et Dieu créa l'homme à son image ». J'ai demandé à Google de la traduire en allemand, puis je lui ai demandé de retraduire la phrase allemande en français, et à la fin de l'opération, quand le résultat est stabilisé, cela donne : «Et l'homme créa Dieu à son image » !
                        Barbara Cassin



 Il y a les mots qu'on prononce, et la manière de les accoler. Cela peut faire une sacrée différence. Google Trad fait ce qu'il peut.




Lu dans:
Barbara Cassin. Plus d'une langue. Bayard éditions. 2012. 67 pages.
cité par Jean-Michel Djian. Ivan Illich. L'homme qui a libéré l'avenir. Seuil. 2020. 238 pages. Extrait: Exergue p.7

09 février 2021

Infiniment blanc

 

"La blancheur de l'oiseau
se perd dans les nuages blancs
un jour de neige."
                    Abbas Kiarostami

 


Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.12

Il neige

 

"Les pas d'un homme dans la neige
Qu'est-il allé chercher
Reviendra-t-il
par le même chemin?"
    Abbas Kiarostami



Il neige, pour de vrai, et elle tient. Une petite patiente d'origine algérienne la découvre pour la première fois, émerveillée. Les trottoirs gardent trace des humains qui passent, le terre-plein central des pattes d'oiseau et de chien. En nuit noire, la neige révèle qu'il y eut de la vie le jour. Sur sa tablette blanche, s'écrit la mémoire récente de mon quartier sans distinction de richesse, d'âge, ou de qualité humaine. Chaque retour de la neige est un émerveillement d'enfance.



Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.9

08 février 2021

On allait vers l'été

 

 "Y aura-t-il un été cette année?"
                Rebecca. 4 ans.



Comme le note avec justesse Paolo Rumiz "il a quatre ans et chaque soir adore qu'on lui rappelle les anciennes vacances passées avec ses parents. La Sicile, la petite maison sur la mer à Chypre, la Hollande dans la remorque tirée par une bicyclette. C'est ce qui le tranquillise le mieux et il s'endort aussi sec. Les petits ont besoin d'être rassurés pendant cet état d'urgence, même s'ils ont l'air de le prendre par-dessus la jambe. Ils peuvent très bien s'amuser toute la journée et puis, pendant la nuit, crac, ils recommencent à faire pipi au lit. Leur problème, c'est : que va-t-il se passer demain ? N'ayant pas de lointains souvenirs pour les ramener à des temps normaux, ils se demandent si le caractère exceptionnel du temps présent ne va pas devenir définitif."

Et puis il y a ceux qui sont nés durant la pandémie, ou juste avant, et pour qui l'anormal est normal. Notre dernier petit-fils, 18 mois, a tellement bien assimilé les gestes barrières lors de sa fréquentation de la crèche qu'il nous tend le poing fermé pour toucher le nôtre en guise de bonjour ou d'au revoir. C'est mignon, et le sourire qu'il arbore dénote bien l'absence totale de frustration ou de souffrance, peut-être serions-nous bien inspirés de nous en imprégner.

 

Lu dans:
Paolo Rumiz. On dirait que l'aube n'arrivera jamais. Arthaud. 2020. 200 pages. Extrait p. 76

06 février 2021

Une authenticité floue

 

"Ma fille, elle n'a que faire des esprits de la nuit. Sa langue maternelle n'est pas le luo [ou dholuo, langue parlée au Kenya et en Tanzanie]. Pas même le swahili. C'est l'anglais. Quand je l'entends parler avec ses copines, c'est du charabia pour moi. Elles prennent un peu de tout... de l'anglais, du swahili, de l'allemand, du luo. Il m'arrive d'en avoir marre, et de leur dire: «Apprenez à parler au moins une langue correctement ! » 
—    Mais je commence à me résigner... il n'y a rien à faire. Les jeunes vivent dans un monde mélangé. C'est tout aussi bien, je suppose. Finalement, je préfère avoir une fille authentiquement elle-même plutôt qu'authentiquement africaine."
                    Rukia Odero

