26 janvier 2019

Carpe diem


"Ne demande pas à ce qui vient : " Où vas-tu ? "
                Pascal Quignard


Qu'il est devenu difficile de se poser.


 
Lu dans:
Pascal Quignard. Une journée de bonheur. Arléa poche. 2017. 142 pages.

24 janvier 2019


"Sur la neige couvrant la boîte aux lettres, l'étoile minuscule d'une patte d'oiseau - de fraîches nouvelles du ciel."
                            Christian Bobin.
  

Traces sans retour


"Les pas d'un homme dans la neige
Qu'est-il allé chercher
Reviendra-t-il
par le même chemin?"
                Abbas Kiarostami

Traces de pas dans la neige, cailloux du Petit Poucet, jalons sur nos routes laissant entrevoir la possibilité de revenir sur nos pas et de tout reprendre à zéro. La vie ne revient pas sur ses pas.




 
Lu dans:
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.9

23 janvier 2019

Neige

"Assis seul sur les berges d'un grand lac
je regarde la neige tomber sans bruit
ciel et terre sont silencieux
le monde des hommes n'est que conflits."
                Lao Shu
 
Lao Shu est professeur à l'Institut des médias et de la culture de Pékin et critique d'art réputé. Chaque jour depuis 2011, il poste sur son blog une peinture accompagnée d'un poème.



Lu dans:

22 janvier 2019



"Ci-gît celui que j’aurais aimé être."


Sentence énigmatique dont la concision ouvre la porte à toutes les interprétations. Quelle est la vôtre?

 


Lu dans:
Samir Bouadi, Sébastien Dourver  Les sept principes de ceux qui n'en ont aucun. Pygmalion. 2018. 203 pages.  

21 janvier 2019

Insaisissable bonheur

"Promettez le bonheur, vous ferez un malheur."
                    S. Bouadi et S. Dourver

Pour les éditeurs, le bonheur représente le meilleur des argument de vente, et on le comprend. Pour refaire surface quand on a perdu ses clés, son travail, sa femme, son logement et son système immunitaire, choisirez-vous le "Guide pour dépressifs chroniques" ou les pensées du Dalaï-Lama, un recueil de contes taoïstes, un guide du bien-être et du développement personnel ou un traité qui réactualise l’idée millénaire du vide parfait ?  Promettez le bonheur, vous ferez un malheur. 
Encore faut-il définir de qu’est le bonheur. Il se raconte que le facétieux philosophe et mathématicien Ludwig Wittgenstein s’amusait à soumettre à ses élèves des jeux de logique et de langage : « Définissez-moi la couleur bleue sans me la montrer. » Ainsi démontrait-il qu’il est impossible de définir la couleur bleue alors que tout le monde la connaît. Le bonheur, c’est l’inverse, tout le monde est capable de le définir, mais personne n’est capable d'en transmettre la recette: il échappe à ceux qui s'échinent à se l'approprier et à l'inverse les gens heureux paraissent ne pas l'avoir cherché. Rien n'est simple.



Lu dans:
Samir Bouadi, Sébastien Dourver  Les sept principes de ceux qui n'en ont aucun. Pygmalion. 2018. 203 pages.

19 janvier 2019


« Si vous pensez que vous êtes trop petit pour faire la différence, c’est que vous n’avez jamais passé une nuit avec un moustique. »       
                 Proverbe africain
 
 

18 janvier 2019

Au fil de nos vies


Un historien m’a dit un jour : « Dans ma discipline aussi, on ne sait jamais de quoi hier sera fait. »
                        Jean Claude Ameisen
       

