30 juin 2018

Sagesse du compagnon bâtisseur


"J’ai dit         Je suis prêt à toutes les questions
on m’a demandé l’heure."
          Abbas Kiarostami, cinéaste et peintre iranien

On sourit devant pareille autodérision. La modestie sied aux hommes comme l'anonymat va bien aux cathédrales. Aucune signature de personnage célèbre n'est associée à leur édification. Il n'y a que les pierres qui ont été déposées, pas les noms. Seuls, dissimulés dans les murs, les voûtes et les colonnes, quelques symboles sobres marquent une pierre d'angle, l'orientation à donner à la pierre pour éviter son effritement précoce, une technique innovante utilisée. Clin d'oeil du compagnon à celui qui poursuivra son oeuvre, en l'améliorant.

28 juin 2018

Flux migratoires


"Si l’on exclut la traite des esclaves à son point culminant, ce mouvement de masse de peuples et de personnes est maintenant plus important qu’il ne l’a jamais été. Il implique la distribution d’ouvriers, d’intellectuels, de réfugiés, de commerçants et d’armées, traversant tous océans et continents, que ce soit en passant devant les douanes ou par des voies clandestines, accompagnés de récits multiples racontés dans les langages multiples du commerce, de l’intervention militaire, de la persécution politique, de l’exil, de la violence, de la pauvreté, de la mort et de la honte. Il fait peu de doute que le déplacement volontaire ou involontaire de personnes dans le monde entier règne à l'avenir sur les ordres du jour des États, des conseils d’administration, des quartiers et des rues.
            Toni Morrison,  au Louvre en 2006."

Un jour les nomades devinrent bergers, la culture remplaça la cueillette des fruits sauvages, l'élevage la chasse, et on traça des frontières pour vivre en paix. En reviendrait-on insensiblement à une époque de nomadisme, bien décrit par Morrison dans un texte prémonitoire, volontaire ou involontaire, de survie ou de croissance, pacifique on guerrier, avec possibilité de retour ou exil définitif? Élargir le débat des flux migratoires en considérant toutes ses composantes transforme un problème de plomberie en un débat de société quasi philosophique qu'on ne saura longtemps esquiver. Le bonheur humain repose-t-il dans la stabilité, le droit du sol, la tranquillité ou dans le mouvement, l'inconnu et le risque du partage? 

Lu dans:
Toni Morrison. Prix Nobel de littérature 1993. Conférence au Louvre le 6 novembre 2006.
cité par Christiane Taubira. Baroque sarabande. Ed Philippe Rey. 2018. 173 pages.

La vie et ses veines


"La vie avec ses veines, ses artères, ses os qui craquent, sa chair, ses crises de nerfs, ses injustices et ses merveilles."
                    Christiane Taubira

Vies multiples dans une vie, vies multiples dans une rue, la vie telle qu'elle se raconte jour après jour. La vie comme une page blanche à chaque lever du jour qui nous est donné, faisant table rase d'hier et de l'an passé.

Je vous souhaite une belle journée. Qui sait?
CV

Lu dans :
Christiane Taubira. Baroque sarabande. Ed Philippe Rey. 2018. 173 pages.

27 juin 2018

Les mots semences


"Parfois je crois surprendre un écho dans l’oreille
de ces mots murmurés        que des voix de jadis
depuis longtemps perdues
disaient presque en silence.
Ainsi suinte la pluie de campagne en automne
à travers les feuilles mortes     avec tant de patience
puis s’enfuit goutte à goutte dans la terre
comme fait la semence."
        Claude Vigée

Hasard des lectures, je découvre dans la foulée de Claude Vigée et de Pascale Seys ces deux courtes réflexions sur les mots qu'on écrit le soir à ceux qu'on aime, porteurs du bien qu'on leur souhaite. "La qualité, la précision et la justesse des mots que l’on s’échange entre humains sont déterminantes. Même si certains se paient de mots et de grandes phrases, les mots – surtout les mots très simples – nous permettent de mieux vivre. C’est vrai du mot gentil, c’est vrai du «bonjour» du matin, du «merci» ou du «pardon», c’est vrai à plus forte raison du mot doux ou du mot d’amour, surtout du mot écrit à la main et laissé sur un coin de table ou caché dans un coin insolite de la maison. Parce que les mots, à la différence du rien et parfois du silence, font chanter le réel." (Pascale Seys)

