24 décembre 2018

Fugace comme l'oiseau


"Je suis heureux et rien n'en est la cause."
                Christian Bobin


C'est aussi fugace et inattendu qu'un oiseau de paradis qui pénètrerait dans le salon, par une soirée ni meilleure ni pire que d'autres. Est-ce la flambée dans le feu ouvert, le vieux Chivas, la nocturne de Chopin, les quelques lignes de Spinoza glanées dans Frédéric Lenoir, l'époque de l'année ou le hasard qui tisse un fil entre ces ingrédients minimes? Une fraction de temps s'impose l'évidence: on est bien. Et l'oiseau s'envole, le 23 décembre passe la main au 24, pas la peine d'en faire un traité philosophique: la vie comme elle va a ses pépites, et personne ne sait qui les jette, ni s'il y en aura d'autres, ni quand.

 
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Christian Bobin. Le monde des Religions. Entretien, nov.-déc.2013.
Frédéric Lenoir. Du bonheur: un voyage philosophique. Fayard. 2013. 240 pages.  

23 décembre 2018

Trêve des confiseurs


"Ce moment qui n'est plus le voyage     et pas encore l'arrivée   
quand le train qui déjà ralentit
est passé de la nuit noire aux avenues de banlieue.(..)
Nous sommes encore là     déjà nous sommes ailleurs
le voyageur impatient dans le train descend sa valise
et s'en va attendre l'arrivée debout dans le couloir     déjà prêt à descendre."
                                Claude Roy

2018 arrive en gare, étrange période d'une dizaine de jours en points de suspension, où on laisse l'année s'éteindre. On est là , et déjà ailleurs, aveuglés par les illuminations et les feux d'artifices. On se souhaite le meilleur pour l'an qui vient, participant à la course fiévreuse aux emplettes. On feint d'y croire, Obama fera l'intérim de Trump, Theresa May deviendra présidente de la Commission de l'UE, Theo Francken président de Groen. On se compte: demain on sera 14 à s'embrasser sous le gui, ou 40, ou seuls. On est nombreux quand on est seuls, mais cela se cache. Mais je vous laisse, car il est temps de descendre, le quai attend les voyageurs qui se pressent vers leurs destinations incertaines, se hâtant même si personne ne les attend et qu'ils ne savent où aller. Les fêtes de fin d'année, ce rite de passage.  

 
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Claude Roy. Le voyage d'automne. NRF. Gallimard. 1987. 115 pages. Extrait p 23

21 décembre 2018

L'image de soi-même

« Quand je me suis réveillé, je me suis juste dit que c’était un rêve. J’avais tout oublié, tout effacé, j’ai même dû consulter Google pour voir qui j’étais, ce qui m’était arrivé. »
                 Stig Broeckx

Stig Broeckx a traversé 5 mois et 20 jours de coma suite à un accident de course cycliste en 2016,  Au réveil un échange verbal, un partage de regards et d'émotions muettes sont déjà une victoire, doublé de la nécessité de tout réapprendre: communiquer en clignant des yeux, manger, parler, se tenir en équilibre, marcher et tout récemment refaire du vélo. Amnésique, il consulte Google afin de redécouvrir qui il était. Où se chercher quand on s'est perdu, comment se reconstruire? A défaut d'une identité, la retrouver au départ d'images externes que nous avons laissées sur les réseaux sociaux ou sur Google? Qui sont mes amis, qui est ma famille, quels étaient mes rêves avant. On peut rester en vie en ayant perdu le fil de sa vie: à quel moment suis-je moi, celui qui a été ou celui qui vient? 


Je vous souhaite une bonne semaine. Comme me le glisse un de mes mails ce matin, à partir d'aujourd'hui, tout dans la nature va se tourner à nouveau vers le soleil...
CV.