On imagine le passé figé comme les draps empilés dans la garde-robe, ou l'armée d'argile enterrée à Xi'an dans le mausolée de l'empereur Qin. Jusqu'à l'arrivée d'une lettre, d'un coup de téléphone, d'un post sur Facebook, d'un cahier au fond d'une cave bouleversant l'architecture de notre existence. Telle découvre l'existence d'un père ignoré, l'orphelin cambodgien apprend que sa famille décimée a survécu sans lui et mène un existence normale dans la maison familiale, ce veuf éploré est informé par le notaire que son épouse avait été mariée précédemment sans qu'il le sache, cette maman ayant dû abandonner son bébé durant son transfert vers les camps apprend qu'il est vivant, en Autriche, mais malade et qu'il la recherche. Il mourra six mois après leurs retrouvailles. La vie des hommes est un roman où passé et présent s'interpénètrent sans cesse, se réécrivant l'un l'autre. Comme l'écrit Pascal Quignard "rien n'est plus mouvant que le passé. Le présent ne cesse de réordonner ce qui l'alimente."
Rien n'est moins sûr en somme que le socle de nos vies, mêmes les plus banales, sans lettre ou cahier explosifs. Sans cesse nous nous réapproprions des images, des souvenirs, des conversations aussitôt réinterprétées par l'émotion du présent. Rangées à nouveau, transformées, elles réécrivent un nouveau passé ni plus faux ni moins fiable qui redevient notre histoire. On était fils de prince, on devient fils d'explorateur, ou de Gavroche, ou de héros. Laissez parler les gens: ils vous racontent des récits fabuleux.
 

 
Lu dans :
Jean-Claude Ameisen. Savoir, penser, rêver. Flammarion. 2018. 288 pages.

17 janvier 2019

Une journée chez les vieux


"Mon vieux à moi, tous les mois
Va à tout petits pas
Empocher sa pension
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin.
Quand je serai vieux et tout seul
Demain ou après demain
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois
Avec mes sous, si j'en ai
M'acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
A un monde rempli d'enfants."
                    François Béranger

Une journée chez les vieux, de maison de repos en maison de la mémoire: en additionnant leurs âges on arrive à Jésus-Christ. Qui a dit que les vieux sont malheureux? J'en ai dépassé un savourant une glace Miko Moka améliorée d'une Chimay bleue, pendant qu'un autre chantonnait doucement en coloriant soigneusement les pages d'un livre de dessin. Il avait été cadre européen au Diners Club International, et je compris en admirant le soin qu'il mettait à son œuvre de coloriage pourquoi il était arrivé à ces hautes fonctions. Ni rancœur ni questions sur le sens des choses, seul semblait compter ce présent apaisé. Dans la chambre voisine, une résidente chantait en boucle "C'est rire, c'est rire qu'il nous faut", une autre invoquait inlassablement "ô Dieu, Seigneur miséricordieux, écoute ma prière". La dernière de la tournée, quasi centenaire, connue de quarante ans, réclame son bisou "car je vous aime bien vous savez". Quand ne reste que l'essentiel, l'expression de la sérénité prend mille voies différentes, et aucune ne m'est apparue risible. Et on s'interroge, où se cache donc la poche de bonheur, si difficile à atteindre parfois quand on a tout, santé, beauté, métier, argent, jeunes enfants? Serait-elle comme la bosse du chameau, source accessible en seule zone aride quand l'eau de raréfie?


Lu dans:
François Béranger. Les vieux.  1973.

16 janvier 2019

Une enfance assoupie


"Chez nous, il n'y a que du chêne. Tout est marron foncé. Pépé dit que c'est beau parce que c'est du bois noble. Moi. je trouve ça moche. Et puis chez nous, tout est recouvert, protégé. Sur les canapés, il y a des couvertures. Sur les fauteuils, il y a des couvertures. Et sur toutes les tables, des nappes C'est comme si notre maison avait quelque chose à cacher."
                       Valérie Perrin

Une époque dont ceux qui eurent des grands-parents se souviennent sans doute. L'horloge du salon "qui dit oui, qui dit non et puis qui nous attend", l'odeur du café de 16 heures qui percole, avec un biscuit Delacre dans sa sous-tasse de faïence de Delft. La grille du jardinet bien fermée ("on ne sait jamais avec tous ces brigands"). Et dans la maison assoupie, un animal domestique qui tient lieu de gardien du temple. Images de jadis qui remontent à la surface, d'un temps où les pendules se remontaient à la main et où pour nous, enfants, "tous les adultes étaient vieux (V.Perrin)" après 50 ans .
 