Lu dans:
Claude Vigée. L'homme naît grâce au cri : Poèmes choisis. 1950-2012. Points Poésie. 2013. 336 pages.
Pascale Seys. Et vous, qu'en pensez-vous ? Philosophie vagabonde sur l'humeur du monde. Racine Lannoo. 2018. 200 pages 

25 juin 2018

L'intranquillité


«Le penchant naturel vers la sécurité, la perfection et la certitude est biologiquement nécessaire, mais il devient un facteur de destruction s'il nous fait éviter tout risque d'insécurité, d'imperfection et d'incertitude. Les dangers qui accompagnent le changement, le caractère inconnu des choses qui arrivent, l'obscurité de l'avenir, tout cela contribue à faire de l'homme un défenseur fanatique de l'ordre établi. »
                        Paul Tillich



Lu dans:
Paul TILLICH. Le Courage d'être. Genève, Labor et Fides. 2014. 220 pages. Extraits p. 105, 107

La pierre philosophale

"Je ne connais personne qui demanderait conseil à Hamlet."
            Jennifer Grotz. The Nunnery

On connaît le célèbre final de la pièce de Shakespeare, Hamlet s'interrogeant seul en scène "Etre ou non? Comment être, voila la question. (./.) Mourir, dormir / Dormir / rêver peut-être / se fondre dans le néant / de ce sommeil qui nous tient en suspens."
Bigre. Aux trois grandes interrogations philosophiques "qui suis-je, d'où viens-je, où vais-je?" le simple répond laconiquement "je suis Jean Dupont, je viens du travail et je rentre chez moi." Guère moins sage que la moyenne de ses contemporains, il vit ce mois au rythme de la Coupe du monde et de son équipe diabolique dans un petit pub de la place communale. Parfois je les envie.


Lu dans:
Adam Phillips. La meilleure des vies. Éloge de la vie non vécue. Éd. de l’Olivier. 2013. 224 pages. Extrait p.11 (Exergue)

23 juin 2018

Sagesse d'Aimé Césaire


"Tous les hommes ont mêmes droits. Mais du commun lot il en est qui ont plus de devoirs que d’autres".
                        Aimé Césaire

Qu'en peu de mots, la réalité du monde peut se décrire.


Lu dans:
Christiane Taubira. Baroque sarabande. Ed Philippe Rey. 2018. 173 pages.
Aimé Césaire. La Tragédie du roi Christophe. Théâtre. 1963.

22 juin 2018

Sagesse de François Cheng

"Que par le long fleuve on aille à la mer
que par le nuage-pluie on retourne à la source
Toute vague cède à l’appel de l’estuaire
et tout saumon à l’attrait du retour."
                    François Cheng


Lu dans:  
François Cheng. Enfin le royaume. Quatrains. Gallimard NRF. Collection Blanche. 160 pages.

20 juin 2018

Relisant Virgile


« Quel grief aura amené un homme d’une telle piété insigne à parcourir un pareil cycle de malheurs, à affronter autant d’épreuves ? »
                    Virgile. L'Enéide

20 juin, Journée mondiale des réfugiés. Vingt siècles plus tard, comme écrit à la première ligne de l'Enéide, l'exilé reste une réalité. Ils sont 68,5 million en 2017, l'équivalent de la France, de l'Italie ou du Royaume Uni. Imaginer la France vide, sa population répartie sur les routes, la mer et les ports. 


Lu dans :
Yann Moix, Dehors. Grasset. 2018. 368 pages. Extrait p.15

La belle étoile


Moment magique où la nature vous veut du bien, invitant à passer une nuit à la belle étoile enroulé dans le manteau d'un soir de printemps. Loin du monde et proche en pensée de ceux qu'on aime. Réveillé tôt, je guettais le chant du premier merle. Ce fut celui d'un avion migrateur rejoignant le Sud. Elancé, étoile lumineuse traçant sa route, il ne déparait en rien la voûte céleste. J'étais heureux.

18 juin 2018

L'arbre abeille


"Les tilleuls, ces arbres savoureux, sont aimés des abeilles; et leur puissant murmure qui s’amplifiait dans le soir semblait la voix même de l’arbre."
             Pierre Michon

Mystérieuse alchimie qui unit le sort d'un arbre et les abeilles butineuses qui en vivent, et le font chanter. En s'en nourrissant elles le fécondent, à notre image sur notre planète mère. 


