17 janvier 2019

Une journée chez les vieux


"Mon vieux à moi, tous les mois
Va à tout petits pas
Empocher sa pension
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin.
Quand je serai vieux et tout seul
Demain ou après demain
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois
Avec mes sous, si j'en ai
M'acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
A un monde rempli d'enfants."
                    François Béranger

Une journée chez les vieux, de maison de repos en maison de la mémoire: en additionnant leurs âges on arrive à Jésus-Christ. Qui a dit que les vieux sont malheureux? J'en ai dépassé un savourant une glace Miko Moka améliorée d'une Chimay bleue, pendant qu'un autre chantonnait doucement en coloriant soigneusement les pages d'un livre de dessin. Il avait été cadre européen au Diners Club International, et je compris en admirant le soin qu'il mettait à son œuvre de coloriage pourquoi il était arrivé à ces hautes fonctions. Ni rancœur ni questions sur le sens des choses, seul semblait compter ce présent apaisé. Dans la chambre voisine, une résidente chantait en boucle "C'est rire, c'est rire qu'il nous faut", une autre invoquait inlassablement "ô Dieu, Seigneur miséricordieux, écoute ma prière". La dernière de la tournée, quasi centenaire, connue de quarante ans, réclame son bisou "car je vous aime bien vous savez". Quand ne reste que l'essentiel, l'expression de la sérénité prend mille voies différentes, et aucune ne m'est apparue risible. Et on s'interroge, où se cache donc la poche de bonheur, si difficile à atteindre parfois quand on a tout, santé, beauté, métier, argent, jeunes enfants? Serait-elle comme la bosse du chameau, source accessible en seule zone aride quand l'eau de raréfie?


Lu dans:
François Béranger. Les vieux.  1973.

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