Lu dans:
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017. 416 pages.
Jacques Brel. Les vieux. 1963

14 janvier 2019

Un matin excellent et clair demeure un privilège

« Ce n'était pas le jour du jugement mais seulement le matin.
Un matin : excellent et clair. »
            William Styron. Le Choix de Sophie.


Cela fait de longs mois qu'elle attend son "jugement" et de revoir un matin excellent et clair. En 2019, dans un pays avec lequel nous commerçons, et son histoire est tout sauf une Fake News. 

Loujain al-Hathloul, militante sans relâche pour que les femmes saoudiennes aient le droit de conduire, est détenue depuis le 15 mai 2018 dans la prison de Dhaban à Djeddah (Arabie Saoudite) après avoir été arrêtée à Dubaï (Emirats Arabes Unis) par des agents de la Sécurité à la Sorbonne University. Elle y terminait une maîtrise en recherche sociologique appliquée, et a été rapatriée de manière forcée en Arabie Saoudite et incarcérée. Le récit que fait sa sœur Alia des conditions et des motifs de sa détention glacent le sang, et paraît ce 13 janvier dans le NewYorkTimes. Nous connaissons bien Alia, qui a épousé il y a quelques années un ami cher. Avec leurs enfants, ils vivent une existence paisible et qui aurait pu être heureuse dans notre quartier. Mais peut-on être heureux sachant sa sœur détenue pour délit d'opinion sans avoir la moindre possibilité de communiquer?  Après de longs mois d'hésitation par crainte que soient aggravées les conditions de détention, elle a fait le choix de rompre le silence. 

Lu dans:
William Styron. Le Choix de Sophie (Sophie's Choice). Trad. Maurice Rambaud. Gallimard 1981, 1995. Collection Folio 2740. 916 pages.
Alia al-Hathloul. My Sister Is in a Saudi Prison. Will Mike Pompeo Stay Silent? https://www.nytimes.com/2019/01/13/opinion/saudi-women-rights-activist-prison-pompeo.html
Alia al-Hathloul. Ma sœur est dans une prison saoudienne. Mike Pompeo restera-t-il silencieux ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loujain_Al-Hathloul
https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/arabie-saoudite-une-campagne-de-diffamation-tente-de-discrediter-loujain-al


Ma sœur est dans une prison saoudienne. Mike Pompeo restera-t-il silencieux ?
Le secrétaire d'État américain est en visite à Riyad, mais les prisonniers politiques ne figurent pas à son ordre du jour.

Par Alia al-Hathloul. Mme Hathloul est la sœur de Loujain al-Hathloul,
militante saoudienne emprisonnée pour les droits des femmes.
New York Times. Le 13 janvier 2019

Lorsque le secrétaire d'État Mike Pompeo se rendra en Arabie saoudite dimanche, il devrait discuter du Yémen, de l'Iran et de la Syrie et faire le point sur l'enquête sur la mort du journaliste Jamal Khashoggi. Je suis frappée par ce qui n'est pas inclus dans l'itinéraire de M. Pompeo : les courageuses militantes de l'Arabie saoudite, qui sont détenues dans les prisons du royaume pour avoir recherché leurs droits et leur dignité. L'apathie de M. Pompeo est personnelle pour moi parce que l'une des femmes détenues, Loujain al-Hathloul, est ma sœur. Elle a travaillé sans relâche pour que les Saoudiennes aient le droit de conduire. 