 

On devra s'y faire: nos petits-enfants férus de mangas, de clips courts sur TikTok, d'une écriture condensée et phonétique, et de tant d'autres choses dont nous ignorons jusqu'à l'existence sont aussi cultivés que nous le fûmes, authentiquement eux-mêmes dans un monde aux influences multiples. Comme l'est aussi d'ailleurs la patiente africaine reçue hier en consultation, au visage parcheminé et au langage mêlant un français minimal aux mimiques non-verbales et aux phrases courtes en swahili destinées à sa fille pour les faire traduire. Cette patiente emporte sur elle une enfance et une scolarité lointaines en brousse, une adaptation hasardeuse à des conditions de travail occidentales, un environnement bilingue, le suivi scolaire difficile de ses propres enfants. La difficulté de rester authentique à soi-même dans pareil parcours excuse bien quelques approximations linguistiques.




Lu dans:
Barack Obama. Les rêves de mon père. Presses de la Cité. 2008. 454 pages. Extrait p. 447

05 février 2021

Six petites notes

 

"Tandis que j'écrivais ces lignes, une petite phrase me hantait. Elle m'accompagnait. Six notes d'un trio de Mendelssohn, qui me prenaient par la main et m'encourageaient lorsque j'avais des doutes, me soufflant des mots venus de loin: « Mais si, tu peux ! »
                            Max Dorra



A chacun ses notes musicales pour franchir l'obstacle. Henry Bauchau décrit la main qui tient la corde grâce à laquelle il passera la faille le séparant du sommet. Il passe, et s'aperçoit que la main ne retenait rien, si ce n'est la confiance qu'il en était capable. Ces mots venus de loin, cette main qui n'est qu'une ombre, ce rayon de lumière qui nous éclaire soudain, tour-à-tour reçus ou donnés, sont actuellement plus que jamais précieux.



Lu dans:
Max Dorra. Quelle petite phrase bouleversante au coeur d'un être? NRF Gallimard. 2005. 292 pages. Extrait p.44

04 février 2021

Utopie musicale

 

"Utopie pour utopie, ne pourrait-on imaginer un projet de société qui ne soit pas seulement scientifique, mais aussi musical ? Un orchestre de jazz en serait le modèle, ce lieu de liberté créatrice, cette réunion de singularités, où chacun, dans le plus grand respect de l'autre, de son hérésie, écoute ses improvisations, prêt à les accompagner en douceur, à les soutenir avec tact. Et, sans hâte, à les relayer." 
                            Max Dorra


L'utopie de Max Dorra prend son inspiration d'une initiative du chef d'orchestre israélo-argentin Daniel Barenboïm qui anima en 1999 le West-Eastern Divan Orchestra, avec l'universitaire américano-palestinien Edward Saïd, afin de promouvoir la paix entre Israël et les Palestiniens. Cet orchestre comptait quatre-vingts jeunes musiciens israéliens et arabes (en particulier des Palestiniens). Il a fêté ses 20 ans en 2019 par deux concerts exceptionnels, à guichets fermés, à la Philharmonie de Berlin réunissant Daniel Barenboim, Anne-Sophie Mutter et Yo-Yo Ma, pour interprèter le Triple Concerto de Beethoven et la neuvième symphonie de Bruckner.


Lu dans:
Max Dorra. Quelle petite phrase bouleversante au coeur d'un être? NRF Gallimard. 2005. 292 pages. Extrait p.283

03 février 2021

Portes que j'aime

 

"Les rois ne touchent pas aux portes.
Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, — tenir dans ses bras une porte."
            Francis Ponge

 

Qui se rêve président évolue dans un palais où rien ne s'oppose à sa progression. Qui se rêve humain savoure le bonheur d'empoigner une à une les poignées de ces obstacles sur notre route, ce corps à corps rapide qui débouche sur de nouvelles étendues. D'une main on la retient, tandis que déjà on la repousse. Les portes qui nous freinent nous ramènent au souvenir des premiers pas où chaque chute est une victoire.

