30 avril 2019

Poème des poèmes

"Allez lève-toi
mon amie     ma belle
regarde l'hiver est fini
la pluie a cessé     elle s'en va
on revoit les fleurs dans ce pays
et les premières figues du figuier
le moment de chanter est arrivé
les vignes en fleur embaument
Lève-toi
mon amie ma belle     en avant
ma colombe du creux des roches     dans la cachette des falaises
fais-moi voir ton visage
fais-moi écouter ta voix
ta voix si tendre
magnifique ton visage."
            Poème des poèmes      2 , 11-14


On dit que ce sont les lignes les plus poétiques de la Bible, parfois si sensuelles que leur présence dans les écritures fut parfois mise en cause. Les exégètes en ont fait un chant d'amour de Dieu pour son peuple, mais on dit tant de choses et des rieurs contestent cette présentation édulcorée. Quoiqu'il en soit, ces lignes sont bien de saison: entre lilas et muguet, entre Pâques et Ascension, c'est comme s'il n'y avait plus d'âge pour s'émerveiller de cette nature en sève, qui parvient à faire oublier les frimas encore si proches. En avant. 


Lu dans:
Cantique des cantiques. Traduction par Olivier Cadiot et Michel Berder. La Bible Bayard.

29 avril 2019

Une névrose paroissiale


" Ma femme affirme plaisamment que je suis affecté de la « névrose paroissiale ». Cette manie consistant, sitôt arrivé dans une ville ou un village, à visiter l’église même si elle n’offre pas un grand intérêt artistique. L’assertion est en partie exacte mais ma pathologie ne s’applique pas seulement aux édifices paroissiaux. Cathédrales, monastères, tous les lieux de culte ont ma faveur. Ce que j’y cherche ? Ce qui est perdu : la présence qui habitait mon église d’Ille-et-Vilaine. "
                                Jean-Paul Kauffmann


Traquer dans les lieux de silence et de solitude ce qu'on croit à jamais perdu est le fil rouge de l’œuvre littéraire de Jean-Paul Kauffmann, ex-otage au Liban où il perdra son ami Michel Seurat. Récit pudique où transparaît l'espoir minuscule qui vous raccroche à la vie quand tout paraît perdu, et qu'on se croit irrémédiablement oublié du monde. Récits d'un univers clos et silencieux, où ne survivent que la musique et les images de l'enfance. Atteints sans doute par la même névrose paroissiale, nous sommes d'insatiables traqueurs de que cachent les nombreux lieux de recueillement de la France profonde. Aucune religiosité dans cette quête, mais l'émerveillement que procure le reflet d'un vitrail sur la pierre inégale, une envolée de Bach au jubé, la réverbération de l’angélus du soir sur les vignes au soleil frisant. Bref, le sentiment de vivre un moment singulier dans un espace inattendu. Gratuité et plénitude sans aucune possession.
 


Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Venise à Double Tour. Des Equateurs. 2019. 336 pages.

27 avril 2019

Le café faible


"Dans notre enfance, on nous servait au petit déjeuner comme au goûter, pour teinter notre lait, le second passage du café qu'on appelait du café faible.
Ne peut-on penser qu'il existe aussi des passions du second passage, des passions faibles ? Moins exaltantes, moins affolantes, exaspérantes, énervantes que les fortes, mais capables de donner un petit coup de fouet, lorsqu'il le faut."
                                Pierre Hebey 
 

La passion amoureuse l'a quitté, l'argent lui manque pour les tables étoilées, les grands concerts, les lointains voyages. Désormais il bouquine, il chine, il apprécie la table accueillante des brasseries et l'amitié gratuite des vieux amis. Il ressent un étrange sentiment de bonheur, qu'il ne connaissait guère quand il flambait.