J'habite à Bruxelles. Le 15 mai, j'ai reçu un message de ma famille m'informant que Loujain avait été arrêtée chez mes parents à Riyad, où elle vivait. J'ai été choquée et confuse parce que l'interdiction saoudienne de conduire pour les femmes était sur le point d'être levée. Nous n'avons pas pu savoir pourquoi elle avait été arrêtée et où elle était détenue. Le 19 mai, les médias saoudiens l'ont accusée, ainsi que les cinq autres femmes arrêtées, d'être des traîtres. Un journal gouvernemental aligné a cité des sources prédisant que les femmes seraient condamnées à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison, voire à la peine de mort. Loujain a été arrêtée pour la première fois en décembre 2014 après avoir tenté de quitter les Émirats arabes unis pour se rendre en Arabie saoudite en voiture. Elle a été libérée après plus de 70 jours de prison et placée sous interdiction de voyager pendant plusieurs mois. En septembre 2017, le gouvernement saoudien a annoncé que l'interdiction de conduire pour les femmes serait levée en juin suivant. Loujain a reçu un appel avant l'annonce d'un fonctionnaire de la cour royale lui interdisant de faire des commentaires ou d'en parler sur les médias sociaux.

Loujain s'est installée aux E.A.U. (Emirats Arabes Unis) et s'est inscrite à une maîtrise en recherche sociologique appliquée sur le campus d'Abu Dhabi de la Sorbonne University. Mais en mars, elle a été arrêtée par des agents de sécurité alors qu'elle conduisait, embarquée dans un avion et transférée dans une prison à Riyad, en Arabie saoudite. Elle a été relâchée au bout de quelques jours mais interdite de voyager à l'extérieur du royaume et avertie de ne pas utiliser les médias sociaux. Puis elle a été arrêtée en mai. J'espérais que Loujain serait libérée le 24 juin, date à laquelle l'interdiction de conduire pour les femmes serait levée. Ce jour glorieux est arrivé et j'ai été ravie de voir des Saoudiennes au volant. Mais Loujain n'a pas été libérée. Je suis resté silencieuse, espérant que mon silence puisse la protéger. À cette époque, j'ai été frappé par une tendance sombre qui se dessinait sur les médias sociaux en Arabie saoudite. Quiconque critiquait ou faisait une remarque sur quoi que ce soit en rapport avec l'Arabie saoudite était considéré comme un traître. L'Arabie saoudite n'a jamais été une démocratie, mais ce n'était pas non plus un État policier. J'ai gardé mes pensées et mon chagrin pour moi. Entre mai et septembre, Loujain a été détenue à l'isolement. Au cours de brefs appels téléphoniques qu'elle a été autorisée à passer, elle nous a dit qu'elle était détenue dans un hôtel. "Tu es au Ritz-Carlton ?" ai-je demandé. "Je n'ai pas le statut Ritz, mais c'est un hôtel", a-t-elle dit en riant. A la mi-août, Loujain a été transférée à la prison de Dhaban à Djeddah et mes parents ont été autorisés à lui rendre visite une fois par mois. Mes parents ont vu qu'elle tremblait de façon incontrôlable, incapable de tenir quelque chose en main, de marcher ou de s'asseoir normalement. Ma sœur a attribué ceci à climatisation pour rassurer mes parents, leur affirmant qu’elle allait bien. Après l'assassinat de Jamal Khashoggi en octobre, j'ai lu des informations selon lesquelles plusieurs personnes détenues par le gouvernement saoudien au Ritz-Carlton de Riyad avaient été torturées. J'ai commencé à recevoir des appels téléphoniques et des messages d'amis et de parents me demandant si Loujain aussi avait été torturée. J'ai été choquée par ces questions. Je me demandais comment les gens pouvaient penser qu'une femme pouvait être torturée en Arabie saoudite. Je croyais que les codes sociaux de la société saoudienne ne le permettraient pas.

