31 mars 2018

Une lueur dans la nuit


"Au seuil de l'invisible
qu'a donc été ta vie?
Dans le soleil couchant
un haut nuage en feu
porté par le vent froid,
qui lentement s'éteint
en plongeant dans la nuit."
            Claude Vigée

Je n'ai rien trouvé de plus beau que ces quelques lignes pour illustrer ce moment étrange de la liturgie chrétienne représenté par le samedi avant Pâques, le jour du grand silence qui suit la disparition d'un être aimé. Enfants, le récit qui nous en était fait - dans toute sa noirceur - débouchait invariablement  sur la même image et la même musique: la lumière du soleil levant illuminant le tombeau vide et les cloches "revenues de Rome" avec les œufs largués dans les jardins carillonnant dans nos oreilles. "Je n’enseigne pas, je raconte"  écrivait Montaigne, je mesure aujourd'hui à quel point ce récit simple, cette féerie de sons et de lumière nous vaccinaient contre la désespérance. Devenus croyants ou mécréants, comment cultiver une lucidité sereine? On peut s'en inspirer en détaillant le Radeau de la Méduse (Géricault) où, perdus sur une mer d'encre, seuls quelques naufragés perçoivent au loin une infime lueur, celle de l'Argus venant les sauver. N'être que cette lueur pour ceux qui nous entourent, ces quelques braises dans un feu qui se meurt, constitue déjà un beau programme. 

Je vous souhaite une belle fête de Pâques.
CV

30 mars 2018

La peur, sans laquelle il n'est de courage


"Le courage et la peur sont inextricablement liés. Il faut du courage pour vivre, et du courage pour mourir."
                            Henning Mankell

Il faut imaginer Arnaud Beltrame, l'officier de police devenu héros après avoir pris la place d'une otage, effrayé par le geste qu'il posait. Il devient ainsi notre semblable, et dépassant sa peur il nous laisse imaginer qu'en pareille circonstance nous pourrions faire de même. N'est vraiment courageux que l'homme qui a peur et décide en toute liberté de ne pas se laisser arrêter par elle.


Lu dans:Lu dans:
Henning Mankell. Sable mouvant. Seuil 2015. Points 380 pages. Extrait p.122

29 mars 2018

Indice de satisfaction


"Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit."
                    Sagesse du publicitaire

Google, un ami qui vous veut du bien. Ce samedi, un couple ami passe un bout de soirée chez nous. Dimanche matin, un message bienveillant de googlemybusiness s'enquiert auprès d'eux de leur indice de satisfaction après leur passage à ma consultation (recommanderiez-vous cet établissement à vos amis?). J'ignore leur réponse, et tente de découvrir où se découvrent les résultats de ce sondage. Vivons heureux, vivons cachés, c'était en quelle année encore?  

28 mars 2018

Sagesse d'un expert-comptable

"Je compte parce que c'est mon métier. En fin de journée, pour profiter de ma lancée, je compte les stations de métro : seize. Je compte le nombre de passagers dans mon wagon : trente-deux. Je compte le nombre de baguettes posées verticalement derrière la boulangère : quatorze. Je compte le nombre d'événements surprenants qui se sont produits depuis ce matin : zéro. Mon rêve était bien mieux que cette journée. Comme me le répétait mon grand-père, la réalité est un peu surfaite."
                    Gilles Marchand



Lu dans :
Gilles MARCHAND. Une bouche sans personne. Points . 2017. 264 pages.

27 mars 2018

Quel âge dans vos rêves?