 


Lu dans:
Francis Ponge. Le parti pris des choses. Folio Plus. 1942 (2009). 170 pages. Extrait page 44.

02 février 2021

La ville-enfant du divorce

 

"D'un geste lent, les bras des grues
Coupent le ciel en grands quartiers
En font des tentes pour les rues
Et mille éclats de vitriers.
Ceux qui viendront de leur enfance
Trouveront-ils entre nos murs
Assez de ciel et d'espérance
Pour y dessiner le futur ?

Au long des courbes imprévues
Les toits s'épaulent drôlement
Face au fortin d'ardoises nues
Face aux légers triangles blancs.
Dans cette ville d'un seul jet
Sans souvenirs et sans ratures
Laisserons-nous pour les projets
Assez de blancs dans l'écriture ? (..)

Sur tout chantier, sur tout chemin
Pour tout appel, pour toute faim
La ville est pâte entre nos mains
En serons-nous le bon levain ?"
        Antoinette Dalcq.        Louvain-la-Neuve. Naissance d'une ville


Le 2 février 1971, la première pierre de Louvain-la-Neuve était posée et ce geste marqua le début d’une grande aventure urbanistique, marquée pourtant du sceau de l'amertume. Comme l'écrivait avec sensibilité Antoinette Dalcq, "Louvain nous avait  trop gâtés, si vivante en son studieux passé, avec ses sombres canaux, ses clochers d'ivoire, ses arbres noueux et ses cours des collèges. Ceux qui, contre leur gré, s'en allaient donneraient le reste de leur vie pour déraciner l'arbre et pour le replanter, trouvant en eux assez de feu pour animer le cœur de la cité nouvelle. Mais la blessure mais la déchirure / La grande l'inutile et tragique coupure / Entre chrétiens qui œuvrent pour la vérité / Ensemble peut-être aurions-nous pu l'éviter ?"


Lu dans:Antoinette Dalcq. Estampes et médailles. Ed. J. Dieu-Brichart. 130 pages. Extrait pp. 55-57
Pour comprendre le Walen Buiten et la scission de l'Université de Louvain
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_Louvain


01 février 2021

Le mari tombé du ciel

 

"Ma mère rit à nouveau, et à nouveau je vis l'enfant qu'elle avait été. Mais cette fois je vis encore autre chose. Dans son visage riant, légèrement troublé, je vis ce que tous les enfants doivent voir, à un moment ou un autre s'ils veulent grandir : la révélation que leurs parents ont eu une vie avant eux, une vie séparée et différente, dont le fil se déroule très loin, jusqu'à des grands-parents, des arrière-grands-parents, dans un nombre infini de rencontres de  hasard, de malentendus, d'espoirs, de circonstances, de limites. " 
                Barack Obama


Le passé, cette terre inconnue. Que connaît-on de ses parents, des ses grands-parents? Une dizaine d'anecdotes cent fois racontées qui deviennent une histoire, le souvenir de quelques années communes, fractionnées entre boulot et école, ce qui laisse peu de temps à la parole.  Et une image d'eux qui se construit à partir de notre naissance, comme s'ils avaient vu le jour en même temps que nous. La semaine passée, je consacrai une fin de consultation pour évoquer avec une jeune adolescente l'image de son arrière-grand-père laveur de vitre, passé au-travers d'une véranda lors d'une chute mémorable. Il aboutit sain et sauf dans l'arrière-cuisine d'une jeune dame qui préparait une poule-au-pot. Elle en fut surprise, le dégagea des débris de verre et l'épousa. Mon adolescente ignorait tout de l'existence de cet aïeul et du récit fleur-bleue d'une histoire d'amour comme on en rêve, et y prit un plaisir manifeste.


 

Lu dans:
Barack Obama. Les rêves de mon père. Presses de la Cité. 2008. 446 pages. Extrait p. 146