Mais fin novembre, plusieurs journaux, Human Rights Watch et Amnesty International ont rapporté que des militants et militantes des droits humains et politiques, hommes et femmes, avaient été torturés dans les prisons saoudiennes. Certains rapports mentionnent des agressions sexuelles. Mes parents ont visité Loujain à la prison de Dhaban en décembre. Ils lui ont posé des questions sur les rapports de torture et elle s'est effondrée en larmes. Elle a dit qu'elle avait été torturée entre mai et août, alors qu'elle n'avait droit à aucune visite, qu'elle avait été détenue à l'isolement, battue, soumise à la torture, à des chocs électriques, harcelée sexuellement et menacée de viol et de meurtre. Mes parents ont alors vu que ses cuisses étaient noircies par des bleus. Saud al-Qahtani, l'un des principaux conseillers royaux, était présent à plusieurs reprises lorsque Loujain a été torturée, a-t-elle dit. Parfois M. Qahtani se moquait d'elle, parfois il menaçait de la violer, de la tuer et de jeter son corps dans les égouts. Avec six de ses hommes, elle a dit que M. Qahtani l'avait torturée toute la nuit pendant le Ramadan, le mois musulman du jeûne. Il a forcé Loujain à manger avec eux, même après le lever du soleil. Elle leur a demandé s'ils continueraient à manger toute la journée pendant le Ramadan. Un de ses hommes répondit : "Personne n'est au-dessus de nous, pas même Dieu."

Une délégation de la Commission saoudienne des droits de l'homme lui a rendu visite après la publication des rapports sur ses tortures. Elle a raconté à la délégation tout ce qu'elle avait enduré. Elle leur a demandé s'ils la protégeraient. « Nous ne pouvons pas», répondirent les délégués.  Quelques semaines plus tard, un procureur lui a rendu visite pour enregistrer son témoignage sur la torture. Après l'assassinat de M. Khashoggi, l'Arabie saoudite a fait valoir que les fonctionnaires commettaient parfois des erreurs et abusaient de leur pouvoir. Pourtant, nous attendons toujours que justice soit faite.

J'aurais préféré écrire ces mots en arabe, dans un journal saoudien, mais après son arrestation, les journaux saoudiens ont publié son nom, ses photos et l'ont traitée de traître. Les mêmes journaux cachaient les noms et les photos des hommes qui risquaient la peine de mort pour le meurtre de M. Khashoggi. Aujourd'hui encore, je suis déchirée d'écrire sur Loujain, effrayée à l'idée que parler de son calvaire puisse lui faire du mal. Mais ces longs mois et l'absence d'espoir n'ont fait qu'augmenter mon désespoir de voir l'interdiction de voyager imposée à mes parents, qui sont en Arabie saoudite, révoquée et de voir ma brave sœur libérée.


 Alia Al-Hathloul vit à Bruxelles.

12 janvier 2019

La malédiction d'Orphée


"L’important, c’est de sortir de sa zone de confort. Il ne faut pas nier sa provenance sociale et culturelle mais ne pas non plus laisser ses origines devenir un destin."
                        Raphaël Glucksmann


Rien n'est jamais joué. Comme le note avec sagesse Jean-François Billeter "ce que l'on n'a pas reçu au début de la vie, il ne faut pas l'exiger plus tard, mais le donner. C'est une faute de l'exiger comme un préalable à tout échange, pire encore d'en faire un motif de rétorsion ou de vengeance. Il faut donner, réamorcer l'échange. J'en connais qui ont raté leur vie faute d'avoir compris cela." 



Lu dans:
Raphaël Glucksmann. Les Enfants du vide, de l’impasse individualiste au réveil citoyen. Ed. Allary. 2018. 224 pages.
Jean-François Billeter. Une autre Aurélia. Editions Allia. 2017. 96 pages. Extrait 1138 de l'éditon Kindle.