« Je ne l’ai jamais perdue de vue, je nous revois marchant côte à côte à l’enterrement de son deuxième mari, elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Dans quelle manif on est ? », m’a-t-elle demandé. »
                            Marcelline Loridan

Oscar Wilde a suggéré que le drame de la vieillesse n'était pas qu'on se fasse vieux, mais qu'on qu’on reste jeune. Porteurs d'images, de rêves, de révoltes, d'utopies d'un monde qui n'est plus. Réaliser que Mai 68 est quinquagénaire, que lorsqu'on évoque le concile Vatican II nos petits-enfants ne savent ni ce qu'est un concile, ni ce qu'est le Vatican. Ou que la chute du Mur de Berlin n'est pas contemporaine de la Commune de Paris. Se faire à l'idée que la Citroën DS ou le Concorde ne seront pas les attractions du prochain salon de l'automobile ou du meeting du Bourget, et qu'il ne sert à rien de siffler le jupon en rue car elle vous proposera un bras secourable pour traverser au passage clouté. Et ne pas être dupe que celui qui vous répète que vous ne faites pas votre âge pense en lui-même "cela lui fait tant plaisir." Les plus beaux rêves éveillés ne font pas la réalité.


Lu dans:
Marceline Loridan-Ivens, Judith Perrignon. L'amour après. Grasset. 2018. 162 pages.

26 mars 2018

Parole vole


"On écrit autant avec la gomme qu'avec le crayon."
                Lucien Noullez

Ce qui est vrai pour l'écrit ne l'est pas pour la parole, instantanée et incorrigible. Et comme il a été joliment dit "avant qu'elles soient sorties de ta bouche, tu restes le maître de tes paroles. Quand elles ont été prononcées, elles volent librement." 

24 mars 2018

Connivence


"Un moment, j'ai vu que  nous regardions ensemble la lune ronde, laiteuse, nous avons vu la même chose et ressenti la lueur d'un monde qui n'est pas le nôtre, qui nous inonde parfois, dont nous percevons l'étrangeté ensemble. (...) Mais nous partageons l'inconnaissable du monde, l'épreuve poétique du monde. (...) Et nous nous sommes regardés, yeux dans les yeux, regard à regard. Un moment ténu le fil de l'humain à l'animal est reconstitué."
                Jane Sautière. Communion avec un chat, à regarder la lune.

Il est aussi vieux et courbé que son chien est jeune et jouette. A son approche ce dernier jappe de joie et se met à tournoyer en tentant de se saisir la queue. Connivence. 


Lu dans: Jane Sautière.
Mort d'un cheval dans les bras de sa mère. Verticales. 2018. 192 pages. Extrait p.61

23 mars 2018

Sagesse du cabri


Le plus important est d’arriver à passer 70 à 80 ans de vie sur cette terre en ayant le sentiment qu’on s’est trouvé. Non pas qu’on "a réussi" mais qu’on "s’est réussi."
                        Azouz Begag

Une courte phrase lue dans son journal au petit-déjeuner peut vous habiter une journée entière, comme ces ritournelles qui tournent en boucle dans vos oreilles. Ce fut le cas de cette réflexion simple sur le sens d'une réussite humaine. Comment passer d'une vie réduite à une suite de performances, - course épuisante qui ne rassasie jamais -, à la seule recherche de ce qui donne à la vie son merveilleux contenu: une rencontre inattendue, une aide précieuse à un moment critique,  une promenade en bord de mer, la joie que l'on donne, une guérison qu'on apporte, le frisson devant la beauté, toutes choses qui ne se comptabilisent guère et échappent au fardeau des choses à réussir. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont une performance, et la mer n'est pas faite pour porter les bateaux. Certes elle le fait, mais en conservant sa liberté. L'homme aurait-il moins droit à cette liberté que le cabri, le soleil ou la mer et serait-il moins fait pour autre chose que pour simplement vivre? Comment se libérer du fardeau du temps imparti, de l'infinité de choses qu'on s'impose à réussir en l'espace limité d'une existence humaine? La mer et le vent ne manqueront pas de nous survivre, et l'éternité se soucie peu de nous. Mais qui nous impose de nous soucier de l'éternité? 



Lu dans :
Béatrice Delvaux. Il faut retrouver de nouveaux psaumes. Le Soir Culture. 21 mars 2018.  Béatrice Delvaux rencontre Azouz Begag, écrivain et ancien ministre français de la Promotion de l’égalité des chances de 2005 à 2007. Il est l'invité de la "Psalms experience" organisée au sein du Klara Festival  (21-22 mars 2018).