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Stig Broeckx, miraculé après 5 mois de coma.  Eric Clovio. Le Soir 21 décembre 2018. p. 27

20 décembre 2018

Quand la fiction devient information


« J’avais peur de l’échec. Plus mon succès grandissait, plus cette peur de l’échec augmentait »
                        Claas Relotius, grand reporter au Der Spiegel

Cela commence comme un conte de fées. Récompensé par les prix médiatiques les plus prestigieux, dont le « Journalist of the year » de CNN en 2014, inscrit par Forbes sur la liste des 30 personnalités médiatiques les plus influentes d’Europe, Claas Relotius, grand reporter au prestigieux magazine Der Spiegel recevait le 3 décembre dernier le prix du meilleur papier de l’année pour un reportage en Syrie. Les jurés avaient notamment souligné la qualité des sources pour son travail journalistique. "En réalité, tout était faux. Les citations, les lieux, les scènes, les gens étaient inventés. Certains de ses reportages étaient parfaits, bien recherchés. Mais d’autres étaient entièrement inventés», a reconnu le magazine Der Spiegel ce mercredi.

Nul ne peut se réjouir d'une duperie, a fortiori quand elle touche ceux qui ont pour mission de nous informer. La proximité entre le meilleur et le pire, l'attrait du vide quand on atteint les plus hauts sommets, l'angoisse que cela ne dure nous interpellent pourtant. Nos failles s'accroissent avec la grandeur du projet qui les porte, et la faillite de ce grand reporter rappelle à bien des égards les récents suicides inexpliqués de chefs de cuisine prestigieux et étoilés au sommet de leur gloire. Que le Capitole ne soit guère éloigné de  la Roche tarpéienne ne vaut pas que pour les hommes politiques mais nous concerne tous.

  
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Christophe Bourdoiseau. Le grand reporter du Spiegel était un imposteur. Le Soir du 20 décembre 2018.

18 décembre 2018

Le frémissement de l'instant incertain


"La soirée devait être retransmise dans toute la France, et sur le podium on s'affairait. On répétait les acclamations et applaudissements, on répétait aussi les morceaux, tous en play-back sur une bande audio. La Fête de la musique allait donc se résumer à une suite de poses répétées sur fond de karaoké. Plus tard dans la soirée, sur le cours Julien, pendant que je savourais un rhum-citron en terrasse, un jeune homme mal peigné, mal sapé et sans contrat jouait du saxophone sur un seuil, une sorte de jazz improvisé, superbement chaloupé, à l'arrière-goût mélancolique, offrant plus de musique dans son chant égaré que toute la méga-soirée télévisée à venir. Pour moi, tout le charme de la vie est dans le frémissement de l'instant incertain."
                                    Elisa Brune


Une fin d'après-midi d'octobre, à Ronda en Andalousie, une femme inconnue s'est mise à danser sur une mélodie de Kendji Girac jouée à la guitare par un inconnu. Ils ne se connaissaient guère, et l'initiative était aussi incertaine qu'improvisée. Pur moment de grâce comme l'existence nous en accorde à profusion, que je ressentis comme un rayon d'éternité. Ce matin, entre deux visites, deux hérons s'invitent à mon regard. Immobiles et gracieux sur leurs pattes élancées, je savoure ce moment de grâce inattendu. Soudain ils prennent leur envol, en couple, un départ de voyage de noces, légers comme le ciel de ce mi-décembre. Cette légèreté m'interroge: l'impression de bonheur que ce couple gracile dégage est-elle illusion pure? Et leur fragilité face aux périls qui les entoure est-elle plus grande que la mienne? Comme eux, ma survie n'est qu'à un battement de cœur d'un retour au rien initial, et mon bonheur a la fragilité d'une boule de Noël. Leur apparition soudaine dans ma journée, comme la danseuse de Ronda il y a cinq ans, appartient à ces étincelles qui nous font quitter un moment le mode Pause dans lequel notre existence se complaît pour découvrir un frémissement de vie qui en fait la richesse.



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Elisa Brune. Tant pis, je fonce: 55 façons de s'ouvrir au possible. Odile Jacob. 2018. 176 pages. Extrait p.30

17 décembre 2018

Dernier de cordée


" L’alpiniste apporte du sens lorsqu’il montre qu’il tient davantage à la vie des autres qu’à la sienne, lorsqu’il démontre qu’un groupe humain progresse au rythme du second, du troisième... que le plus bel exploit est toujours celui du dernier de cordée."
                    Philippe Descamps


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Philippe Descamps. Dernier de cordée. Le Monde diplomatique. janvier 2018. p. 28 