11 janvier 2019

Les gardiennes du temple

"Je la remets sur son dos, je savonne et je rince, précautionneusement.  Je connais son corps par cœur. Son corps qui a tant aimé Lucien. Nous, les aides-soignantes, nous sommes les gardiennes du temple des amours passées."
                    Valérie Perrin

L'intimité que procure les soins aux personnes, essentiellement pour ces gestes simples que sont la toilette, la gestion des incontinences, les soins d'escarres, les soins esthétiques élémentaires qui font du bien ne connaît guère la valorisation qu'ils méritent. Elles sont pourtant essentielles à la dignité humaine des plus faibles, et leur permet de rester bien dans leur corps quelle que soit sa déchéance. Lors des visites en maison de repos et de soins, à l'hôpital, à domicile lorsque mes pas croisent les équipes infirmières, la question m'effleure souvent: que ferons-nous le jour où ces personnes humbles et efficaces se mettront en grève prolongée pour défendre leur profession?



Lu dans:
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017. 416 pages.

09 janvier 2019

Mais où (qui) est donc Soren ?

"Combien de vies dans une vie ?
C’est comme demander combien de pièces
dans un puzzle. "
             F. Dannemark. Une fraction d'éternité. 2005

Mais où (qui) est donc Soren ? Personne ne l'a revu depuis ce soir-là, il traversait un pont. Un mois pour traverser un pont c'est long... Le dernier et beau livre de Véronique Biefnot et Francis Dannemark, tente de percer la complexité d'un ami disparu. Dès la première page, on part dans une longue traque pointilliste donnant la parole à une foule d'amis et familiers de l'absent, ils sont plusieurs dizaines - en autant de chapitres courts - comme nos rencontres dans la vraie vie. Question éternelle de ce qui survit quand on disparaît: la somme des empreintes laissées dans le regard de nos proches, tous si différents, ou notre propre image multiple, aux facettes changeantes dans le temps, l'espace et les rencontres de la vie? Dès le départ de l'intrigue naît pourtant comme une évidence "que ce Soren insaisissable est vivant", contre toute vraisemblance judiciaire, comme on pressent une présence dans son dos dans une chambre occultée. Toute cette vie foisonnante, faites d'amours, de musiques, d'écriture, de rêves et d'échecs, ne peut s'être terminée sur pareil malentendu d'un pont mal enjambé, volontairement ou non. Cela peut être long, un pont, et mener loin, on effleure l'allégorie d'un passage vers autre chose. Le dénouement est superbe, pareil à la vie qui se déroule de la manière la plus inattendue qui soit. Tant d'indices annoncent la fin de l'histoire et soudain - comme dans Prince of Persia - derrière l’infranchissable muraille s'ouvre une nouvelle route. "Ce qui reste, c’est ce qui vient" comme le suggérait Maurice Bellet cité en exergue, et qui sait, un autre ouvrage débute peut-être à l'autre bout du pont. Bref, pas pour lecteurs paresseux, une "grosse bouchée" comme disent si bien les Québecois, qui se lit goutte à goutte, Petit Poucet qui sème des cailloux, laisse des images, des sons, des senteurs durables, et suscite l'émerveillement devant l'appel de la vie qui sans cesse recommence et se réécrit.


Lu dans:
Sort en librairie ce 10 janvier 2019.
Francis Dannemark, Véronique Biefnot. Soren disparu. Le Castor Astral. 2019. 250 pages. Extrait p.160
https://www.castorastral.com/livre/soren-disparu/
http://www.francisdannemark.be/biefnot-dannemark/

La guerre est finie


"Avant de s'endormir, madame Gentil m'a raconté ce qu'elle nous raconte depuis des mois à Jo, Maria et moi. C'est toujours la même histoire : elle est née en 1941, sa famille vivait dans la cave de la maison pour se protéger des bombes. Elle entendait les sirènes et les avions quand ils passaient dans le ciel. Un matin, elle s'est réveillée dans une chambre inconnue. Il y avait des fleurs sur la tapisserie et de grandes fenêtres traversées par le soleil. Elle a pensé qu'elle était morte, qu'elle était au paradis. En vérité, la guerre était finie et ses parents l'avaient montée d'un étage dans la maison pendant qu'elle dormait."
             Valérie Perrin