22 mars 2018

Bonheur inculpé

"La gloire est le deuil éclatant du bonheur."
    Madame de Stael (1766-1817)

Observant la mine déconfite et fatiguée de l'ex-président Sarkozy à la sortie de sa garde à vue prolongée, resurgissent les images similaires de Bernard Tapie et de DSK. La relation entre pouvoir, renommée et épanouissement personnel est décidément chose compliquée.

21 mars 2018

Le retour du printemps

"Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
(..) se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
(..) attendre s'il le faut
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre
que l'oiseau se décide à chanter"
            Jacques Prévert

On dit que le printemps commence quand la durée du jour vaut exactement celle de la nuit. Peut-être. Mais observer ce matin notre voisin nonagénaire déposer avec un soin extrême des graines pour les oiseaux, - sa première sortie au jardin après le long hiver - , revoir les pigeons pleins d'hormones et de ruses amoureuses sur la pergola de lierre, se laisser surprendre par les plants de jonquilles qui soudain enjolivent l'avenue annoncent l'équinoxe de plus tendre manière que toutes les éphémérides.

Lu dans:
Jacques Prévert. Pour faire le portrait d'un oiseau. Paroles. Gallimard. 1946

20 mars 2018

Même pas peur

« Pas peur de mourir, juste de ne pas vivre. »
                Gérard Garouste. L’intranquille.

Vivre: respirer et un cœur qui bat, plus quelques ondes cérébrales. Chacun de nous y ajoute quelques ingrédients jugés indispensables. Cela peut faire une sacrée différence.


18 mars 2018

Quand la viande était fête


"Faut pas que ça vous inquiète
J'ai bien connu l'animal mort dans votre assiette."
        Cabrel. Le monde est sourd (2000)

Sale temps pour les steaks Chateaubriand et tournedos Rossini, produits dans les mêmes usines que le minerai de viande, les queues de vaches douteuses et les surgelés 15 ans d'âge destinés au Kosovo. La poule au pot familière qui nous avait donné ses œufs durant de longs mois et le coq au vin dont le cri ne nous réveillera plus le matin appartiennent-ils au passé ... ou à l'avenir? Étrange pouvoir de vie et de mort, totalement industrialisé, que s'est attribué l'homme sur ces animaux qui peuplent nos vie et nos univers, ceux qui surgissent inopinément, les animaux domestiques, les comestibles, les nuisibles,  .. Ils partagent nos vies, occupent nos espaces, disparaissent selon notre bon vouloir souvent à notre insu dans de vastes remorques bâchées qui les soustraient à notre regard. Leur simple présence dans notre univers familier contribuait pourtant à une meilleure perception de notre propre existence, nous apprenant être pleinement là, sans projection vers l'avenir, offerts à ce qui se présente. Indiscutablement vivants. 

Lu dans:
Jane Sautière. Mort d'un cheval dans les bras de sa mère. Verticales. 2018. 192 pages. Extrait p.61

17 mars 2018

Sagesse de Stephen Hawking


"Un trou noir, c'est troublant."
        Raymond Devos

Clin d'oeil souriant à Stephen Hawking, spécialiste des trous noirs, absorbant toute matière et lumière passant à proximité pour les transformer en un rayonnement thermique (« radiations de Hawking »), trous noirs appelés eux-mêmes à disparaître définitivement. Fin irrémédiable pour toute l'information véhiculée par la matière? La question n'est pas résolue au plan scientifique, mais son aspect métaphysique interpelle le mortel à qui elle rappelle sa finitude. Cette conscience de ne pas être éternel peut s'avérer bénéfique. Un premier film (1985) adapté de son livre "Une brève histoire du temps" décrit l'enfance assez quelconque d'un adolescent non-encore atteint par la maladie gaspillant sa vie et ses potentialités énormes en activités ludiques et festives. Il n'aurait pris conscience de la nécessité d'utiliser pleinement ses capacités intellectuelles qu'en apprenant son pronostic de vie réduit à quelques brèves années. "La maladie fut ma chance, me faisant toucher du doigt ma finitude et l'impérieuse nécessité de ne plus perdre de temps." 