Lu dans :
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. NRF. Gallimard. 1998. 222 pages. Extrait p.465

26 avril 2019

Sagesse de Marguerite Yourcenar

"Solitude...
Je ne crois pas comme ils croient
je ne vis pas comme ils vivent
je n'aime pas comme ils aiment
Je mourrai comme ils meurent."
                Marguerite Yourcenar


Quand se ferme la porte de la salle d'attente au terme de la consultation subsiste une étrange rumeur. Accents de l'Atlas et de la Silésie, silence des vieux, bousculades des gosses, parfois même un chien. Ils déposent chacun sur le bureau qui me sépare de leur vie un mélange d'espoirs, de désillusions, d'enthousiasmes et de craintes. Il me faudra trouver un jour le mot juste pour qualifier cette relation étrange qui unit le malade et son médecin: je connais presque tout d'eux, ils savent tant de moi, et pourtant je n'oserais me revendiquer de leurs amis. Je ne les accompagne jamais en vacances, mais connais tous les détails de leur maison familiale dans la baie de Tanger. J'anticipe déjà l'entrée en Ramadan et les repas de retrouvailles à la nuit tombée, et n'imagine pourtant pas une seconde me couler dans le rituel de leur foi. Ma cave abrite les pots de miel sauvage cueilli dans les arbres de Pologne, mélangé aux restes de cire, de pollen et des psaumes qui s'élèveront ce dimanche des églises de leur village à l'occasion de la Pâque orthodoxe. Je n'y assisterai guère non plus, pas plus qu'aux cérémonies du 1er Mai place Rouppe auxquelles se joignaient encore mes grands-parents il y a peu. J'éprouve pour tous ces patients une tendresse et une complicité intenses, et ils me le rendent bien. Je fais partie de leur vie, des guérisons des gosses et de la fin de parcours de leurs vieux parents, font-ils pour autant partie de la mienne? Amitié, amour, affection exigent une gratuité, une réciprocité sans arrière-pensée, absentes de la relation professionnelle même la plus désintéressée. Cette retenue constitue d'ailleurs une garantie: toi à qui je confie ma santé, gère-la en bon père de famille attentionné, à la bonne distance, sans laisser altérer tes décisions par des sentiments qui affecteraient ton jugement. Ce soir encore je n'aurai pas trouvé le terme juste pour décrire cette relation, qui demeure néanmoins parmi les plus intenses que je connaisse.


Lu dans:
Marguerite Yourcenar. L'invention d'une vie. Collection NRF Biographies. Gallimard. 1990. 552 pages.

25 avril 2019

Petite philo de BigFlo & Oli


"Quand j'étais petit je pensais qu'en louchant trop je pouvais me bloquer les yeux
Que les cils sur mes joues avaient le pouvoir d'exaucer les vœux (..)
Mais depuis qu'est-ce qui a changé? Pas grand chose
Je n'ai pas rangé les questions que je me pose
Qu'est-ce qui a changé? Pas grand chose
Je n'ai pas rangé les questions que je me pose

On m'disait tu comprendras plus tard, tu comprendras plus tard
Tu comprendras plus tard mais on est plus tard et je comprends pas
Tu comprendras plus tard, tu comprendras plus tard
Tu comprendras plus tard mais on est plus tard et je comprends pas."
                    Big Flo et Oli


Pourquoi j'aime? Parce que mes petits-enfants le chantent en boucle, et que Vald (le philosophe) estime que "le rap se doit d'être vulgaire, sinon c'est du BigFlo & Oli". Et parce que me reviennent ces couchers dans ma petite chambre observant le ciel, m'interrogeant sans fin sur l'étoile où je serais après ma mort. Mais on est plus tard et je ne comprends toujours pas. 


Lu dans:
BigFlo et Oli. Plus tard. Album : La Vie de rêve. 2018. Paroliers : Florian Ordonez / Olivio Ordonez / Clément Libes. BMG Rights Management

24 avril 2019


"L'escargot, qui jamais ne recule."
                Alexandre Vialate
 
 

23 avril 2019

En suivant la mouette rieuse


 "Les mouettes naissent des mouchoirs qu'on agite au départ du bateau."
                        Ràmon Gómez de la Serna. Greguerías
 

Moment de grâce, un vol de mouettes ponctue la plage et le ciel de la côte d'Opale. Leur légèreté dans le vent qui les porte, l'évidence de leur trajectoire sans but apparent ni hésitation, l'absence d'application besogneuse nous remplissent le regard d'une image de bonheur simple qui soudain nous fait envie. Nos esprits s'envolent, mais les semelles collent au sable. Moment d'éternité dont la gratuité fait la richesse.

       
Lu dans:
Ràmon Gómez de la Serna. Greguerías. Ed. Cent pages. 2005. 146 pages.