De combien de patients aimerait-on pouvoir clore la consultation par un sobre "allez, la guerre est finie", débouchant sur une chambre avec des fleurs sur la tapisserie et de grandes fenêtres traversées par le soleil. Patients en guerre permanente contre un affection qui les mine, contre leur enfance refoulée, contre les incertitudes des changements d'âge ou d'orientation professionnelle. Jeunes papas traqués par l'absence d'image de ce que serait un père, jeunes mamans femmes d'ouvrage sur les quais de Ouistreham courant "d’une chose à l’autre, maladroites, toujours en retard d’un reproche" (F. Aubenas), ados en rupture d'école, profs en rupture d'eux-mêmes, vieillards fatigués d'attendre une issue qui se dérobe. Le plus étrange? Le plus étrange étant sans aucun doute que tous ces êtres écorchés, peinant dans une existence difficile, craignant pour leur avenir et celui de leurs enfants, soient absolument normaux et qu'on les croise chaque jour dans nos rues, les saluant d'un joyeux bonjour ou d'un souhait de bonne soirée. Ni pauvres, ni laids, ni voûtés, ni habillés de cendres, ni tristes de visage ou de récit, ils sont les citadins multiples de nos villes, les passants de nos rues. Le courage de vivre au quotidien est une vertu bien partagée.
 

Lu dans:
Valérie Perrin. Les oubliés du dimanche. Le Livre de Poche. 2017.  416 pages. Extrait p.377

08 janvier 2019

Le choix de Symcha Turk


"Le comportement de Symcha Turk, citoyen de Zolkiev, peut être cité en exemple du dévouement d'un père et d'un mari. Les Allemands lui avaient dit que lui, en tant que professionnel, pouvait être sauvé, mais à condition qu'il abandonne sa famille. En réponse, il prit ostensiblement la main de sa femme d'un côté, celle de son enfant de l'autre, ainsi unis ils marchèrent vers la mort la tête haute."
                                         Gerzson Taffet
 
Symcha Turk imagina-t-il un instant à quel point le récit de son choix a pu interpeller 60 ans plus tard le lecteur anonyme que je suis. L’instantanéité de la décision à prendre ne peut se concevoir qu'au prix d'une longue maturation des priorités que l'on se donne quant à ses choix de vie, privilégiant dans le cas présent la dignité et les liens que crée un long parcours de confiance réciproque à une survie dans la servilité. Pareil récit ne peut que nous aider à mûrir nos propres convictions personnelles.

 
Lu dans:
Philippe Sand. Retour à Lemberg. Albin Michel. 2017. 544 pages. Extrait p. 414
Gerzson Taffet. Holocaust. The Jews of ZoIkiew.

07 janvier 2019

La petite fée Espérance


"Il reste des mots inscrits sur les branches du bonheur."
                François Cheng
 
Une à une les guirlandes lumineuses s'éteignent pour une longue année. Les municipalités organisent des feux  de joie alimentés par les sapins récoltés, et déjà pointent les soldes. 2019 s'ébroue après une débauche de feux d'artifices dignes des années exceptionnelles de progrès et de prospérité. Qu'on soit loin du compte est apparu comme soudain négligeable, par temps d'incertitude tout ce qui fait fête est bon à prendre. Compteurs de l'année à zéro, on se prend à espérer que les petits bonheurs sauront rendre leurs couleurs à des semaines annoncées comme moroses. La petite fée Espérance, sortie la dernière de la boîte de Pandore, supplante toutes les autres.
 
Je vous souhaite une bonne année 2019
CV.
 
Lu dans:
François Cheng. Enfin le royaume. Quatrains. Gallimard NRF. Coll. Blanche. 2018. Édition du Kindle. p.247