14 mars 2018

"Tes amis croient en toi, et moi aussi. Il ne te reste plus qu'à croire en toi-même. "
                     William Bayer

Lu dans:
William Bayer. La Photographie de Lucerne. Payot & Rivages. 2018

L'envers de la démocratie


"Il n'y a qu'une chose que les hommes préfèrent à la liberté, c'est la dictature. Pour un dictateur il importe que le peuple s'imprègne de la conviction que la misère est une souffrance pire que la servitude."
                Richard Malka

Et pire encore que la misère: le désordre. Rien n'effraie davantage que le chaos des frontières, des monnaies, des valeurs. Que règne l'ordre,  et pour cela rien ne surpasse un tyran élu. " Sire... sur quoi régnez-vous ? Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité. Sur tout? Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles. Sur tout ça ? dit le petit prince. Sur tout ça... répondit le roi." (Le Petit Prince. Le Roi.)

Lu dans:
Richard Malka. Tyrannie. Grasset. 2018. 386 pp.

13 mars 2018

Plénitude


"Ici        loin de la course préméditée des hommes
je peux étreindre l'air et ses oiseaux
fendre l'herbe     saisir la lumière et l'espace
où seuls règnent le soleil et l'eau."
      adapté d'un poème de Lotte Kramer
   

Moments de plénitude. L'existence nous en fait le cadeau à quelques reprises, inattendues le plus souvent, qu'on se remémore en période morne. L'Aubrac entre printemps et été sur le chemin de Compostelle, la Bretagne entre été et automne quand les migrateurs la quittent, Paris dans sa magnificence de la Saint Sylvestre. Le bonheur surgit au croisement d'un fragment de temps et d'un espace, soudain et fugace. Et puis la vie reprend, au jour le jour.



Lu dans:
Géraldine Schwarz. Les Amnésiques Flammarion 2017 350 pages Extrait page 347

11 mars 2018


"Une grande palette et une boîte de couleurs richement fournie ne font pas le peintre"
                Jef Verheyen


Lu dans:
Jef Verheyen cité par Denys Riout. La peinture monochrome. Gallimard 1996. Folio Essais 475 (2006). 630 pages. Extrait p. 265.
Jef Verheyen. Essentialisme. 1958. Catalogue de l'exposition qui lui est consacrée au palais des Beaux-Arts en 1979

10 mars 2018

Modestie de l'artisan


"Il y a un petit cordonnier
qui travaille devant de douces vitres vertes
pourquoi fabrique-t-il des souliers    marchant peu ?
il fait son devoir         et fait marcher les autres."
            Francis JAMMES.

Ciel la grippe, une amie patraque appelle à l'aide. Hier encore elle abattait quinze kilomètres dans le vent et la brume. Il y a longtemps que moi-même je n'affronte plus pareille épreuve, et pourtant mes baumes et décoctions font merveille pour les autres. Nos faiblesses ne concernent que nous. 


08 mars 2018

La carte immense de la mer


"Il avait, de la mer, acheté une carte
Ne figurant pas le moindre vestige de terre.
Et les marins, ravis, trouvèrent que c'était
Une carte qu'enfin ils pouvaient tous comprendre."
        Lewis Carroll

Il n'est que peu de moments dans une existence -  la naissance, l'adolescence, la retraite. - où se déroulent devant nous une page blanche, une vaste mer sans le moindre vestige de terre, un espace où tout est à écrire. Cette étendue des possibles crée parfois bien des turbulences.