Lu dans:
Pierre Michon. Vies minuscules. Gallimard. Folio. 1996. 246 pages

17 juin 2018

Escales


"Tu te promènes seul le long des quais
et tu médites sur les fondements de la République
au loin deux voiliers prennent le vent du large
Aux cris des mouettes
les journaux annoncent
les dernières mesures gouvernementales
    en matière de sécurité publique
Les valeurs boursières sont en baisse
La poudre aux yeux
moi j’écoute Berlioz en regardant la mer."
            Paul Tojean

C'était une crique minuscule dans une île grecque. Le voilier a jeté l'ancre, juste avant la nuit. Soudain du rivage s'élèvent les premières notes de la Symphonie du Nouveau Monde. Clapotis des vagues, douceur de l'air, étrangeté du lieu, une impression d'éternité et de plénitude.  Tout part de l'étonnement, de l'émerveillement, une des formes de joie les plus pures qu'on puisse connaître. Les amis chers qui nous ont partagé ce moment unique ont abandonné la voile, mais le souvenir est vivace.  Les bateaux ça sert  à voyager, mais pas qu'en mer: les images laissées sont des escales sur lesquelles le temps n'a pas prise. 


15 juin 2018

Ce qu'est la vie des hommes

"Si vous voulez savoir
ce qu’est la vie des hommes
cherchez à retrouver
quand la mer se retire
les traces des passants
sur le sable mouillé."
            Lou Yeou, 1125-1210, surnommé Fangweng, « le vieillard sans entraves ». trad. Claude Roy

Les mots écrits, ces pensées éternelles qui ont traversé les temps jusqu'à nous, me fascinent. Le hasard des visites me mène ce matin dans un quartier d'Anderlecht où je n'étais plus allé depuis une dizaine d'années. Tout y est resté intact, la placette et ses arbres, la fontaine, l'empreinte laissée par l'incendie d'une vieille fabrique de bougies. J'y soignais une vingtaine de patients, tous morts ou disparus, remplacés par de nouveaux arrivants émigrés. J'en connais toutes les rues, me souviens de chaque maison, des noms, des récits familiaux, du chien, du canari, et même de l'arôme du café servi à la fin de la visite. Les habitants actuels, pas plus qu'ils ne me connaissant, n'ont la moindre idée de ces hommes et de ces femmes qui comme eux ont empli ces demeures de leurs espoirs, de leur labeur, de fleurs arrosées et de linge bien repassé. Comme le vieux poète chinois je tente vainement de retrouver leur trace sur le sable quand la mer se retire. N'en reste que mon souvenir qui leur sert - un court moment encore - d'immortalité.


Lu dans:
Claude Roy. Le voleur de poèmes. Mercure de France. 1991. 435 pages. p.331

Le mot joie


"Dans le jour encore gris
courent ici et là comme la crête d'un feu pâle
les branchages neufs des tilleuls."
        Philippe Jaccottet . Le mot joie

Quand le bonheur se respire : l'odeur entêtante du tilleul au mois de juin, véritable remue-mémoire autant qu'invitation à accueillir l'été comme il le mérite.

14 juin 2018

"Y a quelqu'un? "

"Je cherche un homme".
        Diogène de Sinope, 412-323 av. JC

Allô la non-tour, ici le non-pilote. Que verra-t-on en premier: une tour de contrôle entièrement automatique ou un avion sans commandant de bord ? Les avis sont partagés. Mais il est clair que dans l'air comme ailleurs, les systèmes entièrement automatiques sans intervention humaine, dématérialisés, ne sont plus une rêverie technologique. Caisses sans caissières, pompes sans pompistes, accueils sans accueillants, taxis sans taximen, banques sans banquiers, ne restera-t-il bientôt sur terre que des passagers, des clients, des convives, tous usagers de services sans prestataires, passant leur vie dans une sorte d'immense surface commerciale aux dimensions de la planète le smartphone à la main pour bénéficier des promotions, se découvrir des besoins, se faire débiter sans s'en apercevoir, oubliant jusqu'à la notion du désir. Une existence saturée, ne connaissant ni l'attente ni le vide, ni le temps qui sépare la faim de la satiété. 



