18 novembre 2020

Livraison lente

 

"Avez-vous déjà rencontré un plateau-repas dans un ascenseur ? C’est ce qui m’est arrivé ce week-end. J’ai commandé à dîner sur internet. Quand l’interphone a sonné, j’ai indiqué le troisième étage. Une voix m’a demandé s’il y avait un ascenseur. Bizarre : un repas pour quatre, si lourd… ? J’ai ouvert la porte pour accueillir le livreur, et j’ai entendu l’ascenseur monter. Mais il n’y avait personne dedans. Juste le colis fumant."
                        Michel Eltchaninoff



Faire de l'ascenseur un drone de livraison, le support de la fête devenu simple marchandise, voilà qui n'est guère romantique. Ce ne sera pas le cas de ce vieux couple, car ce soir, il y a cinquante ans... Elle a garni la table, imaginé le menu, choisi les ingrédients, fait mijoter la cocotte, chambré le vin, confié l'ambiance sonore à Glenn Gould,  crié "à table". Elle s'inquiète si c'est chaud, si c'est bon, elle s'inquiète de lui en somme. Les paroles sont rares et denses, espoirs, regrets, nouvelles confidences libérées quand le vin est doux et la chaire savoureuse. Un repas c'est de la matière qui se fait esprit. Notez que, comme le relève avec finesse Michel Eltchaninoff, les boutiques, c'est un peu la même chose. Ce qui nous manque le plus maintenant que leurs volets sont clos, "ce ne sont pas les produits qu'on y achète, mais le commerce avec les commerçants. Oh, un tout petit commerce : des politesses, des propos banals, des questions de béotien et des conseils de spécialistes, des blagues – la petite monnaie de la discussion. Sans ces conversations anodines et aussitôt oubliées, le commerce a nettement moins de saveur." Un repas anniversaire, et les emplettes qui le précèdent, l'essentiel est l'impalpable.


Lu dans:
Michel Eltchaninoff. La lettre de Philosophie Magazine. 16 novembre 2020

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