16 décembre 2018

à mots comptés


"Il guette le jour qui se lève
à chaque escale un nouvel horizon
à vingt ans on rêve d'Amérique
à quatre-vingts d'arriver chez le fleuriste
le désir est pareil."
                        C.V
Les éditions Eranthis me font le cadeau d'éditer, après Le Carnet Moleskine (2011), un second petit recueil de textes courts "à mots comptés". Ces mots et phrases courtes qui parsèment nos journées, fruit de notre imagination ou de nos rencontres. Ces mots aux ailes de papillon qui nous enchantent, nous emportent vers d’autres réalités pour se nicher ensuite dans les recoins secrets de nos âmes. Pour les partager, il faut les capturer au filet léger de l’écriture, les entourer de silence et de quelques images de beauté. Comme le souligne avec délicatesse Bérengère Deprez "tout en pudeur et en gravité, avec une pointe d'humour, de mélancolie, d'ardeur, de dérision, ces mots comptés finissent par comp­ter, par camper dans les esprits. Les photographies de l'auteur leur font contrepoint, et alors s'élève un chant léger sur la basse continue de la vie."  Mots et illustrations ne sont que vent et vide s'il ne se trouve des artisans éditeurs pour leur donner le support d'encre et de papier choisis, le format qui tienne dans la paume de la main, le talent de placer la bonne phrase au meilleur endroit et de partager leur enthousiasme pour lui donner vie au moment précis où c'est Noël. L'édition d'un livre est une naissance et un cadeau.

Merci à Bérengère Deprez dont l’œil amical et critique est un support précieux. Merci à la super équipe de la Ciaco de Louvain-la-Neuve (i6doc.com) dont la gentillesse et l'enthousiasme font chaud au cœur.


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Carl Vanwelde. À mots comptés. Eranthis 2018. 88 pages. Extrait p.51. Voir.

Vient de paraître. En vente (16 €) dans les bonnes librairies selon l'expression consacrée et aux éditions Eranthis (https://www.i6doc.com/fr/book/?gcoi=28001100039840). Quelques exemplaires personnalisés sont également disponibles  chez l'auteur (carl.vanwelde@uclouvain.be) pour les lecteurs fidèles d' Entre Café et Journal, exemplaires en nombre limité dont la vente bénéficiera intégralement au centre de santé de Malem-Hodar (Sénégal).  

15 décembre 2018

Si l'oiseau ne chante


"Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe."
             Jacques Prévert

 

"On les appelle gluaux, baguettes recouvertes de glu, longues de quelques 70 centimètres, destinées à être fixées sur des branches d’arbres, d’arbustes ou au sommet de grandes perches basculantes (quatre mètres de haut), appelées cimeaux, que l’on redresse an que les gluaux se trouvent au niveau de la cime des arbres. Le principe de la chasse à la glu est simple : grives (quatre espèces sont ciblées : la grive musicienne, draine, mauvis, litorne) et merles noirs se posent sur ces pièges englués. Le chasseur vient les décoller et les nettoyer à l’aide de cendres ou, plus souvent, d’un dissolvant. Le petit oiseau – la taille varie de vingt à trente centimètres selon l’espèce, et le poids n’excède pas 100 grammes – est alors mis en cage. Il servira d’appelant pour attirer, en chantant, d’autres grives, et permettre aux chasseurs de les tirer. Cette chasse se pratique de l’aube, une heure avant le lever du soleil, jusqu’à 11 heures. "


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La chasse à la glu jugée cruelle par les défenseurs des oiseaux. Le Monde 14 décembre 2018. Planète. p.5

14 décembre 2018

Pensée légère


"Aimer, c'est laisser être."           
                     André Comte-Sponville

13 décembre 2018

Métamorphose du quotidien


"Je vais prêter mon appartement à des amis pendant une semaine, raison pour laquelle je m'oblige à le pomponner, et en un seul week-end j'enchaîne tous les petits travaux qui traînent depuis des mois ou des années (la lampe cassée, l'étagère qui manque, le tapis troué, la douche bancale...). Dans la foulée, je trie les amoncellements en souffrance, je modifie la déco (bonjour les idées saugrenues), sans parler du ménage hautement attendu, et au final l'endroit est méconnaissable, quasi prêt à parader dans un magazine. Pourquoi l'ai-je fait pour eux et pas pour moi? Voilà la question qui me turlupine. (..) Pouvoir se passer des invités, du plombier ou de l'éditeur pour maintenir l'appartement habitable, le physique en forme et le travail à flots ? Demain, je ferai comme si j'avais des invités. Mieux, demain, je serai ma propre invitée."
                Elisa Brune

