24 novembre 2019

Une vie de comptable


"Chaque anniversaire n’est pas une année de plus, mais une année de moins. Combien d’années de moins voulez-vous en plus ?"
                             Raphaël Enthoven


Et pour poursuivre dans la même veine, il se disait de Mathusalem que l'âge avait si peu de prise sur lui qu’à cinq cent soixante-dix-huit ans il n’en paraissait que trois cent deux. Étrange comportement humain que de comptabiliser ainsi ses années sur terre, les plus jeunes prenant fierté à se vieillir d'un an quand est évoqué leur proche anniversaire, l'adulte mûr à masquer son âge en le diminuant... pour se vieillir à nouveau quand approche la décennie qui fait de vous un héros survivant aux autres, "j'ai bientôt nonante ans savez-vous". A quoi sert-il de baliser son passage sur terre d'unités de mesure sans aucune signification à l'échelle de l'univers, et dont la perception fluctue en fonction de leur intensité vécue? Quel plaisir trouve-t-on à ce comportement d'otages noircissant les murs de leur geôle d'une croix à chaque lever du soleil, alors que rien ne distingue un jour d'un autre? Si ta vie était un feu, et toi le bois qu'il embrase, en chiffrerais-tu la durée où te contenterais-tu de le contempler, entre réalité et rêverie? Et l'évolution de ses flammes, de l'allumage jusqu'aux braises, t'inspirerait-elle la même nostalgie que celle ressentie face aux rides d'un visage? Si ta vie était un ruisseau rejoignant la mer, en marquerais-tu les berges d'étapes chronométrées? Si ta vie était le vent qui souffle, comment en baliserais-tu la course? La vie est trop belle pour se laisser emprisonner dans un calendrier.
   

Lu dans:
Raphaël Enthoven, Jiang Hong Chen. Imaginez. Coll. Medium+. 2019. 96 pages. Extrait page 88  

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