18 juin 2020

L'arôme passé du café réchauffé

"Elle réchauffa un reste de café - hors la pendaison et autres symptômes excessifs, est-il un geste qui signale plus clairement la dépression que de réchauffer du café au risque qu'il bouille, alors qu'on a tout ce qu'il faut pour en faire du frais?" 
                    Jacqueline Harpman



Il a pris rendez-vous sans trop savoir pourquoi, si ce n'est "que sa vie ressemble à du café réchauffé". Ces histoires d'agueusie-anosmie et le confinement l'ont perturbé, il se demande si la Covid-19 atteint aussi le cerveau. La semaine passée, en télétravail depuis deux mois, il a résilié son adresse sur Gmail, fermé son compte Facebook et bloqué l'accès de sa boîte professionnelle, I am out of the office for a long time. If you need assistance, please contact the helpdesk. Il a pris le bus 49 pour la Gare du Midi, et contemplé interminablement le tableau de départs. Pourquoi pas la mer? Ostende lui est apparue sinistre dans son silence. Il rêvait d'un moules-frites, mais les restos étaient fermés. Le tram vers le Zwin était vide, et le Zwin interdit d'accès. Où se niche l'arôme du café fraîchement torréfié dans tout cela? Sur un banc, il a rêvassé à une rencontre inattendue, mais la police lui a intimé de marcher. Il est rentré et a pris rendez-vous, sans trop savoir pourquoi. Il est parti sans traitement, plus léger du récit déposé comme un sac sur le bureau. Je ne suis pas sûr que je le reverrai, mais tout cela a-t-il une importance? 


Lu dans:
Jacqueline Harpman. Orlanda. Grasset. 1996. 306 pages