Lu dans:
Elisa Brune. Tant pis, je fonce: 55 façons de s'ouvrir au possible. Odile Jacob. 2018. 176 pages. Extrait pp. 41, 43

11 décembre 2018

Sagesse


"Quatre choses ne reviennent jamais en arrière:
        le temps passé,
        la pierre lancée,
        le mot prononcé,
        l'occasion manquée."
                    Lucía Etxebarria de Asteinza (1966- )   Le Contenu du silence (2012) 
 

10 décembre 2018

Sagesse de Léon Tolstoï


"Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon. "
                        Léon Tolstoï. Anna Karénine

Ainsi commence Anna Karénine, première phrase d'une oeuvre monumentale de Tolstoï à un moment de sa vie particulièrement éprouvant. Ce qui est vécu se décrit avec justesse.

09 décembre 2018

Petites impostures


"La tentation de rappeler le grand rôle qu'on a pu jouer  en de petites affaires."
                        Pierre Hebey

Tentation permanente, à laquelle le médecin n'échappe pas. S'attribuer le mérite d'une guérison dont le patient a bénéficié par sa bonne nature, ou par la patience du Temps ce grand guérisseur, constitue une petite imposture dont nous ne sommes pas dupes. Pourquoi en faire tel usage, si ce n'est par besoin permanent de réassurance, par petite vanité et surtout besoin d'être aimé et admiré?  Les plus grands maîtres restent de petits hommes.



Lu dans :
Pierre Hebey. Le goût de l'inactuel. NRF. Gallimard. 1998. 222 pages. Extrait p.76   

08 décembre 2018

Ces notes de pain grillé et de cuir


"En été j'ignorais encore
combien sans toi..."

La phrase d'hier me vaut ce beau texte de méditation sur le deuil professionnel, que bien de nos amis auraient pu m'écrire et que je ne peux m'empêcher de vous partager avec l'accord de son auteur.


"Deuil d'un être cher. Deuil d'une situation professionnelle terminée. Tu voudras bien excuser l'appropriation de ton beau texte pour ma situation personnelle, mais tu devines le poids pour moi d'avoir arrêté de travailler et la nécessité de combler le vide de cette perte, perte de la présence des travailleurs vus chaque jour, de leur regard, de leur présence, perte aussi de ces milliers de lettres, fax, mails des consommateurs criant leur désarroi et des conclusions de médiations souvent positives que je leur signifiais. Aujourd'hui, cela fait quatre jours que je mets ma cave à vin en ordre. Cette descente dans la cave est une sorte de descente en soi. Chaque bouteille prise en main, chaque bouteille retrouvée, évoque le souvenir du vigneron rencontré mais aussi le potentiel d'une dégustation avec des proches dans le futur. Chaque bouteille est un pont entre le passé, un peu mort car enfermé dans une bouteille, et le futur des saveurs qui nous saisiront le nez et permettront d'évoquer le pays du vigneron, les senteurs de son pays et les paroles qu'ils nous a dites. Chaque bouteille, non à la mer mais dormant dans ma cave, soigne le deuil de la rupture. Ce soir, D. et moi-même avons ouvert une bouteille de 2003 du pays du Pic Saint Loup dans le Languedoc. J'ai écrit un mail au vigneron pour le bénir d'avoir mis dans cette bouteille des saveurs épicées, de thym, de safran, de girofle mêlées à des notes de pain grillé et de cuir...  Établir des ponts, en acte ou en pensée, boire ensemble une bouteille remplies de messages du passé... et le deuil devient supportable."

Il y a mille manière de boire, mais celle que suggère cet ami cher me convient.

07 décembre 2018

L'hiver de l'absence

"En été j'ignorais encore
Combien sans toi
L'hiver est long et le lit froid."
            Antoinette Dalcq

Sans aucun doute, une des plus belles choses qu'il m'a été donné de lire sur le deuil.