Lu dans:
Lewis Carroll cité dans:  Denys Riout. La peinture monochrome. Gallimard 1996. Folio Essais 475 (2006). 630 pages. Extrait p. 265.
Lewis Carroll. La Chasse au Snark. Tout Alice. trad. Henri Parisot. Flammarion. 1979. 442 pages. p. 346

Merveilleuses Gitanes bleues


"La beauté se trouve partout
dans un marteau     un clou 
un cageot     un trait
la beauté est dans l'œil qui contemple."
                Pascal Rabate et Kokor

Le regard s'éduque, comme les papilles de la langue, le toucher ou la palettes des parfums. Denis Grozdanovitch raconte ce moment magique de la découverte, inerte au milieu de la route, d'un oiseau extraordinaire de beauté, au plumage bleu merveilleux, des gris et des blancs d'une délicatesse incomparable. "Je me suis approché en poussant un cri d'admiration et me suis penché pour le ramasser. C'était, froissé, un paquet de Gitanes bleues."  Comment préserver cette capacité d'émerveillement qui enchante le quotidien?


Lu dans:
Pascal Rabate et Kokor. Alexandrin ou l'art de faire des vers à pied. Futuropolis. BD. 2017. 96 pages
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait pp.70, 71

07 mars 2018

Les ongles de Luis


"Il est des défauts tellement liés à de belles qualités qui les annoncent qu'on ferait bien de ne pas s'en corriger."
                 Joseph Joubert

J'ai cru reconnaître hier en consultation le cancre de Jacques Prévert. Depuis deux semaines il se ronge les ongles et fait mine de s'en délecter. Son espièglerie en classe n'est que moyennement appréciée. "On le questionne et le fou rire le prend, il efface tout, les chiffres et les mots, les dates et les noms, les phrases et les pièges et malgré les menaces du maître, sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs, il dessine le visage du bonheur." Que deviendra le petit Luis nul ne le sait, mais l'imaginer sur scène au Festival du rire de Montreux m'amuse. 


06 mars 2018

Eloge du citoyen modèle


"Enfant modèle", trad. "Model child".

Le score chinois de crédit social sera-t-il bientôt d'application chez nous? D’ici deux ans, la Chine assignera à chaque citoyen un score. Obligatoire et accessible à tous, il évaluera le degré auquel chacun est digne de confiance. Un des objectifs,  mais pas le seul, est la lutte contre la fraude dans la vie économique. Il sera calculé par un algorithme tenant compte du fait d’avoir ou non remboursé une dette, traversé au feu rouge, critiqué le parti unique, pris plus ou moins bien soin de ses parents, etc. Un bon score se traduira par la possibilité d’emprunts à un taux préférentiel, des facilités de visa pour voyager à l’étranger, un accès privilégié aux emplois publics, etc. Des projets pilotes sont déjà en cours. Dès 2010, le Xian de Suining a mis en place un tel score pour ses résidents. A partir d’un maximum s’élevant à 1 000 points, une violation du code de la route vous coûte 20 points et participer à l’exercice d’un culte, 50 points. En résultent quatre classes de citoyens, les A bénéficiant d’avantages importants alors que les D voient, par exemple, leur emploi menacé. D’autres systèmes existent, privés et sur base volontaire. Un score élevé chez Sesame Credit vous permettra ainsi d’emprunter une voiture sans dépôt en garantie ou d’augmenter vos chances de succès sur les sites de rencontre en ligne. Pas de ça chez nous ! Pas sûr. Peut-être fichés sur une liste noire de la Banque nationale en matière de crédit, coté en nombre d'étoiles chez Airbnb ou Uber, likés sur Facebook, les occasions de collecter les gommettes distribuées par nos instituteurs aux enfants sages connaissent un succès réel dans notre quotidien. Elles ne choquent pas autant, chacun d’entre gardant la possibilité de cloisonner son lieu de travail, sa chambre à coucher, son bulletin de vote. Pour le moment. 


