06 novembre 2017

L'art de perdre

"Dans l'art de perdre     il n'est pas dur de passer maître,
tant de choses semblent si pleines d'envie
d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.

Perds chaque jour quelque chose. L'affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l'heure gâchée qui suit.
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.

Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d'aller. Rien là qui soit un désastre.

J'ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l'avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.

J'ai perdu deux villes, de jolies villes.
Et, plus vastes, des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre."
                Elizabeth Bishop (1911-1979)

En quelques lignes sobres un art de vivre et un chemin vers la sérénité. Ces lignes m'ont habité depuis que je les ai découvertes, par leur simplicité et l'interpellation qu'elles nous adressent: que la route est longue encore pour y parvenir.

 
Lu dans:
Alice Zeniter. L'Art de perdre. Flammarion. 2017. 510 pages. Extrait page 496

1 commentaire:

Tania a dit…

Merci pour ce texte, à emporter sur le chemin - contre le sentiment de désastre.