12 juin 2018

Une prière incarnée


"Prière des gens qui vivent au monastère, et prière de la vie des gens qui l'entourent, prière qui ressent par la porte ouverte les coups de vent et la brise. Prier, à Tibhirine comme ailleurs, n'est pas réciter mais bien ressentir et épouser les aspirations des êtres, et les présenter à Dieu."
                            Jean-Marie Lassausse.

Dans une autre vie je partageai le quotidien de Khaligat, premier centre d'accueil ouvert par les sœurs missionnaires de la Charité à Calcutta. Il est des moments où le besoin de revenir aux sources du métier se fait pressant, parenthèse nécessaire pour reprendre un sillon professionnel menacé d’essoufflement. La journée de travail débutait immanquablement par la prière des matines au 54 A Lower Circular Road, longue chapelle envahie dès potron-minet par une chaleur étouffante et par le vacarme assourdissant du ring de Calcutta où le trafic ne cesse jamais. Instants précieux gravés dans ma mémoire où se mêlaient le chant des religieuses, l'expression d'une spiritualité incarnée dans la réalité, les attentes des malades au mouroir et celles de mes patients d'Anderlecht que je retrouverais quelques jours plus tard. Si prier peut garder un sens dans nos existences traversées par les doutes, c'est incontestablement à de pareilles expériences qu'on le doit. J'ai oublié les paroles des psaumes, mais pas le bruit des camions, ni les râles des mourants de Khaligat. Étrange et précieuse prière qui m'habite encore.

Lu dans:
Jean-Marie Lassausse, Christophe Henning. Le Jardinier de Tibhirine. Bayard 2010. 158 pages. Points Vivre P3380. Extrait p.67

Du soleil à la lumière


"La lumière n'est belle qu'incarnée
à-travers un vitrail
ou le verre d'une bouteille de vin
Consentons donc au sort d'être qu'un œil fini
Qui se fait reflet de l’éclat infini."
            François Cheng
   
Humbles églises romanes, écrasées de soleil, dont les vitraux diffractent les teintes chaudes sur les dalles obscures. Ou comment humaniser la lumière. On rêve d'être ce vitrail. 
     


Lu dans:
François Cheng. Enfin le royaume. Quatrains. NRF Gallimard. Coll Blanche. 2018. 160 pages. 

11 juin 2018

Vie réelle, vies rêvées


"L’Histoire n’est pas simplement ce qui s’est produit.
C’est ce qui s’est produit dans le contexte de ce qui aurait pu se produire."
             Hugh Trevor-Roper, History and Imagination

Un jour, partant rejoindre mon épouse à Mozet (Namur), je me suis retrouvé devant l'impressionnant signal de Moeschal, immenses pylônes coiffés d'une main stylisée, le long de l'autoroute Bruxelles-Paris à hauteur de l'ancien poste frontière d'Hensies. Trente ans plus tard, la question posée par cet amusant épisode demeure intacte. "Comment suis-je arrivé ici?" Ayant placé mon véhicule sur des rails connus, j'avais franchi sans me poser trop de questions les divers embranchements autoroutiers dans un état de semi-rêverie favorisé par la solitude, le concerto pour violon de Brahms et les pensées virevoltant dans ma tête. On peut ainsi se retrouver dans un endroit non-choisi, au terme d'infinies possibilités sélectionnées librement et sans aucune contrainte. La leçon mérite qu'on s'y attarde. 

Trois amis chers m'ont confié ces deux dernières semaines, sans s'être concertés ni même rencontrés, leurs regrets des vies parallèles qu'ils auraient pu et souhaité vivre. Il y a la vie qu'on a menée, - paradoxalement dans les trois cas elle était superbement réussie aux yeux du monde-, et les vies imaginées, souhaitées, dont on n'arrête de redessiner les contours possibles. Les risques qu'on n'a pas pris, les occasions évitées ou qui ne nous ont pas été fournies. Sans négliger la part d'inconscient, de conduite automatique, d'actes manqués qui nous ont conduits là où on est: on aurait dû se retrouver à Mozet, et on est à Hensies. C'est Napoléon exilé à Sainte Hélène interrogeant pour la centième fois la carte de Waterloo: que se serait-il passé si, et si..  L'empereur déchu partageait ses journées avec celui qu'il avait échoué à être. La tentation existe de transformer ces vies imaginées en l'histoire de notre vie vécue, portant le deuil étiré de ce que nous avons été incapables de vivre. C'est un choix, il en existe d'autres, privilégiant le deuil court et la réalité vécue, comme le suggère Randall Jarrell pour qui «les manières de manquer nos vies sont la vie». On rejoint Zorba, son rire sur la plage de son projet dévasté, "patron, quelle superbe catastrophe! allez danse patron." Sirtaki endiablé, scène finale du film.  