Lu dans:
Le score chinois de crédit social :bientôt chez nous ? Le Soir. 6 mars 2018

05 mars 2018

Étrangers sur la terre


"Chacun est un migrant dans l’absolu."
                Hamid Mohsin

J'avais six ans quand j'ai quitté le pays la première fois: en vacances à La Panne, nous avons marché jusque Bray Dunes. La rue de mon enfance demeure intacte dans mon souvenir: même véhicule devant l'entrée, mêmes voisins durant vingt ans. J'ai cru reproduire ce cadre rassurant à l'âge adulte: même profession, même adresse, mêmes voisins et amis proches un bon nombre d'années. Et progressivement, c'est le monde qui a migré. Les rares voisins familiers de nos débuts sont morts ou en sursis, toutes les couleurs de la planète animent la salle d'attente, des enfants rieurs récemment arrivés se bousculent à nouveau sur les trottoirs, les cuisines du monde garnissent notre table. L'étranger venu de loin habite à nos côtés, nos enfants ont eux-mêmes parfois migré sur d'autres continents pour de plus ou moins longues périodes. Dans le train de la vie, le nez à la fenêtre, on peut ressentir ce sentiment d'étrangeté: sans jamais avoir quitté sa cabine, le paysage qui nous entoure varie sans cesse, méconnaissable, faisant de nous des autochtones migrants.


Lu dans:
Hamid Mohsin, un optimiste de la nature humaine. Entretien avec Nicolas Crousse. Le Soir 3 mars 2018.
Hamid Mohsin. Exit West. Traduit de l'anglais (Pakistan) par Bernard Cohen. Grasset. 2018. 208 pages

03 mars 2018

Tri continu


"L'art d'écrire consiste autant à enlever des mots qu'à en rajouter."
Paul Auster

"Excuse-moi, je n'ai pas eu le temps de faire court." Ce mot d'esprit de journalistes remettant leur copie m'a enchanté. Narrer c'est trier parmi les innombrables faits, paroles, textes, personnages croisés durant une journée ce qui mérite d'être retenu et raconté. A tout vouloir partager, on ne nourrit pas, on noie. J'ai à cet égard connu de bons maîtres pour lesquels E=MC2, νῶθι σεαυτόν ("connais-toi toi-même") et Μηδὲν ἄγαν ("fuis l'excès", au fronton du temple de Delphes) résumaient le monde.



Lu dans:
Le manuscrit dans le livre Entretien avec Michel Contat. Genesis 9. 1996. Extrait p.117

02 mars 2018

Traîner sous la pluie


"Il faut être joyeux pour être un bon médecin. J'entends par joyeux: porter l'espérance au fond des yeux."
         Richard Bohringer

L'auteur arrive aux Urgences un soir sous la pluie. Il a connu la dépression, une vie marquée par la souffrance, un père soldat allemand, une mère légère, l'errance urbaine, l'alcool, les femmes. La fièvre le fait délirer et la phrase "traîne pas trop sous la pluie" revient sans arrêt. Il se croit sur un bateau dans la tempête et prend l'infirmier pour un grand singe.  Quand la fièvre s'apaise, il a besoin d'écrire, évoque ce qu'il en attend de la personne qui le prend en charge. L'aspiration au bonheur se prescrirait-elle donc, plus efficace que les perfusions? Porter l'espérance au fond des yeux pour qui touche le fond ne guérit peut-être pas de la perte de la santé physique, mais peut rendre du sens à une vie considérée comme perdue. 

Lu dans:
Richard Bohringer. Traîne pas trop sous la pluie. Flammarion. 2009. 169 pages.

01 mars 2018

Il y a bise et bise

"Dans une manche
Ton petit bras
Et tout au bout
Tes petits doigts
Bonnet de laine
Echarpe de soie
L’hiver est là."
        Alice Guitton

Café chaud, pain grillé, je trouve qu'il fait plus froid que d'habitude. Le thermostat indique 18°C. Le seuil de "froid ressenti" est devenu bien bas pour le nanti.

Lu dans:
Alice Guitton. Ecrits de ma cabane. Ed.Pailles. 2011. 96 pages. Extrait p.45