14 avril 2019

Sagesse de Hermann Hesse


"La nature et tout ce qui grandit,
La paix et tout ce qui s'épanouit,
Tout ce qui fait la beauté du monde est fruit de patience,
Demande du temps,
Demande du silence,
Demande de la confiance."
                Hermann Hesse
 

13 avril 2019

La foi du rebouteux


"Le besoin de certitude a toujours été plus fort que le besoin de vérité."
                Gustave Le Bon
 

Ce pourrait être grave, et c'est peut-être rien. Comment présenter à un patient confiant en la médecine qu'on est dans l'incertitude face à la raison de ses plaintes? En d'autres temps mon cabinet jouxtait l'espace de soins d'un rebouteux dont l'aura était considérable. "Les médecins tentent de soulager les douleurs des becs-de-perroquet, moi je les mouds." Et allongeant le malade sur un chevalet, il lui lamait le dos avec une espèce de crécelle qui émettait un son effroyable, réduisant la souffrance en cendre.  Pas de paiement, un chapeau à l'entrée accueillait le prix du soulagement. Comment lutter contre pareille concurrence, bâtie d'une inébranlable confiance en soi sans risque d'effets secondaires? Le médecin possède la science et ses hésitations, mais soulage-t-elle tous les maux, et répond-elle au besoin de certitude? Ce soir je relis l'Ecclésiaste, qui m'interpelle : "Qui accroît sa connaissance accroît sa douleur."


11 avril 2019

Nobelisable


"Les beaux rêves font les vies tristes."
                            Vincent Engel.

Il s'estimait digne d'un Nobel, il ne fut jamais retenu. Il connut les honneurs, fréquenta les meilleurs scientifiques, fut reçu dans les cénacles les plus sélects. Il mourut honoré, déçu et malheureux.


Lu dans:
Vincent Engel. Les Angéliques. Fayard . 2004. 248 pages.

10 avril 2019

La langue de chez nous


"J'veux du L, j'veux du V, j'veux du G, pour dessaper ta racli
Igo on est voué à l'enfer, l'ascenseur est en panne au paradis
C'est bloqué ? Ah bon ? Bah j'vais bicrave dans l'escalier
Président, dans l'hall j'ai vu l'ien-cli voter blanc
Ounga, ounga, ounga ouais, mon gars mon gars mon gars j'sers
Du taga taga à ve-Her, en jaune ou en vert nique sa mère."
            PNL. Le monde ou rien


Je découvre ce matin en pleine page du Soir PNL, groupe de rap français qui égrène jusqu'au vertige tous les records d'écoute, réenchantant notre langue française selon les critiques musicaux spécialisés. Convaincu par le linguiste Julien Barret qu'on "peut tout dire du moment qu'on se comprend, que la langue s'enrichit, évolue, signe même qu'elle est en vie", je suis parti découvrir Ademo et N.O.S (de leurs vrais noms Tarik et Nabil Andrieu, alias PNL) dans le texte. Pour réaliser que je suis devenu un étranger dans ma propre langue.
 
Lu dans:
Lucien Barret. Tu parles bien la France ! Essai sur la langue française d’aujourd’hui, aux éditions de L’Harmattan. 2016.

09 avril 2019

Le sommeil des machettes


"La haine a de longues racines."
                    Colette Braeckman


Les commémorations des massacres rwandais nous ont donné à voir, lire ou entendre des partages qui nous élèvent. Comment dépasser l'horreur et reconstruire le vivre ensemble? Comme le rappelle avec justesse Colette Braeckman, "le Rwanda, c’était hier ? Faisons en sorte que ce ne soit pas demain. Que ce ne soit pas ailleurs. "
 

Lu dans:
Colette Braeckman. Rwanda : vingt-cinq ans, ce n’est rien. Edito du Soir. Lundi 8 avril 2019.

08 avril 2019

L'ivresse du départ


"Le soleil n'est jamais si beau qu'un jour où l'on se met en route."
                Jean Giono 
 
Interrogeant un de mes fils sur sa motivation à emmener sa famille durant un semestre à vélo/tentes sur les routes du monde, la réponse fusa: pour ce qu'on ressent le matin au départ quand on voit le long ruban de la route sinuer devant soi jusqu'à l'infini. Ayant hérité d'une vision de la vie consciencieuse et besogneuse, je mesure que je n'aurai jamais vraiment connu cette exaltation, la prise de risque n'ayant pas fait partie de ma trousse à outils existentielle. Le plus étrange étant que je l'aurai transmise à mes enfants sans l'avoir moi-même utilisée.
 