Lu dans:
Hugh Trevor-Roper. History and Imagination. Holmes & Meier. 1982. 386 pages
cité en exergue par Adam Phillips. La meilleure des vies. Éloge de la vie non vécue. Éd. de l’Olivier. 2013. 224 pages. Extrait p.11

05 juin 2018

Temps court, temps lent


"Une des maisons porte l'inscription: Maison bâtie en 948, rebâtie et 1787. Encore un de ces endroits où on serait resté bien volontiers assis à admirer. (..) Faut-il vraiment partir demain?"
                        Suzanne et André Linard-Dubois

Allez, un dernier billet pour la route. Celui ou celle qui parcourt le chemin de Compostelle note souvent que si sa marche modifie sa relation à l'espace, elle transforme bien plus fondamentalement son rapport au temps. Temps personnel qui se dilate alors que se concentre sa perception d'être au monde, mais aussi mise en perspective de sa propre étincelle de vie dans l'existence lente de la Terre. L'amusante observation de nos vieux amis Suzanne et André d'une habitation restaurée une fois en un millénaire fait sourire autant qu'elle questionne sur notre relation à la "vie courante". Savoure-t-on le temps qu'on gagne en se dépêchant? La longueur du chemin nécessite un bagage léger et un rythme soutenable, on ne court pas le Compostelle. Or une vie, c'est bien plus long qu'un chemin de Saint Jacques. Pourquoi alors, au retour, cette inflation prévisible, simultanée, du bagage et du rythme des jours? Le temps lent ne serait-il qu'une parenthèse, et courir une façon de rester en équilibre. Nous sommes des êtres paradoxaux. 

Je vous souhaite une bonne fin de semaine. Une courte parenthèse me permet de rejoindre ma pèlerine, et les "cerisiers burlat presque confits, gorgés du sucre qu'y a concentré un soleil désormais ardent."
CV

Lu dans:
Suzanne Dubois, André Linard. Compostelle. La mort d'un mythe? Couleur livres. 2010. 134 pages. Extrait p.99

04 juin 2018

Les Justes de Moissac

"Arrivée à Moissac. Je chemine main­tenant dans ce qui ressemble à un jardin d'éden où coulent à flots le foie gras et tous les fruits capables de se former et d'arriver à maturité en Europe. La campagne est ici un jardin, les vergers de cerisiers, abricotiers, pruniers de différents types, kiwis, pêchers, brugnoniers alternent avec des vignes, des champs de pois et de melons, de haricots verts. Les serres occupent les vallées, les flancs des collines portent de beaux champs de tournesols, de blé, d'un peu de maïs. (..) Le paysage culinaire change. Aux cochonnailles du cassoulet du Languedoc s'ajoutent, omniprésents, le canard, son foie, les fruits, les vins. (..) Mon itinéraire me fait passer par une suc­cession de vergers, si bien que je compense ma dépense physique en me goinfrant d'abricots fabuleux et de prunes rafraîchissantes tombées à terre, je fais une halte pro­longée dans un verger de cerisiers de la variété burlat dont beaucoup d'arbres sont encore couverts de fruits bien trop mûrs pour être désormais récoltés, certains presque confits, gorgés du sucre qu'y a concentré un soleil désor­mais ardent."
                        Axel Kahn

Région fécondée par le soleil et l'eau mais aussi peut-être par l'Histoire et le courage de ses habitants, comme le raconte l'épopée inouïe des enfants juifs de Moissac entre 1939 et 1945. Ou comment de simples citoyens, un maire et l'administration municipale, ont sauvé cinq cents gosses issus de toutes les régions d'Europe répartis dans diverses familles d'accueil. A la Libération, orphelins pour la plupart, ils seront pris en charge jusqu'à l'âge adulte au Moulin, vaste bâtisse devenu centre sportif, éducatif, culturel et siège d'une chorale qui se produira dans le monde entier. La beauté architecturale du cloître de l'abbaye, sa sérénité, la fécondité de son sol, l'opulence de ses vergers ont-elles suscité cette attitude héroïque, ou s'en sont-elles nourries par la suite? Les deux peut-être, justifiant l'adage que parfois la beauté peut sauver le monde.


