09 janvier 2019

La guerre est finie


"Avant de s'endormir, madame Gentil m'a raconté ce qu'elle nous raconte depuis des mois à Jo, Maria et moi. C'est toujours la même histoire : elle est née en 1941, sa famille vivait dans la cave de la maison pour se protéger des bombes. Elle entendait les sirènes et les avions quand ils passaient dans le ciel. Un matin, elle s'est réveillée dans une chambre inconnue. Il y avait des fleurs sur la tapisserie et de grandes fenêtres traversées par le soleil. Elle a pensé qu'elle était morte, qu'elle était au paradis. En vérité, la guerre était finie et ses parents l'avaient montée d'un étage dans la maison pendant qu'elle dormait."
             Valérie Perrin

De combien de patients aimerait-on pouvoir clore la consultation par un sobre "allez, la guerre est finie", débouchant sur une chambre avec des fleurs sur la tapisserie et de grandes fenêtres traversées par le soleil. Patients en guerre permanente contre un affection qui les mine, contre leur enfance refoulée, contre les incertitudes des changements d'âge ou d'orientation professionnelle. Jeunes papas traqués par l'absence d'image de ce que serait un père, jeunes mamans femmes d'ouvrage sur les quais de Ouistreham courant "d’une chose à l’autre, maladroites, toujours en retard d’un reproche" (F. Aubenas), ados en rupture d'école, profs en rupture d'eux-mêmes, vieillards fatigués d'attendre une issue qui se dérobe. Le plus étrange? Le plus étrange étant sans aucun doute que tous ces êtres écorchés, peinant dans une existence difficile, craignant pour leur avenir et celui de leurs enfants, soient absolument normaux et qu'on les croise chaque jour dans nos rues, les saluant d'un joyeux bonjour ou d'un souhait de bonne soirée. Ni pauvres, ni laids, ni voûtés, ni habillés de cendres, ni tristes de visage ou de récit, ils sont les citadins multiples de nos villes, les passants de nos rues. Le courage de vivre au quotidien est une vertu bien partagée.
 

Lu dans:
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017.  416 pages. Extrait p.377

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