 
Lu dans:
Jean Giono. Les Grands Chemines. Gallimard Folio 1973. 256 pages.

05 avril 2019

Sagesse de Maîmonide


« Ah ! Dieu éloigne de moi l'idée que je peux tout.»
Maimonide, Guide des égarés, 1190.


L'invocation de Maïmonide n'a pas pris une ride, et peut nous inspirer chaque jour. Mettre ses pas dans les traces de Maimonide et Averroes à Cordoue nous fait grandir. Ces deux sages, médecins du corps et de l'âme, durent se croiser dans la ville andalouse qui concentra un court moment les sagesses  juive et musulmane.

04 avril 2019

Ces jours où tu m'aimes


"Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.
Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même, ni à lui-même."
                Francis Dannemark



Lu dans:
Francis Dannemark. Autrement dit, l’amour. Ici on parle flamand & français : Une fameuse collection de poèmes belges. Le Castor Astral. 2005.

03 avril 2019

Dommage

"Yasmine a une belle voix, elle sait qu'elle est douée
Dans la tempête de sa vie, la musique est sa bouée
Face à ses mélodies, le monde est à ses pieds
Mais son père lui répétait: "Trouve-toi un vrai métier"
Parfois elle s'imagine sous la lumière des projecteurs
Sur la scène à recevoir les compliments et les jets de fleurs
Mais Yasmine est rouillée, coincée dans la routine
Ça lui arrive de chanter quand elle travaille à l'usine

Ah elle aurait dû y aller, elle aurait dû le faire, crois-moi
On a tous dit : "Ah c'est dommage, ah c'est dommage, c'est p't'être la dernière fois"
Ah elle aurait dû y aller, elle aurait dû le faire, crois-moi
On a tous dit : "Ah c'est dommage, ah c'est dommage, c'est p't'être la dernière fois"
             Bigflo & Oli. Dommage
 



02 avril 2019

L'épreuve de la rupture


 "La rupture amoureuse apparaît comme le paradigme de toutes les ruptures parce qu’elle touche profondément à notre sentiment d’identité, ravive les vulnérabilités anciennes. Dans la rupture amoureuse, ce n’est pas seulement un être aimé que l’on perd, c’est aussi la personne qu’il voyait en nous et que son amour valorisait. Mais c’est également tout un monde, des lieux, des repères, un langage propre au couple, des amitiés, des familles, et tout un passé, une histoire commune qui disparaissent avec lui. "
                Claire Marin



Lu dans :
Claire Marin. L’épreuve de la rupture peut nous disloquer jusqu’à la folie. Le Monde 30 mars 2019. Propos recueillis par Nicolas Truong. 

01 avril 2019

Les contours de la maladie

«Les progrès de la médecine seront tels que tout le monde se sentira malade.»
                    Aldous Huxley. Le meilleur des mondes (1931)


Il n'y a guère longtemps, on faisait appel à la médecine quand on était souffrant. Progressivement, on consulta pour éviter de devenir souffrant. Il se raconte que, confronté à la stagnation des chiffres, le président d'un trust pharmaceutique énonça à la fin des sixties que "si jusqu'à présent on avait produit des médicaments pour les malades, dorénavant on allait en produire pour les autres", les facteurs de risque s'intégreraient dorénavant dans tout bilan de santé. Actuellement, les progrès conjugués de l'imagerie médicale et du décryptage du génome humain réalisent un bilan de santé prédictif, annonçant les affections bien cachées qui n'attendent que l'occasion favorable pour s'exprimer. Comment s'étonner que la peur d'être malade se soit substituée progressivement aux symptômes qui peuplaient jadis les salles d’attente, douleurs, toux, émissions de sang, fièvres, amaigrissement, voussures inquiétantes? Dans certaines maladies génétiques on se sait malade parfois trente ou quarante ans avant que l'affection ne s'exprime. Se substitue à l'espace-temps du corps affecté d'une maladie le temps et l'espace d'une vie entière. Gérer toute cette incertitude nécessitera de repenser la relation médecin-patient, replaçant la peur de l'avenir dans une juste perspective. La médecine prédictive aura besoin de passeurs de sens.


Lu dans:
L'éden infernal. Postmodernité, posthumanité et postdémocratie. Erès. Coll. Humus. 2017. 192 pages. Extrait p.52