Lu dans:
Antoinette Dalcq. Nommer les choses comme Adam. Ed. J.Dieu-Brichart. 1988. 56 pages. Extrait p.33

06 décembre 2018

Où est passé le Baiser?


"Oublier ce qui n'est jamais advenu."
                    Françoise Lefèvre

On fait des rêves grands comme ça, on rate le train pour Paris et on arrive en banlieue. Au mur de sa chambre, une reproduction du Baiser de Hayez attirait mon regard de longue date. Elle était âgée, seule et semblait en attente. Son ardent la rejoindrait, à coup sûr, le moment venu, dès qu'il serait libre, mais sa femme était souffrante et on ne quitte pas une malade. Un jour le Baiser a disparu, laissant une trace délavée sur le papier vieilli. J'appris par mon journal qu'un notable s'était donné la mort après avoir perdu son épouse. Les hommes promettent tant de choses.


Lu dans:
Françoise Lefèvre. Se perdre avec les ombres. Ed. du Rocher. 2004. 202 pages.  Extrait p.22

04 décembre 2018

Sous les pavés la grogne


« La France, pays où la tentation révolutionnaire n’est jamais loin et fait partie de l’identité au même titre que drapeau et l’hymne national, flirte avec la crise politique. (..) Le président français n’a toujours pas trouvé la formule pour désamorcer une révolte dont le cri le plus répandu lui est opposé : “Macron, démission”. L’un des graffitis tagués sur l’Arc de triomphe était « Pour moins que cela, nous avons coupé des têtes. »   
                               El País

Amusante observation du grand quotidien espagnol, dont le pays n'a pourtant guère été épargné par les manifestations géantes ces dernières années. Certains comparent la situation actuelle aux émeutes de Mai 68. Nuance, les graffitis sur les murs étaient tout de même plus inspirés ("sous les pavés la plage", "il est interdit d'interdire", "participons au balayage: il n'y a pas de bonnes ici"), témoignant d'une créativité que permettait une société en croissance continue avec une jeunesse sans inquiétude métaphysique pour son avenir. 
 

La mémoire des doigts


"Je ne sais pas pourquoi
Cette mélodie me fait penser à Chopin
Je l'aime bien, Chopin
Je jouais bien Chopin
Chez moi à Varsovie."
         Bécaud. Le pianiste de Varsovie.

Moment de grâce. Je termine mes écritures aux Jardins de la mémoire, quand me parviennent quelques notes de Chopin. Dans sa chambre, une résidente nonagénaire dont la mémoire s'est perdue joue. Son piano est le seul compagnon rescapé de sa vie antérieure, et il me semble qu'elle lui confie le récit de son existence, et ce qu'elle en espère encore. Ses compagnes d'étage sont en ergothérapie, rêvassent assises en cercle  ou écoutent de vieilles chansons des années 50, elle joue Chopin et Varsovie. Je reste un moment, intrigué par ces doigts qui courent sur le clavier, agiles, et la mémoire intacte de ces notes venues de l'origine de sa vie. Et si, vieillissant, l'essentiel n'était pas ce qu'on perd mais ce qu'on conserve, qui sans doute représente le meilleur de nous-même? Soudain elle découvre ma présence, sourit, sort une partition jaunie et entame "Couleur Tendresse" de Richard Clayderman. On ne saurait mieux résumer ma matinée.

02 décembre 2018

Une vie de senior


"Je me retrouve donc avec la carte Senior qui me donne le droit de voyager avec une réduction de cinquante pour cent, parfois, de vingt-cinq pour cent, toujours. Dans tous les pays d'Europe. À partir de ce jour, à chaque fois que j'achèterai un billet, je serai contrainte de prononcer le mot senior."
                        Françoise Lefèvre

... et dans tous les musées et expos, avec une précipitation diligentée par la crainte de voir les billets imprimés sans la ristourne par une préposée trop rapide. Laquelle lèvera sur nous un regard amusé: "et vous croyez peut-être que cela ne se remarque pas?"

Lu dans:
Françoise Lefèvre. Se perdre avec les ombres. Ed. du Rocher. 2004. 202 pages.  Extrait p.58