Lu dans:
Axel Kahn. Pensées en chemin. Stock. 2014.  290 pages. Extraits pp 231, 232, 239.

03 juin 2018

Au détour du chemin

"Pour le dire d'une formule qui n'est plaisante qu'en apparence: en partant pour Saint Jacques je ne cherchais rien, et je l'ai trouvé. (..) A la multitude des pensées qui ont poussé à prendre la route, se substitue la simple évidence de la marche. On est parti, voila tout."
                  Jean-Christophe Rufin

"Si les merveilles du chemin existent bien, elles ne sont pas permanentes. Il faut les chercher, certains diront les mériter. On n'a pas en permanence sur les lèvres le sourire extatique du sahdou indien. On grimace, peine, jure, se plaint et c'est sur ce fond de petites misères permanentes qu'on accueille de temps en temps le plaisir, d'autant plus apprécié qu'il est inattendu, d'une vue splendide, d'un moment d'émotion, d'une rencontre fraternelle." (id)

Aucune expérience n'est strictement superposable, mais ce qui m'est donné d'écouter à distance quand arrive le moment de l'étape de ma pèlerine recoupe ci et là des récits similaires. Alors pourquoi se priver de les citer, feuilletant les pages comme d'autres alignent les pas? Ce soir étape à Moissac (Tarn-et Garonne), superbe monastère roman avec cloître, dont je partage l'émotion en confrontant le récit téléphonique aux paysages de Wikipedia.


Lu dans:
Jean-Christophe Rufin. Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi. Ed Guerin. 2013. 258 pages.

02 juin 2018

Régler ses pas

"Ce n'est pas par goût de la souffrance que j'use mes semelles mais parce que la lenteur révèle des choses cachées par la vitesse."
                Sylvain Tesson

"Les gens imaginent que l'errant va le nez au vent. Pourtant c'est avec rigueur qu'il trace sa route. Il faut de la discipline pour ne pas céder à l'envie d'une halte. Il faut de la méthode pour gagner le rythme nomade, cette cadence nécessaire à l'avancée et qui aide le marcheur à oublier sa lenteur: disposer toujours de la même façon ses effets au bivouac, réciter dans le même ordre sa cargaison de poèmes... Minuscules stratagèmes qui constituent la règle monastique du voyageur. Voyager, ce n'est pas choisir les ordres, c'est faire entrer l'ordre en soi. Le nomadisme est la meilleure réponse à l'échappée du temps: au tic-tac de l'horloge, le voyageur répond par le martèlement de sa semelle." (id)

Étrange expérience. Régler le tic-tac de sa montre au rythme de pas complices et lointains. Laisser la lenteur du chemin vous pénétrer à distance et découvrir les choses cachées par la vitesse. Marcher d'un même pas, chacun dans sa vie; la distance n'est qu'un concept de géographe. 


Lu dans :
Sylvain Tesson. Petit traité sur l'immensité du monde. Des Equateurs. 2005. 166 pages.

01 juin 2018

Découvertes transverses

«Pouvoir marcher ce n'est pas avoir seulement le loisir de marcher: c'est pouvoir créer un vide, creuser un intervalle dans nos occupations qui nous permette de rejoindre par d'autres voies ce qui oriente notre existence. La promenade ne serait-elle pas un moyen de découvrir ce que nous n'aurions jamais eu l'idée de chercher?» .
                Jean Grenier

Lu dans:
Jean Grenier. La Vie quotidienne. 1968. Nouvelle édition revue et augmentée en 1982. Collection Blanche. Gallimard. 256 pages. Extrait p. 33
Jean Grenier cité par Frédéric Debuyst. A la recherche de la simplicité. Publications de Saint André. Les Cahiers de Clerlande n° 13. 2015. 141 pages . Extrait p. 17