18 janvier 2019

Au fil de nos vies


Un historien m’a dit un jour : « Dans ma discipline aussi, on ne sait jamais de quoi hier sera fait. »
                        Jean Claude Ameisen
       

On imagine le passé figé comme les draps empilés dans la garde-robe, ou l'armée d'argile enterrée à Xi'an dans le mausolée de l'empereur Qin. Jusqu'à l'arrivée d'une lettre, d'un coup de téléphone, d'un post sur Facebook, d'un cahier au fond d'une cave bouleversant l'architecture de notre existence. Telle découvre l'existence d'un père ignoré, l'orphelin cambodgien apprend que sa famille décimée a survécu sans lui et mène un existence normale dans la maison familiale, ce veuf éploré est informé par le notaire que son épouse avait été mariée précédemment sans qu'il le sache, cette maman ayant dû abandonner son bébé durant son transfert vers les camps apprend qu'il est vivant, en Autriche, mais malade et qu'il la recherche. Il mourra six mois après leurs retrouvailles. La vie des hommes est un roman où passé et présent s'interpénètrent sans cesse, se réécrivant l'un l'autre. Comme l'écrit Pascal Quignard "rien n'est plus mouvant que le passé. Le présent ne cesse de réordonner ce qui l'alimente."
Rien n'est moins sûr en somme que le socle de nos vies, mêmes les plus banales, sans lettre ou cahier explosifs. Sans cesse nous nous réapproprions des images, des souvenirs, des conversations aussitôt réinterprétées par l'émotion du présent. Rangées à nouveau, transformées, elles réécrivent un nouveau passé ni plus faux ni moins fiable qui redevient notre histoire. On était fils de prince, on devient fils d'explorateur, ou de Gavroche, ou de héros. Laissez parler les gens: ils vous racontent des récits fabuleux.
 

 
Lu dans :
Jean-Claude Ameisen. Savoir, penser, rêver. Flammarion. 2018. 288 pages.

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